NOUVEAU BLOGUE SIGNÉ DAVID LONERGAN
Vous me direz que c’est tout de même particulier d’utiliser « à la valdrague » comme nom d’une chronique et de le joindre aux arts. L’idée m’est venue d’une exposition du peintre acadien Yvon Gallant qui l’avait utilisé comme titre d’une de ses expositions. Il est vrai qu’en acadien, ce mot a perdu son sens de « à l’abandon » ou encore de « en mauvais ordre » pour s’adoucir en « désordre » puis en « pêle-mêle ». En visitant cette exposition, j’ai eu l’impression que Gallant avait décidé de tout montrer ce qu’il avait fait depuis un peu plus de deux ans et de laisser le soin aux visiteurs de faire le tri. Une occasion rare de mieux comprendre la démarche de l’artiste à travers ses réussites, ses tentatives et ses échecs. Ce qui est en quelque sorte l’enjeu de cette chronique : voir, sentir, réfléchir, agir et partager le tout.
Quoi de mieux pour se lancer que Cr!ons (Éditions Perce-Neige), le plus récent recueil de poésie de Philippe Garon? Au départ, il y a l’écriture de poèmes lors d’une résidence d’auteur à Moncton. À la grande surprise de l’auteur, avouera-t-il, des mélodies apparaissent, mais comme il n’y connaît pas grand-chose en musique, il sait qu’il devra faire appel à un musicien (ce sera Guillaume Arsenault) pour les peaufiner, les arranger et même à des voix pour les interpréter (en particulier Myëlle). De là apparaissent un spectacle en janvier, puis un disque en février et enfin le recueil en avril. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’avec Philippe, les choses ne trainent pas!
Cr!ons s’inscrit à la suite thématique de Ton dictionnaire du bout de la terre, un essai coup de poing qu’a publié Perce-Neige en 2011. Ce dictionnaire s’adresse à son fils et se veut un ouvrage mobilisateur, véritable défense et illustration de la Gaspésie. Cr!ons élargit le discours : la Gaspésie, bien sûr, mais aussi la société dans son ensemble. Le ton change également. Si l’indignation est toujours présente, elle se décline dans un tout autre esprit comme il l’affirme dans l’entrevue qu’il a accordée sur la plateforme Web La Fabrique culturelle de Télé Québec : « Si on veut changer le monde, il va faire que ça se fasse dans la joie. Parce que dans la confrontation ça donne rien. C’est collectivement qu’on va réussir, c’est en travaillant vraiment ensemble. En travaillant même avec du monde avec qui on n’est pas d’accord. »
Le recueil rassemble une cinquantaine de textes dont 24 portent comme titre le nom d’une des lettres de l’alphabet grec, ce qui rythme le propos. Ainsi alpha pose le problème : « champ de vision/bloqué/par la noireté de l’exhaust » (p. 24); et « oméga » le résout : « au grand soleil/ou avec de la cire/lire les signes/de l’ineffable » (p. 95). Entre les deux, les autres lettres tracent le parcours de la pensée de l’auteur.
Les textes sont répartis en trois sections qui marquent les trois temps de la réflexion et dont les titres évoquent le contenu : « Devant les bœufs » pour le constat, « Mascaret » pour la lutte et « Au grand soleil » pour la solution.
La parole est vive, drue, parfois un peu brouillonne, toujours pertinente et enflammée. L’urgence d’agir se confond à l’urgence de dire et l’immense flamme qui habite Philippe nous est communiquée avec intensité et grands coups de balai. Il ne s’embarrasse pas de détails inutiles, il fonce. C’est cette volonté que ça s’améliore, que l’avenir soit celui d’une société plus juste, plus respectueuse de la planète qui sous-tend les textes.
Pour nourrir son propos, il a fait appel à d’autres poètes et amis parmi lesquels l’Abitibienne Sonia Cotten, l’Acadien Raymond Guy LeBlanc, Martin Zibeau et les blogueurs de GRAFFICI Pascal Alain et Bilbo Cyr. Ces textes que Philippe nomme du néologisme « bicéphaloscope » sont des dialogues qui dénoncent, commentent ou proposent selon la partie dans laquelle ils s’inscrivent. Ainsi le texte empreint de lumière de LeBlanc qui est dans la troisième section du recueil. Les tonalités s’enrichissent de l’apport des autres voix de la même façon que l’univers musical développé par Guillaume Arsenault souligne la musicalité des textes.
La passion parfois un peu naïve (je pense à Candide, le personnage de Voltaire) qui anime certains des éléments de ce projet est mise en évidence dans le vidéo que Mathieu Boudreau a réalisé sur « Nous sommes ». Tourné à la piscine de Bonaventure avec la collaboration du groupe d’aquaforme de Chantal Cayouette et de la classe de maternelle de France Beaulieu de l’école François-Thibault, ce vidéoclip sans prétention est plutôt amateur dans sa forme (ce qui fait son charme d’ailleurs). Guillaume chante, joue de la batterie et dirige aussi bien « l’orchestre » (Jean-Guy Leblanc, Éric Dion et Philippe Garon) que les enfants qui entonnent tant bien que mal le refrain tandis que les nageuses y vont de mouvements à la coordination un peu aléatoire. La chaleur qui se dégage de l’ensemble répond bien aux paroles du refrain : « attrapons la lumière/et inventons les carrés ronds/ouvrons un atelier/réparons la réalité ».
Signe des temps, ce vidéo a été produit avec l’aide du programme CALQ-CRÉ Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. Il va falloir continuer à « crier », mais toujours dans la joie, jamais dans l’amertume.