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20 novembre 2015 14 h 28

ON NE LAISSE PAS UN CHIEN DEHORS

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Te souviens-tu de la chambre jaune du sous-sol de notre maison de Charlesbourg, où j’ai vécu une partie de mon adolescence? Elle n’avait pas de fenêtre, le tapis était vert, il me semble, et la tapisserie faisait presque saigner les yeux. Cette pièce-là, je m’en souviens très bien. Au-delà de sa décoration plus que hideuse, je m’en rappelle surtout parce que j’ai vu de nombreuses personnes y dormir, y trouver refuge au fil des années. Des amis, des connaissances qui vivaient une mauvaise passe, qui filaient un mauvais coton. Quelques nuits, quelques semaines, un, deux, trois mois…

Cette chambre jaune et laide est belle dans ma mémoire.

C’est à ça que j’ai pensé avant d’écrire ce texte, maman. Au fait que chez nous, tu ouvrais notre porte. Et que dans le langage qui résonnait entre les quatre murs de cette maison que j’ai tant aimée, différent ne rimait pas forcément avec méchant.
Lorraine, nous ne restons plus sous le même toit depuis plus d’une décennie. Pourtant, j’essaie chaque jour de vivre à la même adresse que toi : celle où l’apparence physique, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou le handicap ne font pas vaciller la valeur d’un être humain. Pas plus que la religion, la nationalité ou les crimes des voisins. Tu m’as bordée d’une enfance d’empathie; cette fondation est demeurée bien après que la maison ait été vendue.

Je ne dirai pas que ceux qui ne voient pas la venue de 25 000 réfugiés du même oeil que moi n’ont pas reçu de bonnes valeurs en héritage, qu’ils sont « ci », qu’ils sont « ça ». Je ne dirai rien de tout cela, parce que je refuse de sauter à pieds joints dans le ring de la haine, de montrer les poings dans un combat d’idées où tout le monde se blesse, mais où personne ne gagne. Je ne veux pas nourrir ce cercle infernal d’insultes, alimenter un capharnaüm de ressentiment. Ça fait déjà assez de bruit, ça prend déjà trop de place. Il me donne la nausée, ce maudit manège-là. Et il me fait bien plus peur que des réfugiés.
Moi, j’ai juste envie de faire comme toi, maman. Faire confiance. Accueillir. Tolérer. Essayer de comprendre. Même quand parfois, c’est difficile. Même quand à d’autres moments, ça semble presque impossible. Je ne veux pas voir la frontière de mon pays verrouillée à double tour. Je refuse de mettre tous les musulmans dans le même panier. Le bien, c’est peut-être la seule arme que l’on a pour répondre au mal. Du moins, c’est la seule que j’accepterai d’effleurer. Tu sais comme moi qu’on ne prend pas son temps à détester; on le perd. Et est-ce que ça a déjà servi à quelque chose, haïr?
Je choisis donc d’être comme toi, comme la femme si généreuse et bourrée de compassion qui m’a élevée, d’être à l’image de celle qui m’a tout donné. Je choisis d’aimer. Avec naïveté, rétorqueront certainement certains. Mais de tout mon coeur, à tout le moins.

Ce que je veux pour mon pays, tu l’as fait avec notre maison. Et si l’on ouvrait le sous-sol du Canada à des Syriens qui « vivent une mauvaise passe »? Serait-ce si terrible d’ouvrir les bras au lieu de pointer du doigt?

Tu sais, une de tes phrases m’est revenue en tête aujourd’hui : « Roxanne, on ne laisse pas un chien dehors ». Tu as raison, Lorraine. Et on y laisse encore moins un être humain, un réfugié. Surtout si dehors, c’est pire que le froid. Surtout si dehors, c’est la fin.

Roxanne, ton « bébé »