• vendredi 19 avril 2024 08 h 08

  • Météo

    5°C

  • Marées

Blogue citoyen

Culture
15 mars 2016 16 h 48

POUR LE PLAISIR DE SE SOUVENIR

David Lonergan

Blogueur culturel

Partager

La nouvelle qui donne son titre à ce recueil rappelle la mémoire de l’arrière-grand-père du narrateur qu’on peut aisément identifier à l’auteur. Une belle tendresse émerge de l’évocation. Les autres textes sont à l’avenant.

Certains rappellent la mémoire de personnages connus. Ainsi « La promesse de Roland English », ce député progressiste conservateur du comté fédéral de Gaspé (1957-1962) natif de Rivière-au-Renard, élu sous la promesse d’apporter le train dans la Gaspésie du Nord. Promesse vaine, mais pas faute d’avoir essayé. Un portrait des mœurs politiques de l’époque, pimenté par l’humour.

Ainsi l’économiste et sociologue Esdras Minville, natif de Grande-Vallée, dont Boucher nous rappelle dans « La tête à Esdras » l’apport à travers le regard de Jertrude, une femme peut-être ordinaire, mais douée d’un solide bon sens.

Ou bien encore « Le Francis de La Grange », un émouvant texte qui rend hommage à l’Annemontois Francis Pelletier en soulignant son apport à la culture. On y reconnaît le Bernard Boucher qui, à une autre époque de sa vie, était un intervenant important dans le monde culturel de l’Est-du-Québec.

Et enfin le rappel de l’aventure du moulin à papier du Grand-Sault de Rivière-Madeleine à travers les photos du docteur Cotnoir qui a documenté toute l’aventure de ce moulin. Cotnoir présente une douzaine de photos à son ami Cyrille et les commente. Le lecteur ne voit pas les photos, mais le commentaire les lui donne à voir. À la suite du décès du docteur, Cyrille deviendra le dépositaire de l’album, du moins c’est ce que le texte laisse entendre.

D’autres personnages sont issus du peuple : Jérémie qui sarcle les patates avec son grand-père, Joseph A. qui est en admiration devant sa maîtresse d’école, mademoiselle Janine, et qui la revoit alors qu’il étudie au cégep du Vieux-Montréal; Magellan, le fabuleux pêcheur; Marcel dont on a ri toute sa jeunesse parce qu’il a « une babine fleurie » et qui désespère de pouvoir se marier jusqu’au jour où (vous lirez et saurez); l’amusante relation entre Welle, un pêcheur et mademoiselle Rouiller, une compositrice qui passe ses étés dans la maison familiale et qui est inspirée par le son du moteur Acadia de la barge de Welle; à l’opposé, le destin tragique de Monsieur Charles. Une des nouvelles les plus amusantes et finement écrites raconte la façon dont Henri, jusque-là dominé par sa mère, se décide d’inviter Germaine à un tour d’auto au « chemin des larmes » — ce chemin des plaisirs coupables — et qu’enfin, il se libère de la tutelle maternelle. Le tout menant au mariage : l’honneur de Germaine a toujours été sauf.

D’autres textes évoquent le passé comme « Sombré dans l’oubli » sur les origines du nom de Manche d’Épée et de la pointe du Wrack, mais surtout pour le narrateur une occasion de se souvenir de sa propre jeunesse. Un texte tendre et un peu nostalgique. « Cinq pouces à côté d’la mappe » rappelle l’opposition entre les rouges, lecteurs assidus du Soleil et les bleus, lecteurs de L’Action catholique dont Jules vient de recevoir, deux jours après sa parution le 15 août 1962, le dernier numéro.

En filigrane, la mainmise de la religion sur les habitants de ces petits villages isolés. Religion que Boucher met en vedette dans deux nouvelles. « La face du curé B. », une critique cinglante de la bigoterie et « Chouclaques » sur le curé Fleuve animé par un zèle eucharistique qui ne l’empêchera pas d’offrir des chouclaques aux enfants qu’il aura abusés sexuellement, achetant ainsi leur silence.

Anthime et autres récits propose un délicat, charmant, amusant et touchant voyage dans le pays de l’enfance de l’auteur à l’époque où il y avait encore des pêcheurs côtiers et où le relatif isolement des villages tissait des liens serrés entre les habitants et où l’Église dominait encore leurs vies. Une société de petites gens, de petites vies et pourtant, une société animée par le puissant désir de ses habitants de vivre là où ils sont malgré les difficultés. C’est ce désir et l’amour de l’auteur pour son coin de pays qui lie toutes les nouvelles. Ce récit a reçu le prix Jovette-Bernier 2015 remis par le Salon du livre de Rimouski. Un prix bien mérité.