Qu’avec les quais vienne la capacité de s’en occuper
| NEW RICHMOND, mai 2019 - Le gouvernement fédéral qui se débarrasse de ses quais en Gaspésie, c'est un drôle de marché. J'ai des vieilles affaires qui me coûtent cher, je te les donne avec assez d'argent pour les retaper, puis tu m'en débarrasses pour toujours. Au début, ça va peut-être aller, mais dans 20-30 ans: tu vas piger dans tes poches, mon ami. Avec l'élection fédérale qui aura lieu dans moins de 6 mois, c'est le temps pour les Gaspésiens de renégocier.
En 1995, Transport Canada décide de faire le ménage dans ses ports. Il cible ceux qui sont rentables. Les autres, il va tout simplement s’en débarrasser; 549 ports seront ainsi mis sur la liste des actifs indésirables. Tous les ports commerciaux de la Gaspésie en feront partie. Suivant la politique maritime nationale, nos quais seront donc jugés ni financièrement autonomes ni névralgiques. Le comité d’experts mandaté en 2002 pour faire l’examen de la Loi maritime du Canada explique ci-bas poliment comment nous tombions alors dans la deuxième catégorie:
« La politique prévoit la création d’un réseau portuaire national qui comprendra les ports alors jugés financièrement autonomes et névralgiques pour les échanges intérieurs et internationaux. Ces ports nationaux allaient être gérés par des Administrations portuaires canadiennes. Les ports appartenant à une deuxième catégorie (les ports régionaux et locaux) allaient, à l’intérieur d’une période de six ans, être cédés aux gouvernements provinciaux, aux administrations municipales, aux organismes communautaires, à des intérêts privés et à d’autres groupes ».
C’est quand même fascinant. En Gaspésie, péninsule bordée par le fleuve St-Laurent, le golfe et la Baie-des-Chaleurs, une des plus belles baies au monde, nos ports commerciaux ne seraient pas « névralgiques ». Notre Gaspésie, celle qui remplit les tablés d’ici, des États-Unis et même du Japon de crabes, flétans, crevettes et homards, ne vaudrait pas le trouble d’y entretenir des quais commerciaux!
Au bout de notre bras de terre plongé dans la mer, Gaspé ne serait pas un port stratégique? Chandler, d’où partait le traversier vers les Îles-de-la-Madeleine avant que le quai ne tombe en décrépitude, n’était pas utile pour les échanges intérieurs? Carleton-sur-mer, station balnéaire réputée depuis 1850 et le plus important pôle producteur de moules du Québec, ne mériterait plus son accès à la mer? Il y a quelqu’un à Ottawa qui a vraiment pensé ça. Et personne ici ou là-bas n’a été en mesure de le faire changer d’avis.
Les années ont passé. En 2018, Transport Canada était parvenu a céder 502 des 549 ports dont il ne voulait plus. C’est ainsi que dans moins d’un an, le 30 mars 2020, le gouvernement du Québec deviendra propriétaire des quais de Gaspé, Matane, Rimouski et Gros-Cacouna. En échange, le fédéral lui versera 163 millions $ pour soutenir les coûts futurs d’exploitation et d’entretien de ces quatre ports: « Une excellente opportunité », selon le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau. Le communiqué ne dit pas s’il s’agit d’une blague ou non.
Le premier ministre québécois de l’époque, Phillipe Couillard, a admis qu’en échange de cette somme, ce serait désormais au Québec de supporter ces actifs et d’en assurer l’entretien pour toujours, mais que c’était bien ce qu’il voulait. D’un côté, il est vrai que M. Couillard a ainsi obtenu pour le Québec une plus grande souveraineté sur son territoire, lui qui aura dorénavant le contrôle de quatre nouveaux quais commerciaux. Là où l’entente est désavantageuse, c’est que le Québec acquiert une responsabilité permanente contre une somme ponctuelle. Notre ex premier ministre ne nous aura jamais ébahis par sa capacité à se dresser contre le fédéral.
À Carleton-sur-mer, l’histoire ne se termine pas de la même façon. C’est la municipalité qui deviendra finalement propriétaire de la partie publique du quai alors que Pêches et Océans prend possession du reste de l’infrastructure. Mais ici encore, le fédéral aura réussi à refiler la responsabilité de l’entretien à un autre. Les citoyens de Carleton-sur-Mer auront à assumer l’entretien d’environ le quart de la superficie du quai, et ce, sans contrepartie financière d’Ottawa.
La solution: le rapatriement de points d’impôts
Il y a pourtant une façon de faire qui permettrait un transfert plus équitable. Ça s’appelle le rapatriement de points d’impôts. C’est un transfert permanent du pouvoir de taxation fédéral vers le Québec. Ottawa ne veut plus s’occuper de ses quais, d’accord. Mais pourquoi alors paieriez-vous encore autant d’impôts fédéraux?
Avouez que c’est choquant. Ottawa abandonne des responsabilités mais conserve l’argent que nous lui donnons pour les assumer. En toute justice, le fédéral doit réduire en contrepartie ses revenus. Et pour s’assurer que le Québec ait les moyens de ses nouvelles responsabilités, il augmenterait d’autant ses propres impôts. Pour le contribuable, il n’y a pas de changement. Mais pour le Québec, et pour nous Gaspésiens, cela nous assurerait qu’il y aura des sommes disponibles pour que nos quais ne tombent pas à nouveau en décrépitude lorsque les millions du fédéral auront été dépensés. C’est simplement obtenir un pouvoir permanent en échange d’une responsabilité permanente.
La cession des quais de Gaspé, Matane, Rimouski et Gros-Cacouna fait l’objet d’une entente de principe entre Québec et Ottawa, laquelle prévoit le transfert en 2020. Il n’est donc pas trop tard pour renégocier. L’élection fédérale aura lieu le 21 octobre prochain, soit dans moins de 6 mois. Nos élus à l’Assemblée nationale, comme nos élus municipaux, doivent utiliser cette opportunité pour obtenir une meilleure entente. Pour les quatre quais dont la cession est déjà annoncée et pour ceux qui restent, il est temps de forcer les différents partis à se commettre sur le rapatriement de points d’impôts.
Dans quelques semaines, vous verrez les différents partis politiques envoyer leurs candidats vous courtiser. Pourquoi ne pas leur demander de s’engager à nous donner la capacité fiscale de s’occuper de nos quais? Car sinon, il faudra comprendre qu’au moment où le ministre Garneau parlait d’une « excellente opportunité », il voulait dire pour le fédéral.
Note sur l’auteur
Alexis Deschênes est un avocat natif de Cascapédia-Saint-Jules. Il pratique le droit à New Richmond depuis 2015. Il a été auparavant journaliste pendant 12 ans dont 4 ans à titre de correspondant parlementaire à l’Assemblée Nationale du Québec pour le réseau TVA. Il a aussi été candidat du Parti Québécois lors de l’élection d’avril 2014, et président du PQ dans Bonaventure en 2016 et jusqu’en septembre 2017, date à laquelle il a quitté son poste de président ainsi que l’exécutif. Il n’exerce depuis aucun rôle actif dans un parti politique.