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Société
11 juillet 2018 14 h 58

Réussir à tout prix

Ce n’est pas la difficulté d’adaptation propre à tous ceux qui entrent au secondaire qui met Maxime dans cet état d’esprit, dit-il à ses parents. Au contraire, il s’y est fait de nouveaux amis et aime bien ses professeurs. Non, c’est juste qu’il ne peut plus supporter la pression des examens et la quantité de matière scolaire à ingérer en peu de temps. Il dit qu’il se sent nul et va couler de toute façon.

Maxime n’est pas le seul dans son cas. L’anxiété de performance est de plus en plus fréquente.

« Crises d’angoisse et de larmes, maux de tête et de ventre, absentéisme, dépression, troubles alimentaires et idées suicidaires : l’anxiété de performance fait de plus en plus de ravages dans les écoles secondaires », pouvions-nous lire sur le site de Radio-Canada du 21 mai 2017. Dans cet article, on peut lire les témoignages d’élèves qui ont traversé des périodes où la « peur intense d’échouer et de décevoir » avait pris toute la place dans leur vie jusqu’à les empêcher de fonctionner au quotidien.

Une société de performance
Parmi les multiples sources à cette anxiété, une en particulier est  pointée du doigt : la « société de performance » dans laquelle nous évoluons. Le chroniqueur au  Devoir, Jean-François Nadeau, fait un rapprochement entre la fascination d’une certaine élite pour les plus hauts sommets de la planète et celle, à l’ère du « libéralisme triomphant », des entrepreneurs et gens d’affaires obsédés par la quête toujours plus grande de pouvoir et de réussite financière. « Brillez au sommet! » « La vie est une montagne à gravir », ironise Nadeau.

C’est, à peu de choses près, l’image qui nous est donnée de notre société à l’époque où nous vivons. Réussir à tout prix. Mais à quel prix…?

Dans la Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, dont le but est de faire connaître la recherche et la réflexion sur l’éthique publique, le chercheur Steve Jacob,  professeur de science politique à l’université Laval, nous présente une analyse  des systèmes de gestion de la performance qui ont envahi la sphère publique comme du privé depuis quelques années.

Il est question dit M. Jacob, « de développement de systèmes de gestion de la performance à tous les niveaux et pour tous les secteurs d’intervention (y compris la santé, le secteur social ou l’éducation) ». Ainsi, précise-t-il, en se basant sur ces indicateurs de performance, « s’est développé récemment une logique du classement ou du palmarès qui place en concurrence des organisations publiques et privées (hôpitaux, universités, écoles) ». Conséquemment, « la présentation des résultats sous forme d’un classement implique la désignation de vainqueurs et de vaincus ».

Une course à obstacles
Ainsi, l’école est vue comme une course à obstacles où les premiers sont louangés, montrés en exemple, encouragés, tandis que ceux qui se sont enfargés dans les obstacles sont souvent condamnés à demeurer derrière, considérés inaptes à suivre la cadence. Plus souvent qu’autrement, ils serviront de main-d’œuvre à bon marché peinant à faire reconnaître la valeur de leur travail.

À la lumière de ces quelques éléments, nous pouvons comprendre que les acteurs qui évoluent à l’intérieur de ces systèmes, où la pression est toujours constante dans l’atteinte des plus hauts sommets, en subissent les effets pervers.

Nous sommes en droit, je pense, de nous questionner sur les conséquences d’un modèle de gestion et de société qui tend à ne donner de la valeur qu’aux plus performants, pour ne pas dire aux plus méritants.

Nous pouvons nous interroger à savoir comment ce modèle peut s’appliquer à l’éducation, où chaque élève est unique avec sa culture, son histoire, sa dynamique propre; où chacun a ses centres d’intérêts particuliers qui ne cadrent pas toujours avec le programme scolaire, les priorités académiques et le rythme qui est imposé.

La même question se pose dans le domaine de la santé. Pensons aux ravages causés chez les travailleurs dans ce domaine (médecins, infirmières, travailleurs sociaux etc.) depuis que le ministre de la santé Gaétan Barrette leur a imposé ce régime du bâton et de la carotte.
Que le contribuable « en ait pour son argent »

Dans cette idéologie méritocratique, des champs d’intervention  qui font surtout appel à la qualité de présence, à l’empathie plutôt qu’à la performance, tels l’éducation et la santé, sont tenus de se mettre au pas de la grande industrie et des investissements rentables. Il faut que le contribuable en ait pour son argent, nous répètent les décideurs.

Il ne s’agit pas simplement, ici, de pointer du doigt le fameux « système » qui s’acharnerait sur le pauvre monde. Il s’agit, je crois, de tenter de voir le plus clairement possible comment notre société est organisée. Une société où, depuis les années 1980 particulièrement,  les gouvernements d’ici et d’ailleurs tentent, d’un commun accord avec le monde du capital, d’orienter nos institutions publiques vers un modèle d’affaires avec des conséquences souvent désastreuses.

N’oublions pas qu’à la cime des plus hauts sommets, l’air respirable se fait rare et que sur la plus haute marche du podium, il n’y a qu’une place.

Notre ami Maxime qui ne veut plus aller à l’école, se sentant beaucoup trop « poche » pour continuer, aura bien sûr de bons services d’aide de la part de son école  (psychologue, travailleuse sociale, etc.) pour calmer ses angoisses. Peut-être, souhaitons-le, ces professionnels réussiront-ils, avec lui, à ce qu’il complète adéquatement son secondaire et poursuive sa route comme il se doit. Mais rien de tout cela ne changera la « maudite machine » qui s’acharne bien sournoisement à avaler les rêves de nos enfants.

Ce sera toujours à nous d’y voir.