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12 novembre 2015 17 h 19

ROMANS JEUNESSES PASSIONNANTS : DE LA FANTAISIE AU RÉALISME

David Lonergan

Blogueur culturel

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| CAP-CHAT, 13 novembre 2015—Nadine Poirier est née à Bonaventure et publie depuis 2007 des textes pour la jeunesse. Elle en a plus d’une douzaine à son actif dont Mission pas possible et Projet C qui ont paru cette année. Elle vit aujourd’hui en Mauricie.

Le premier s’adresse aux enfants de 7 à 10 ans et le second aux adolescents (sur la couverture 4, on précise 14 ans +). Le premier est une charmante fantaisie tandis que le second traite d’un sujet sérieux. Les deux ont en commun une plume vive, des personnages attachants et des histoires bien construites et, comme c’est souvent le cas en littérature pour la jeunesse, des narratrices inventives et prises dans des situations, disons, problématiques.

Samuelle, le personnage central de Mission pas possible (Dominique et compagnie), adore (c’est le moins que je puisse écrire) son enseignant de troisième année. Il est inventif, souriant, amusant et passionné par son travail. Bref, le prof idéal! Mais le printemps annonce la fin de l’année scolaire et, par conséquent, le passage en quatrième année.

Oh, ce n’est pas de passer en quatrième qui traumatise Samuelle, après tout elle est une des meilleures de sa classe (et peut-être même la meilleure), mais c’est l’idée d’avoir la vilaine madame Dion comme enseignante qui la désespère. Car, voyez-vous, cette école n’a qu’une classe par niveau et Samuelle ne peut donc éviter la catastrophe. Sauf si…

Une idée germe dans son cerveau fertile et imaginatif : c’est qu’elle a des ressources, la petite. Mais avant d’agir, il lui faut convaincre Marilie, sa meilleure amie et sa complice de toujours : il est hors de question pour elle de… non je ne vous en dirai pas plus : tout le punch du livre est dans sa trouvaille qui aura d’ailleurs tendance à faire boule de neige.

Joliment illustré par Géraldine Charrette, ce roman est facile et agréable à lire. Les caractères sont gros et enrichis par des fantaisies graphiques ce qui agrémente et facilite la lecture.

***

Projet C (Éditions de Mortagne) aborde un sujet sérieux : Maeva a 16 ans et elle n’aime pas son corps. Elle se trouve laide avec sa peau sombre, ses cheveux frisés et, surtout, ses tout petits seins. Pourtant, elle est plutôt jolie avec cette peau bronzée naturellement, ses cheveux noirs, sa taille élancée, sans oublier qu’elle est physiquement très en forme. Mais tout se résume à ses seins qu’elle souhaiterait être comme ceux de Marie-Ève, la plus belle fille de l’école.

Le titre donne la clé du roman : elle rêve de porter un « bonnet C » comme soutien-gorge, ce qui est très loin de son petit A qu’elle bourre de papier mouchoir. Maeva est complexée et fait tout pour cacher son corps. Elle s’habille d’habits de jogging, de chandails trop grands, elle défrise ses cheveux avec un fer et porte une éternelle tuque, elle ne va jamais à la piscine, refuse de prendre sa douche à l’école. Et surtout, elle fuit les garçons comme la peste, craintive que si elle vit une relation amoureuse ils en arrivent à vouloir lui caresser les seins.

Sa meilleure amie, la bien nommée Amy, est son opposée. Sans doute moins jolie que Maeva — mais avec de « vrais seins » dirait Maeva —, elle est épanouie, heureuse de sa vie et passionnée. Elle rêve de faire le tour du monde en voilier et possède déjà un dériveur. La famille de Maeva est normale : une mère aimante, des sœurs jumelles plus âgées et très féminines, et un père depuis longtemps évanoui. Un père qui traitait la petite Maeva de laideron et qui affirmait qu’il ne pouvait pas en être le géniteur, tellement elle ne lui ressemblait pas. Le temps a passé et les paroles blessantes du père ont laissé leurs traces dans la psyché de Maeva. Sa fixation sur les seins comme partie fondamentale de la beauté des femmes repose sur ce rejet, mais ça, elle n’en est pas tout à fait consciente.

Maeva est en secondaire cinq et toutes les filles parlent des robes qu’elles porteront au bal des finissants. Pour Maeva, c’est la tragédie : qu’a-t-elle à montrer dans un décolleté? Et même sous n’importe quelle robe : elle est « plate », du moins à ses yeux. Au hasard de ses lectures (elle lit d’innombrables revues féminines), elle découvre que des implants mammaires existent, que l’opération est simple et qu’elle n’a pas besoin de l’autorisation de ses parents. Elle pourrait alors devenir la femme qu’elle rêve d’être. Contre toute espérance arrive un nouveau en 5e secondaire, Victor, fils de parents grands reporters, beau comme un dieu, passionné de photos comme Maeva. Il la remarque et lentement l’apprivoise : l’amour naît, tôt réprimé par Maeva qui refuse d’aller plus loin que le baiser. Mais Victor est vraiment amoureux.

Évidemment, la mère de Maeva et Amy sont contre l’opération, ce qui permet d’approfondir le sujet de l’augmentation mammaire et d’aborder plus largement la problématique de la chirurgie esthétique. La documentation est solide et très bien utilisée. Poirier donne toutes ses références à la fin du roman. Dans son introduction, Poirier précise que Maeva l’enrageait et qu’elle a eu la tentation de lui « ouvrir les yeux avec des forceps », mais qu’elle résistait : après tout, presque trois cent mille Américaines ont eu une augmentation mammaire en 2010! Pourquoi, Maeva s’en priverait-elle, même si les cas problématiques sont légions?

Maeva est la narratrice de ce roman écrit au présent. Le vocabulaire, le choix des mots, la description des émotions me semblent fidèles à ce qu’une jeune fille de 16 ans peut écrire. La plume est vive, les dialogues vivants, le sujet abordé franchement. Une excellente lecture pour les adolescents, filles et garçons, mais aussi pour les adultes.

Ce roman fait partie de la collection Tabou des Éditions de Mortagne qui aborde des sujets épineux dans des romans pour adolescents. À titre d’exemple : l’automutilation, l’intimidation, le TDAH, la cyberprédation.

Ah oui : Maeva acceptera finalement son corps tel qu’il est (à vous de découvrir comment), mais elle suivra une thérapie qui lui permettra de comprendre la source de son problème. Il n’y a pas de solution magique.

— 30 —

NOTE SUR L’AUTEUR
David Lonergan est originaire de Saint-Jean-d’Iberville. Il vit en Haute-Gaspésie à partir de 1977, puis en Acadie à partir de 1994. Depuis 2014, il vit à Cap-Chat. Il a été enseignant au secondaire, dramaturge (Théâtre Pince-Farine, 1977-1992), journaliste, recherchiste, scénariste à la télévision (dont toute l’aventure de Radio-Québec GÎM), professeur à l’Université de Moncton et critique durant 19 ans pour le quotidien L’Acadie Nouvelle. Il a publié une douzaine d’ouvrages dont Les Otages (théâtre, 1987), Blanche (roman biographique, 1989), La Bolduc, la vie de Mary Travers (biographie, 1992), Françoise Bujold. À toi qui n’es pas né au bord de l’eau (essai et anthologie, 2010), Théâtre l’Escaouette, 1977-2012 (monographie, 2015). David nous fait l’immense honneur de bloguer tout à fait bénévolement sur GRAFFICI.CA. Il y sera présent chaque mois à la valdrague et traitera de faits d’arts et de culture.