Tendresse et langueur
Mais quand les enfants devenus grands partent, on ressent un sentiment de perte. Comme si quelque chose en nous s’arrachait de nous. Une autre étape de notre vie vient de se terminer. Une autre débute. Le premier recueil de poésie de la Gaspésienne Hélène Poirier (et premier livre publié), La maison suspendue (Éditions David) nous propose une tendre et langoureuse réflexion sur ce sujet.
Construit en une alternance de suites poétiques et d’un journal de voyage en prose qu’elle adresse à son fils, ce recueil relate le cheminement de la narratrice. Hélène Poirier dédie d’ailleurs son livre à ses fils. Les trois parties du recueil tracent autant d’étapes dans la vie de la narratrice : « Le début du monde », la grossesse, la naissance et la vie jusqu’au départ de « l’enfant »; « Sous les paupières » autour du travail de mémoire et du deuil à faire; « Une corde imaginaire » sur l’absence et enfin les retrouvailles. Les textes du journal relatent son voyage au Mexique et en Espagne, puis son retour à Montréal, tandis que les poèmes plongent dans le senti et l’émotion en tentant de saisir la fugacité de la vie. D’une certaine façon, le temps, comme la maison, est suspendu alors que s’ouvre la quête de la narratrice.
« Le début du monde » s’ouvre sur une grossesse désirée et vécue dans la joie : « Pour ta venue / j’entretiens un feu intime / une maille s’ajoute / chaque jour / à ma robe d’avenir / l’heure avancée / de ton ombre » (p. 13). Le ton est donné : les vers sont sobres, courts comme autant d’instantanés, la pensée dirigée vers ce fils dont on ne connaîtra rien, si ce n’est qu’il a grandi et est parti. Puis, on quitte les poèmes pour une première incise du journal : « J’ai vendu la maison. Tout laissé derrière moi. Je suis partie, moi aussi » (p. 17). Au Mexique, sur le Pacifique : l’immensité devant elle comme un monde inédit à habiter et les souvenirs qui affluent : « Je me rappelle chaque étape de ta naissance. C’était mon commencement du monde » (p. 21). Et tandis que les poèmes évoquent l’enfant qui grandit et qui finalement part, le journal lui permet de faire face à « l’instable équilibre » (p. 28) qu’elle vit. Son départ l’a blessée : « Une mappemonde / dans tes souliers / tu pars / sans presque rien emporter / de l’enfance / qui fut la nôtre » (p. 33).
« Sous les paupières » la mène du Mexique à l’Espagne dans une errance qui n’arrive pas à faire sens. Que fuit-elle? Les poèmes prennent une couleur mortuaire : « Je cherche / ton odeur sucrée / dans toutes les pièces / au centre de mon corps / transparent / cette blessure en zigzag » (p. 40). Elle se perd dans sa mémoire, pourtant elle sent qu’il n’est pas loin, à défaut de se manifester : « Toute la saison creuse / je marche et m’agite / partout tes empreintes / cherchent à me relever » (p. 51). Le problème n’est pas dans son départ, mais dans son incapacité à l’accepter.
« Une corde imaginaire » clôt le cycle. De la déprime à une nouvelle vie : « Ton silence veille sur moi » (p. 64). « L’espace s’adoucit », « [s]a peau respire / un jardin habitable » (p. 65). Lentement, elle fait face à sa « nouvelle » vie. Curieusement, cette vie naîtra d’un virus qui la tuera presque et entraînera son retour précipité au Québec. Le dernier texte est de son fils à son chevet à l’hôpital. Ce virus ne serait-il que la représentation de ce qui la grugeait alors qu’elle refusait d’accepter et le départ du fils et son nouvel état de vie? Car le départ de l’enfant annonce d’une certaine façon la vieillesse.
La sobriété des textes sert la délicatesse du propos. La complémentarité entre les textes en prose et des poèmes crée une interrelation qui donne vie au « personnage », un peu comme dans un roman, ce qui accroît d’autant le plaisir de la lecture.