TON WINNEBAGO, TA FEMME, TES TROIS ENFANTS PIS TON RACK À VÉLO
Cher touriste, il faut que tu saches que chaque année, je te vois débarquer avec les mêmes sentiments contradictoires. Je sais que j’ai besoin de toi pour vivre à l’année dans mon immense et belle carte postale. Et en même temps, je voudrais conserver la tranquillité de l’hiver, l’impression que tout le village m’appartient, qu’il n’est qu’à moi, qu’à nous.
Même si cette impression d’être menacée par ton déploiement ne dure que quelques jours (voire quelques heures), je n’y peux rien. C’est comme ça. Le début de l’été t’amène et chaque fois, je reste perplexe pendant un très court moment. Comme un chevreuil devant les phares.
Ma ville s’anime, elle est vivante, elle est plus belle que jamais. Et pourtant, c’est d’abord toi que je vois. Sans le vouloir, c’est comme si tu m’avais dépouillée de mon univers, de ma grosse paix. D’une petite part de l’authenticité de ma Gaspésie d’adoption.
Je finis toujours par décongeler. T’inquiètes! Il s’agit d’un sentiment très temporaire : je me mets rapidement en mode accueil. Comme tout le monde d’ici d’ailleurs.
Ça va me faire plaisir de te donner des indications routières, de te conseiller un restaurant, de savoir d’où tu viens et quel bon vent t’a poussé jusque chez nous. Comme mes concitoyens, je vais te gaver de gentillesses, te faire voir notre bonheur, te faire promettre de revenir.
Parce qu’on est comme ça. Des « accueilleurs », des « salueurs ». Des créateurs de souvenirs.
Si la dernière année n’avait été ni marquante ni particulière à mes yeux, c’est probablement par ces émotions-là que je serais passée encore une fois à la fin juin. Mais tandis que j’attendais, par habitude, que cette pointe d’égoïsme se fasse sentir en regardant la lignée de « machines » passer sur la 132… surprise! Elle ne m’est jamais tombée dessus.
Cette année, je t’ai regardé arriver sans que ce sentiment d’invasion ne se fasse sentir, sans même penser une minute à l’envahisseur que tu es. Je t’ai vu débarquer et j’ai poussé un soupir. Un soupir de reconnaissance, de soulagement. Un soupir qui te disait merci quelle que soit ta langue.
On aurait dit que la mauvaise année que nous avons passée m’avait convaincue que tous s’étaient ligués contre ma belle Gaspésie. Que tout le monde en ville n’espérait plus que de la voir ramper, agoniser, s’éteindre. Que nos malheurs avaient jeté une ombre sur toutes les beautés que nous avons à vendre ou mieux, à donner.
Au lieu de nous envahir, j’ai senti que c’était peut-être toi, mon cher ami d’ailleurs, qui venais nous délivrer, du moins temporairement, du nuage austère qui s’est stationné pendant quelques mois au-dessus de nos têtes, du sentiment que les mois avaient le poids des décennies. De celui, aussi, qu’il faut sans cesse nous battre ne serait-ce que pour continuer d’exister. Ça fait un bien fou : tu as mis notre morosité en vacances, un time out sur nos déboires.
Juste en étant là, avec ton winnebago, ta femme, tes trois enfants, ton chien saucisse pis ton rack à vélo.
Je t’en remercie.
Tu m’as rappelée que la Gaspésie appartient et appartiendra toujours à ceux qui l’aiment, à ceux qui veulent la découvrir, à ceux qui lui donnent le temps de se dévoiler. Et que ces gens-là ne l’abandonneront jamais. Qu’eux aussi veulent une Gaspésie belle et forte, prospère et accueillante… ne serait-ce que pour se saucer les orteils dedans en juillet.
Cette région que j’aime tant, ce territoire qui est devenu ma maison, je te le prête avec bonheur. Je te le loue en échange d’un sourire, je te le troque pour un bonjour! Parce que tu mets un baume sur un rude hiver, parce que tu places un band aid géant sur une année entière.
Avec ton winnebago, ta femme, tes 3 enfants, ton chien saucisse pis ton rack à vélo.
Bonnes vacances, et surtout… merci de nous avoir choisis!
Roxanne Langlois, qui promet de ne plus jamais te voir comme un mal nécessaire.