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Blogue citoyen

9 janvier 2015 10 h 43

TU ES CHARLIE

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Quand j’étais petite mais un peu moins que toi, je cherchais un bonhomme barré rouge et blanc à lunettes dans de grands livres. C’était ça, pour moi, Charlie : un jeu coloré et un gars avec une tuque. Parfois, c’était aussi la frustration de tomber sur tous ses sosies (d’autres personnages qui lui ressemblent beaucoup) avant de finalement découvrir le vrai, le seul. LE Charlie!

Quand tu es née, en juin 2011, Charlie est devenu le plus beau prénom du monde à mes yeux : tu étais LA seule et l’unique. Cette fois, on ne me demandait pas de chercher ; tu étais là, et ma famille et moi, on t’avait tous trouvée en même temps. Désormais, tu serais avec nous, accompagnée de tes rires qui te pourchassent même quand tu tournes vite vite sur toi-même en ballerine, de ta candeur si belle qui, je l’espère, te suivra elle aussi à la trace pour toujours. Tes premiers sourires, tes premiers pas, tes premiers mots. On les a tellement attendus et guettés, si tu savais! Avec toi à bord de l’univers, la vie était moins imparfaite que la veille.

Parce qu’il y avait tes yeux bleus qui brillent très fort et ton cœur grand comme l’océan.
Mais voilà. Depuis le 7 janvier, ton nom est sur toutes les lèvres du monde, au bout de tous les crayons, sur les boutons de chaque clavier d’ordinateur. Si tu savais déjà lire, Charlie, tu verrais que ton prénom est partout. Qu’il a envahi les Ipad et les téléphones de tous ‘’les monsieurs’’ et de toutes ‘’les madames’’, qu’il est sur le dessus de tous les journaux.

Ce serait un peu compliqué de t’expliquer en détails pourquoi, ma belle. Pour te dire la vérité, je n’ai pas envie d’être la personne qui doit t’apprendre que la vie est laide, parfois. J’aimerais beaucoup plus jouer à des jeux de mémoire avec toi. Parce que c’est amusant, les jeux de mémoire. Tu sais ça, toi.

Mais bon. Essayons quand même de te dire un peu les choses.

Quand tu donnes un coup de gros bloc Lego à ton frère, ta maman te dit que c’est mal, elle t’envoie en réflexion. Maman et daddy t’apprennent à ne pas faire bobo, à être gentille avec les autres : tes parents, ton petit frère, tes grands-mamans et tes grands-papas, les amis de la garderie, la petite gardienne du quartier, etc. Ceux qui sont ton quotidien. Pour toi, ils sont tout ton monde. On te dit de les aimer, ces gens-là. De leur dire. De leur faire des dessins et des câlins, aussi.

Et fine comme tu es, tu le fais.

Charlie, un jour tu comprendras sûrement que des fois, des gens oublient que faire bobo, ce n’est pas gentil. Ils oublient tellement, qu’ils glacent le cœur d’autres personnes. Comme la Reine des Neiges que tu aimes tant. Mais ils le font par exprès, eux. Ils oublient que l’humour, c’est fait pour rire, pas pour diviser. Ils oublient que des dessins, ça n’a jamais tué personne. Ils oublient, eux, ce que leur mère leur a appris.

Et nous, les grandes personnes, on essaie très fort de protéger les petits enfants comme toi. Promis. On met les méchants en réflexion très longtemps derrière des barreaux, quand on le peut.

Quand on le peut, Charlie.

Depuis deux jours, une petite phrase est écrite partout, dans plein de langues que tu ne connais pas encore : Je suis Charlie, I Am Charlie, Yo Soy Charlie, etc. Beaucoup, beaucoup de gens sont devenus ‘’Charlie’’. Non, ils ne t’ont pas volé ton prénom à toi, ne t’en fais pas. Ce qu’ils veulent dire, c’est qu’ils se sentent aussi attaqués que les amis de Charlie, sur l’autre continent (très loin), ceux à qui des méchants ont fait bobo. Que c’est comme si ces méchants-là s’en étaient pris à eux, aussi, en même temps.

Tu comprends?

‘’Je suis Charlie’’, moi aussi. Marraine est allée à l’école de ceux qui écrivent dans les journaux et parlent avec un micro à la télé à l’heure du souper. On lui a appris qu’être libre de dire et écrire les choses, ça n’a pas de prix. Elle y croit beaucoup, à part de ça. Marraine est aussi allée à l’école de ceux qui ont étudié la démocratie. Un jour, je t’expliquerai peut-être ce que c’est, la démocratie. Tu vas voir, c’est très important.
Je vais te dire un secret tout de suite, ma grande. Imagine une petite cabane que l’on construirait avec des couvertures et des coussins. Imagine qu’on est dedans, juste toi et moi. T’es prête?

‘’Matante’’ Roxanne, elle est triste dans son cœur, Charlie. Depuis un dodo. Mais ne crois surtout pas que c’est ta faute à toi.

Roxanne n’est pas toute seule avec sa peine, ça non. Le monde entier, tout le globe terrestre, est triste lui aussi, tu sais. Et quand les gens sont tristes ensemble, tu le verras un jour, ça fait un peu de bien malgré tout.

Dans plusieurs années, quand tu ne compteras plus sur tes petits doigts, tu apprendras peut-être des mots comme Polytechnique, Columbine, Newtown, Virginia Tech, Dawson, Aurora et Charlie Hebdo. Je sais que tu n’aimeras pas ce qui se cache derrière ces mots-là, parce que ça rend le cœur triste. Je suis désolée de ces déceptions-là et des autres que t’apportera le monde dans lequel on vit. Je les effacerais toutes pour toi, si je pouvais. Crois-moi, Charlie. Je ferais tout pour ça.

Mais même dans notre petite cabane de secrets, on ne serait pas à l’abri de tout.

J’espère que tu resteras une enfant longtemps, Charlie, au moins dans ton cœur. Que tu auras confiance en ceux qui croiseront ta route, que tu continueras de penser que la vie est belle, peu importe. C’est ça, l’important, mon bel amour. Il ne faut pas voir des méchants partout. Parce qu’il y a surtout des gentils autour de toi, autour de nous. Le monde en est rempli. Je te le promets. En plus, marraine ne dit jamais de menteries. Juré.

En attendant, moi, de ma belle et lointaine Gaspésie, je souhaite très très fort que tout l’univers soit un peu ‘’Charlie’’, un peu comme toi. Parce que toi, tu ne vois pas encore la différence. Entre les langues que les gens parlent, entre les différentes couleurs de leur peau, entre les dieux qu’ils prient, entre leurs idées politiques.

Tu ne vois pas ce qui sépare les gens, parce que pour toi, la vie est encore un grand terrain de jeu et que tout le monde est invité dans le carré de sable.

Des fois, j’aimerais ça que toute la terre soit comme toi, Charlie. Que même devenus des adultes, on se souvienne tous qu’on devrait faire la ronde ou le petit train tout le monde ensemble. Comme quand on avait trois ans et demi.

Je t’aime, mon cœur!
Roxanne, ta ‘’matante’’