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Culture
1 mars 2016 16 h 41

VOYAGES

Marie Christine Bernard

Auteure et blogueuse

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On s’était émerveillés, cette fois-là, de se retrouver trente ans plus tard en pleine réalisation de nos rêves respectifs: lui styliste pour une grande chaîne de télévision américaine, Hollywood boy accompli, et moi, écrivaine invitée par l’Alliance Française de Santa Monica pour présenter mon roman Mademoiselle Personne. Ce même roman qui m’avait déjà conduite sur les routes de France dans une tournée de trois semaines au bout de laquelle, je vous jure, je n’avais plus ni faim ni soif tellement j’avais été royalement reçue partout.

Cette fois-ci, c’est le Mexique qui m’invite à représenter la culture québécoise durant la semaine de la langue française et de la Francophonie. Du 10 au 16 mars, je participerai à des soirées de poésie, je donnerai des ateliers d’écriture à des étudiants universitaires francophiles, prononcerai des conférences sur la littérature québécoise en général et la mienne en particulier. Une semaine fort bien remplie, donc, qui se commencera à Guadalajara durant deux jours pour se terminer à Mexico, où j’aurai entre autres l’honneur de lancer mon dernier roman, Matisiwin.

Mes livres me font voyager, donc. Mais l’écriture est un voyage en soi. Un voyage qui a commencé, pour moi, très jeune. Chez nous, en Gaspésie. Dès avant d’aller à l’école, je faisais semblant de savoir écrire, et je noircissais des pages de cahiers de caractères inventés pour ensuite lire à voix haute aux adultes de mon entourage, le plus sérieusement du monde, l’histoire que je venais « d’écrire ». Ceux qui ont connu ma maman devinent combien elle a pu m’encourager dans ce « hobby ». J’ai des souvenirs aussi de pièces de théâtre jouées sur la galerie de la maison que nous avons habitée près du Marché Carleton, le public et les personnages étant incarnés par mes cousines et quelques petits voisins. La 132 a vu mes premiers pas de dramaturge. Puis à l’école Saint-Joseph, soeur Madeleine me demandait d’écrire une version simplifiée du Petit Prince pour un petit livre fait par les élèves. Raymonde Boudreau m’a ensuite fort fort incitée à élaborer mes essais d’historiettes. Et ensuite à la Polyvalente, qui ne s’appelait pas encore Antoine-Bernard, Monsieur Michaud, que nous faisions parfois pleurer à force d’être malcommodes dans ses cours de religion, a lu mes poèmes d’adolescente avec beaucoup de sérieux. Et puis il y a eu Léo Bois, un jour, qui nous a fait la lecture du « Chat Noir » d’Edgar Allan Poe. Épiphanie.

Cette lecture de la nouvelle de Poe, je m’en souviens de façon très claire. La voix, la pose, le visage du prof de français de quatrième secondaire sont cristallisés dans ma mémoire. C’est un des moments les plus importants de ma vie. Je ne savais pas jusqu’alors l’existence de ce genre littéraire. Je suis revenue à la maison galvanisée et, ce soir-là, sur ma petite machine à écrire manuelle, j’ai écrit ma première nouvelle, « Cauchemar ». J’avais 15 ans et c’est à ce moment-là qu’a débuté ma carrière d’écrivain. C’est à ce moment-là que j’ai su pour de vrai que cette chose-là que j’avais en moi, c’était plus qu’un « hobby », plus qu’une passion: c’était un troisième poumon, un véritable organe respiratoire sans lequel sans doute je pourrais survivre, mais mal. Le lendemain j’ai montré mon oeuvre à Léo qui, incrédule sur le coup, m’a demandé s’il pouvait la montrer à d’autres. L’année suivante, en cinquième secondaire, c’est Denis Loubert qui m’a proposé d’envoyer ma nouvelle, que Léo lui avait fait lire, à un ami à lui qui éditait une revue littéraire à Rimouski. Et voilà que mon petit texte était publié, qu’on le critiquait fort gentiment à la radio, que j’entrais par la petite porte dans le paysage littéraire, à 16 ans.

Ensuite, j’ai poursuivi mes études ailleurs. J’ai rencontré d’autres enseignants qui ont manifesté de l’intérêt pour mes oeuvres. J’ai remporté des prix, je me suis promenée en Europe, aux États-Unis, au Canada anglais, dans les Maritimes, un peu partout au Québec. Ma voiture a six ans et touche les 200 000 kilomètres, c’est vous dire.

Je ne sais pas si j’aurais écrit quand même sans les gens de mon milieu qui m’ont généreusement conseillée, soutenue, encouragée. Ma mère et ses copines (Liane, Lise…), mes tantes, mes profs (y compris certains qui ne m’enseignaient pas mais qui m’ont témoigné tant de bienveillance: Mimi, Jeannot, Denise…), même madame Chiasson qui tenait la bibliothèque scolaire et qui me faisait des petits passe-droit pour que je puisse emprunter plus de livres à la fois (chut!). Sans doute que j’aurais écrit quand même. C’est en moi. Mais le voyage n’aurait pas été pareil.

Car où que j’aille, maintenant, chaque fois qu’un livre me conduit quelque part, tous ces gens-là viennent avec moi. Lorsque je fais une lecture publique, lorsque je donne une conférence, lorsque j’anime des ateliers de création, ils sont là, je sens leur tendresse et leur amitié. Et je voudrais qu’ils sachent que, lorsque je reviens chez nous par la grâce de la littérature, c’est aussi vers eux que je reviens.