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10 octobre 2018 10 h 10

1968-2018: chasser en Gaspésie

Gilles Gagné

Journaliste

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CARLETON, octobre 2018 – La chasse a bien changé depuis la fin des années 1960. Les technologies ont explosé pour faciliter la tâche des chasseurs, mais il a aussi fallu au préalable une démocratisation de l’accès à la forêt pour que le prélèvement des orignaux, des chevreuils et du petit gibier soit moins injuste.

Jean-Paul Boudreau, de Carleton, rappelle qu’au milieu des années 1960, au début de sa vie adulte, les obstacles étaient nombreux pour les chasseurs, et ce qu’on appellerait aujourd’hui le braconnage constituait une façon de briser ces obstacles.

« Des fois, je dis qu’il doit y avoir un million de kilomètres de chemins forestiers en Gaspésie maintenant! La différence avec avant, c’est qu’il n’y avait pas beaucoup de chemins. Peu de monde avait une Jeep. On modifiait des Volkswagen, des Choupettes comme on les appelait [le modèle Coccinelle], pour installer des chaînes, en cas de neige. La chasse à l’orignal durait deux semaines au lieu d’une, et la saison débutait plus tard. Ce n’était pas rare qu’il y ait de la neige », évoque, intarissable, M. Boudreau.

Une grande partie de la forêt n’était donc pas accessible en raison du manque de routes d’accès, et des moyens financiers plus limités des chasseurs des années 1960.

Des clubs privés
« Il y avait aussi des clubs privés. La Madawaska Lumber avait son free hold, la Dunière [un territoire dépourvu de redevances], mais aussi d’autres territoires forestiers. La compagnie avait des invités, qui fermaient une partie de chemin pour leur chasse. Ça devenait des clubs privés. La Madawaska Lumber a perdu le contrôle de ses invités un moment donné. Il y avait des barrières partout; tu ne pouvais plus aller nulle part. La compagnie a dû faire le ménage », se souvient M. Boudreau.
 
Dix ou 15 ans avant le « déclubage » initié par le gouvernement de René Lévesque en 1977, les chasseurs moins fortunés de l’époque prenaient donc des chances en cassant parfois les barrières de clubs privés pour prélever eux aussi le gros gibier.

« C’était l’une des seules façons d’avoir accès à des territoires de chasse potables. Aujourd’hui, on appellerait ça du braconnage, mais il fallait démocratiser la chasse. C’est ce que le « déclubage » a apporté», analyse M. Boudreau.

La chasse derrière des barrières privées constituant une pratique porteuse d’un certain risque, considérant les moyens financiers plus limités de la population et les avancées technologiques modestes des années 1960, on atteignait vite les limites de ce que le chasseur moyen était prêt à investir pour ramener un original à la maison.

« La petite chasse était un phénomène plus fort à l’époque. Ça prenait moins de moyens. Aller à l’orignal impliquait des moyens », insiste M. Boudreau.

Du « balôné » et une 303
Les vêtements des années 1960 étaient plus rudimentaires. « On portait des chemises carreautées, des vêtements kaki de surplus d’armée. Une carabine 303 coûtait de sept à huit piastres. Les plus vieux, qui étaient en moyens, payaient 60 $ pour une 3030. Une 32 spécial pouvait coûter 85 $. C’était pour les autres. Le permis coûtait 8 $ pour l’orignal, 2 $ pour la perdrix et 5 $ pour le chevreuil. On faisait la journée avec un saucisson de « balôné » attaché à la ceinture. On n’avait pas faim ou froid, mais on était loin des vêtements d’aujourd’hui, et des équipements », évoque Jean-Paul Boudreau.

Oubliez les caméras de surveillance pour détecter la présence de gros gibier près des trous de chasse.

« Bien des gens chassaient l’orignal au collet, et ça chassait souvent le chevreuil la nuit. Le collet avait une pole et ça accrochait dans les arbres. Le nom de code pour les collets, c’était les « watch men ». Si quelqu’un disait, on va aller voir les « watch men », ça voulait dire faire le tour des collets à orignal », précise M. Boudreau.

Les blocs de sel étaient des artifices déjà utilisés en forêt dans les années 1960 parce que « les vieux s’étaient rendus compte que les orignaux venaient lécher les blocs de sel des vaches dans les champs. Des gars mettaient de l’avoine dans le bois, ou du soufre, parce qu’ils ont besoin [les orignaux] d’un boost au printemps », ajoute-t-il.

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