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16 février 2017 20 h 36

AVENIR DU RAIL: QUAND LES MINISTRES DÉSINFORMENT

Gilles Gagné

Journaliste

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CARLETON-SUR-MER, 16 février 2017 – L’attitude de certains ministres de l’actuel gouvernement du Québec a certes constitué l’un des principaux défis des meneurs socio-économiques de la Gaspésie dans leurs efforts pour rétablir de meilleurs services ferroviaires entre Matapédia et Gaspé.

À plusieurs reprises depuis l’élection d’avril 2014, des ministres en mesure d’améliorer la situation du chemin de fer ont démontré plus d’attentisme que d’action, et ils ont souvent justifié la nécessité d’attendre avant de bouger en utilisant des chiffres carrément erronés ou, au mieux, fort discutables.

Le 20 novembre 2014, alors qu’il était ministre responsable de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, Jean D’Amour, lors d’une rencontre de presse matinale tenue à Carleton, déclare « que la réfection du chemin de fer coûtera 130 millions de dollars ».
 
Or, la dernière étude à l’époque, réalisée par la firme-conseil AECOM,  situait ces réparations à 123 millions de dollars, en fait 122,4 millions.
 
Questionné au sujet du chiffre qu’il venait de déclarer, les journalistes voulant savoir si une nouvelle étude n’avait pas encore augmenté le coût de réfection du tronçon Matapédia-Gaspé, le ministre D’Amour, agacé, a simplement déclaré que « 123 millions de dollars ou 130 millions de dollars, c’est la même chose ».
 
Toutefois, c’est lors de cette même journée, le 20 novembre 2014, que la SCFG s’est placée sous la protection des tribunaux, un détail que le ministre D’Amour devait savoir mais qu’il s’est bien gardé de dire aux journalistes. Les créances impayées ont totalisé 3,9 millions de dollars en mars suivant.
 
Il est intéressant de constater que si la différence entre la somme identifiée par AECOM et celle mentionnée par Jean D’Amour, soit 7 millions de dollars, avait été rendue disponible pour la Société du chemin de fer de la Gaspésie, cette firme sous contrôle municipal n’aurait pas perdu son emprise ferroviaire.
 
Le ministre D’Amour, en exagérant la présumée facture de réfection du tronçon gaspésien, n’a pas été le seul membre du cabinet Couillard à tenter de dénigrer la faisabilité d’une amélioration des services ferroviaires en Gaspésie, comme si le mot d’ordre consistait à rendre cette opération inaccessible.
 
Le 3 mars 2015, le lendemain de l’annonce de l’achat du tronçon Matapédia-Gaspé par le ministère québécois des Transports, le ministre de l’époque, Robert Poëti, lors d’un déjeuner organisé par la Chambre de commerce de la Baie-des-Chaleurs, tente de justifier la mise en dormance du tronçon Percé-Caplan en statuant qu’il n’y a pas de potentiel de transport, mais que le tronçon sera réparé quand des clients se manifesteront. Il avait alors laissé ouvert l’axe Gaspé-Percé pour le train touristique Amiral.
 
Lors de son discours, M. Poëti évoque aussi le potentiel qu’une propriété du tronçon par Transports Québec offre pour un éventuel retour du train de passagers de Via Rail.
 
« On pourrait transporter 70 personnes par jour. Ah, non, c’est trop. Disons 30-40 », dit l’ex-ministre.
 
Il était bien mal informé, ou bien il tentait de minimiser le nombre de passagers susceptibles d’utiliser un train de passagers en Gaspésie. S’il avait fait ses devoirs, Robert Poëti aurait su que le train de passagers de Via Rail, lors de sa dernière année de services jusqu’à Gaspé, en 2011, transportait en moyenne de 180 à 185 personnes par voyage.
 
À la fin de septembre 2015, le même ex-ministre Poëti fait passer, sans fournir de preuve, le coût de réfection du pont de Haldimand de moins d’un million de dollars à 4 millions. Transports Québec, qui devait ouvrir la voie ferrée entre Gaspé et Percé durant la saison de croisières, a failli à la tâche, alléguant des réparations trop coûteuses.
 
Le ministre Poëti, toujours à la même époque, impute également un déficit d’exploitation de 200 000 dollars pour les deux premières années d’exploitation de l’Amiral, alors que cette somme incluait des équipements à amortir sur plusieurs années. Encore là, tout semble être mis en œuvre pour justifier la fermeture du tronçon Gaspé-Percé, qui est mis en dormance à son tour, cet automne-là. Le train Amiral, du reste, est toujours coincé à Gaspé, depuis juin 2014.
 
Le successeur de Robert Poëti aux Transports, Jacques Daoust, qui a quitté la politique en août 2016 en raison de sa piètre tenue (il est soupçonné d’avoir menti) dans le dossier Rona, a aussi fait « sa part » pour freiner le dossier du chemin de fer.
 
En mars 2016, en commission parlementaire, il répond au député de Gaspé à l’Assemblée nationale, Gaétan Lelièvre, qu’il faudrait 32 millions de dollars pour réparer la section Gaspé-Percé. Personne ne sait où Jacques Daoust a pris ce chiffre, excepté peut-être des gens de Transports Québec.
 
Les tableaux des deux dernières études portant sur la réfection du chemin de fer gaspésien sont pourtant clairs. Dans le pire scénario, celui d’AECOM, la somme requise est évaluée à 25,2 millions de dollars pour Gaspé-Percé, tandis que l’étude de Canarail établit le montant à 20 millions.
 
De plus, ces sommes, moyennant le parachèvement de travaux de réparation amorcés en 2013 sur le pont de Haldimand, n’excluent pas la circulation de trains à poids assez limité comme l’Amiral, avec une locomotive de 124 tonnes et des wagons de 50 tonnes, des charges très inférieures à des trains de marchandises conventionnels.
 
Il faut noter que les travaux du pont de Haldimand n’ont pas été repris après le changement de gouvernement, en avril 2014, le gouvernement Couillard n’ayant pas accordé un seul sou à l’infrastructure ferroviaire en bientôt trois ans. Le solde pour compléter la réfection de ce pont était à ce moment largement inférieur à 1 million de dollars.
 
Un autre élément fait douter des efforts du cabinet du gouvernement Couillard pour régler au plus coupant la réfection du chemin de fer, l’absence de dialogue avec le gouvernement fédéral, promoteur d’un programme d’infrastructures de milliards de dollars pour les années à venir.
 
Quand Jean D’Amour était ministre responsable de la Gaspésie, il insistait pour dire que le gouvernement québécois misait beaucoup sur ce programme d’Ottawa pour aller chercher une partie du financement attendu pour l’axe Matapédia-Gaspé, alors qu’il était encore la propriété de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, ou après la prise de contrôle de Transports Québec.
 
Ministre québécois responsable de la Gaspésie depuis le 28 janvier 2016, Sébastien Proulx a quelques fois exprimé son impatience à propos de la lenteur de l’évolution du dossier de réfection ferroviaire par d’autres ministères que le sien.
 
Le 12 janvier, quand il a été questionné sur ses attentes par rapport à une éventuelle contribution d’Ottawa dans le chemin de fer gaspésien, le ministre a d’abord pensé qu’il s’agissait de Via Rail. Quand la presse lui a fait remarquer qu’il s’agissait du programme d’infrastructures pouvant assister Transports Québec, il a indiqué que « je ne fais pas partie de ces discussions ».
 
Il est permis de penser que les paroles de Jean D’Amour en 2014 et en 2015 ne sont restées que des paroles, justement. La ministre fédérale Diane Lebouthillier n’avait en décembre 2016 manifestement jamais entendu parler d’une possible contribution de son gouvernement dans la réfection du tronçon gaspésien. Elle a indiqué qu’Ottawa « ne s’ingérera pas dans un dossier de juridiction provinciale ».
 
En janvier 2017, le ministre Proulx a indiqué que son gouvernement avait réservé 50 millions de dollars pour la réfection du chemin de fer gaspésien, mais que c’était pour un retour du train de passagers de Via Rail jusqu’à New Carlisle. Il signifiait que la priorité mise par les meneurs socio-économiques sur la nécessité de rendre des trains de marchandises jusqu’à Gaspé forçait son gouvernement à « retourner en analyse ».
 
Considérant que l’étude de Canarail évalue la réfection de l’ensemble du tronçon à 86 millions de dollars, donc pas si loin des 50 millions, il serait permis de penser qu’un gouvernement agissant de bonne foi sera tenté de régler la question ferroviaire en Gaspésie une fois pour toutes, et positivement.
 
Les agissements des divers ministres assignés au dossier depuis près de trois ans laissent toutefois planer plus d’un doute sur cette bonne foi.

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