• lundi 18 novembre 2024 14 h 46

  • Météo

    5°C

  • Marées

Actualités

22 mars 2016 11 h 36

BABY-BOOMERS À REMPLACER, REPRENEURS DIFFICILES À TROUVER

L’ANSE-À-BEAUFILS – Le couple Léonie Nadeau-Girard et Kim Levan vient de prendre la relève du gîte Aux jardins de l’anse, à L’Anse-à-Beaufils, qui offre aussi des ballades en traîneau à chiens. Un exemple trop rare de transfert d’entreprise alors qu’en Gaspésie, les gens d’affaires  vieillissent et la relève manque.

Léonie Nadeau-Girard, 37 ans, est sommelière de métier; son conjoint Kim Levan, 40 ans, mécanicien automobile. Jusqu’à l’an dernier, ils habitaient le Plateau Mont-Royal, à Montréal. Mais ils avaient envie de nature.

En 2012, en camping au bord de la rivière de L’Anse-à-Beaufils, ils ont commencé à rêver. Leur rêve a pris forme l’an dernier, quand ils ont pris la relève de Jean-Guy Poirier.

M. Poirier exploitait son gîte depuis 2008. « J’aurais continué peut-être encore quatre ou cinq ans. Mais j’avais assisté à une formation sur la relève […] où l’on expliquait l’importance de planifier une relève. Ça a été le déclencheur, avant que Léonie et Kim viennent. J’avais vu aussi le Gargantua [une auberge mythique de Percé] sans relève. »

M. Poirier a des liens forts avec le couple. Ami du père de Léonie, il la connaît depuis sa naissance. « Dans mon esprit, c’était la solution idéale […]. Une entreprise qu’on démarre, c’est un peu comme notre bébé, le prolongement de soi. Si ça reste dans la famille, c’est plus intéressant. »

Manque de relève

M. Poirier fait partie des chanceux. En Gaspésie comme dans l’ensemble du Québec, « la disponibilité des repreneurs n’est pas au rendez-vous », dit Lucie Rolland. Cette conseillère du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ) accompagne des cédants et des repreneurs de la Gaspésie et des Îles depuis novembre dernier.

Le CTEQ tient un index des entreprises à vendre et des acheteurs potentiels. Pour une dizaine de cédants, il y a un seul repreneur inscrit, rapporte Mme Rolland. Et des firmes sont en péril faute de relève, ajoute-t-elle.

Il n’y a pas de données récentes spécifiques à la Gaspésie sur la relève d’entreprises. La Fondation de l’entrepreneurship prévoit qu’en 2020, le Québec sera aux prises avec un déficit de 110 000 releveurs.

« Au Québec et au Canada, l’entrepreneuriat n’est pas un réflexe naturel. Ce n’est pas le premier choix des jeunes qui sortent de l’université. Dans les institutions d’enseignement, les programmes sont plutôt cadrés vers des professions, pas vers l’entrepreneuriat », explique Mme Rolland.
La moyenne d’âge des gens d’affaires au Québec était de près de 50 ans en 2015. En Gaspésie, c’est sans doute davantage. Dans la région, la petite taille des entreprises permet à leurs propriétaires de rester actifs plus longtemps. Mais il y a quand même des limites.

Une scierie à reprendre

Adalbert Blais est propriétaire de la Scierie Blais de Val-d’Espoir. « Ma scierie va bien, mais j’ai des problèmes de santé. J’ai 61 ans et je ne veux pas que ça s’éteigne. »

« On n’a pas d’enfant. J’ai un employé qui est avec moi presque depuis le début mais la gestion, ce n’est pas son fort », poursuit M. Blais. Il a commencé à parler de son projet de relève autour de lui.

« Certains sont intéressés à travailler mais n’ont pas les fonds et les connaissances. Il faudrait qu’ils fassent un bout de chemin avec moi. Je suis prêt à rester une couple d’années avec la personne. Mon problème a toujours été de trouver de la main-d’œuvre. Je verrais peut-être une petite coop avec trois ou quatre personnes. »

« Des entreprises m’appellent et me disent : je n’ai pas envie que mon entreprise meure, rapporte Mme Rolland. Et ce n’est pas juste une question de retour sur l’investissement. Les gens prennent de plus en plus conscience de l’impact de leur entreprise sur l’économie locale. »

Des outils envolés avec l’austérité

Dès 2014, Jean-Guy Poirier a fait des démarches auprès du Centre local de développement de Rocher-Percé, aboli depuis. « On m’avait expliqué tous les programmes pour la relève. J’avais dit à Léonie et Kim : inquiétez-vous pas, vous allez être supportés! Mais avec l’austérité, tout ça a disparu.

Les gens voulaient encore les aider, mais ils n’avaient plus les outils pour le faire. »

Dans la foulée des compressions, les banques et les caisses sont devenues plus frileuses, note M. Poirier. Et les décisions s’éloignent des régions, remarque M. Levan. « Toutes les institutions financières nous disaient : il faut que ça passe par notre centre de financement, à Montréal, à Rimouski. Les gens à qui on parlait disaient : on comprend votre situation, mais la décision n’est pas entre nos mains. »

Malgré une mise de fonds importante, Mme Nadeau-Girard et M. Levan se sont vu refuser un prêt. C’est finalement M. Poirier lui-même qui a financé le prêt hypothécaire du couple.

Pourtant, le timing est bien mauvais pour laisser la relève à elle-même. « On tombe dans un moment charnière important, où les jeunes de notre âge sont prêts à développer des entreprises, et où les baby-boomers sont prêts à laisser leur place », dit Mme Nadeau-Girard.

Un mentor à domicile

On ne peut pas reprocher à Jean-Guy Poirier d’avoir laissé sa relève à elle-même. Il habite tout près et vient pratiquement tous les jours. « Tout s’est fait très naturellement. On peut avoir réponse à nos questions à toute heure du jour », dit Mme Nadeau-Girard.

« Je savais que comme hôteliers, ils allaient être très bons », dit M. Poirier. Sur l’aptitude du couple à s’occuper de la vingtaine de chiens de traîneau, il avait plus de doutes, avoue-t-il. Une inquiétude injustifiée, observe-t-il aujourd’hui.

« Au début de l’hiver, on a fait cinq sorties sans touristes. Puis je me suis retiré graduellement. Depuis deux semaines, ils partent seuls. C’est un peu frustrant, ils n’ont plus besoin de moi! », lance M. Poirier.

Mme Nadeau-Girard et M. Levan ont envie de réussir. Et pas seulement pour eux-mêmes. « Je veux faire au moins aussi bien que Jean-Guy, ou mieux », lance Mme Nadeau-Girard. « On veut qu’il soit fier. On ne veut surtout pas le décevoir », ajoute M. Levan.