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11 juin 2021 15 h 55

Chronique d’une être humain devenu journaliste

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CARLETON-SUR-MER | Je suis venue au monde, petit bébé prématuré de sexe féminin, par un jeudi caniculaire de juillet au centre hospitalier de Shawinigan-Sud, en Mauricie. Je fus, dès ma naissance, déclarée vivante, viable et humaine, puis élevée dans une famille aimante et gentiment imparfaite comme il y en a des milliers d’autres au Québec. Je suis devenue une adolescente et une étudiante ordinaire.

À 16 ans, j’ai opté pour le métier de journaliste, que mon père avait choisi avant moi, probablement parce que…
-j’avais grandi en écoutant les nouvelles;
-je récoltais des notes impressionnantes dans mes compositions écrites au primaire et au secondaire et les participes passés ne me faisaient pas trop souffrir;
-j’étais une vraie nullité en maths (à un point où ça influence un choix de carrière).

Mais bref. Jusque-là, tout va plutôt bien : tout le monde saisit, je crois, que je ne mérite pas d’être brûlée sur un bûcher. Mais après, ça a changé. Le Québec est devenu Salem, et moi, une ignoble sorcière.

Car officiellement, c’est avec la pandémie de COVID-19, 17 ans après le début de mes études en journalisme, qu’aux yeux de certains, j’ai cessé d’être humaine, comme tous les autres journalistes.

Un déferlement de commentaires tout à fait gratuits et blessants, déjà présent, a gagné du terrain en même temps que le virus. Nous, journalistes, sommes devenus, tous dans un même panier, les ennemis à abattre sur les médias sociaux et dans les commentaires qui défilent sous certains articles. Dans ces écrits qui me donnent froid dans le dos, nous sommes à la solde du complot, du gouvernement caquiste et de tous ceux qui ont inventé de toutes pièces la crise sanitaire. Nous méritons de perdre nos emplois et parfois, dans les cas les plus extrêmes, nos vies.

Je vous parle d’injures et de menaces que j’ai vues passer sans les compter. Des mots que je ne parviens ni à pardonner, ni à excuser. Adressés à un journaliste en particulier, mais aussi souvent AUX journalistes et AUX médias, comme si nous n’existions que sous la forme d’un infâme pain médiatique.

L’un des exemples les plus probants de cette haine est une vidéo publiée sur YouTube le 7 avril par deux citoyens présents sur les lieux d’un centre de dépistage de COVID-19. Ils invectivent la journaliste Mélissa Fauteux de TVA-Nouvelles, qui ne tentait que de faire son travail. Les mots utilisés sont précisément ceux-ci : « crisse de pourrite », « ostie de pute » et « espèce de conne ».

Bien sûr, on parle d’un cas extrême. Mais même quand nos détracteurs ne trempent pas dans l’extrême, on goûte quand même trop souvent aux mauvaises humeurs, aux généralisations, aux reproches. On note aussi des contradictions ahurissantes. Par exemple, quand un journaliste aborde la COVID-19, il joue au sensationnaliste. Quand il n’en parle pas, les gens lui écrivent ou l’appellent pour se plaindre. Il n’y a absolument rien à comprendre de ce cirque.

Je sais très bien qu’il existe de très nombreux internautes nuancés, respectueux et conscients de l’impact de leurs mots. Je m’adresse ici aux autres, à ceux qui se défoulent sur les représentants des médias comme on massacre sans remords un vulgaire punching bag. Parce que c’est si facile de le faire, galvanisé par ce courage bidon conféré par un écran. Parce que c’est gratuit, que ça défoule, et qu’au fond, ça ne compte presque pas…

Mais oui. Ça compte.
-Même si vous êtes tannés de la pandémie;
-Même si ça joue sur votre humeur;
-Même si vous êtes insatisfaits d’une nouvelle ou de son traitement, de la présence ou de l’absence d’un média.

La question qui me hante depuis des mois est celle-ci : que croyez-vous?

Que nous prenons un malin plaisir à vous annoncer des restrictions sanitaires qui étiolent votre santé mentale, à l’heure où toutes les problématiques sociales tendent à s’exacerber, notamment la violence conjugale et le suicide?
Que notre activité dominicale préférée consiste à compiler les cas de COVID-19 ou à compter les morts? Qu’on se couche tout contents le soir parce que la pandémie qui tue des gens et qui bouleverse des quotidiens nous donne enfin quelque chose de croustillant à écrire?

Les journalistes sont au front depuis plus d’un an, car le public a le droit et mérite d’être informé. En dépit des gérants d’estrade, ils demeurent aux premières loges. Ils font ce qu’ils peuvent pour que vous puissiez suivre
même quand nous n’avons pas encore toutes les réponses. Ils valident, colligent, confirment, recherchent. Ils le font par acquis de conscience, mais aussi parce que c’est nécessaire.

Cela semble difficile à croire à la lumière de ce que j’ai lu au cours des derniers mois, mais je vais vous en raconter une bonne : nous, journalistes, sommes TOUS humains et il n’existe à ce jour aucune exception à cette règle. Et non, la dernière année ne nous a pas glissé dessus comme la pluie sur le dos d’un canard.

Nous sommes aussi à bout de nerfs. Nos familles nous manquent, à nous aussi. Nous avons perdu un proche, notre emploi, nos repères. Nous avons été relégués, pour la plupart, au télétravail et à tout ce qui vient avec. Nous n’avons pas plus voyagé que vous au cours de la dernière année et nous avons aussi très hâte de rattraper toutes les fêtes gâchées par ce foutu virus. Et de pouvoir prendre ceux que l’on aime dans nos bras.

Je ne demande pas à ceux qui nous traînent dans la boue de nous percevoir en héros, nous faisons notre travail, rien d’autre, et nous ne sauvons pas des vies en opérant à coeur ouvert.

Mais gageons qu’entre héroïne et « ostie de pute », il y a certainement plusieurs compromis possibles.