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Éditorial
23 novembre 2025 14 h 15

Dégivrage des avions à Bonaventure : un test pour le « gouvernement des régions »

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Le transfert aéroporté de patients de la Baie-des-Chaleurs vers des établissements spécialisés à partir de Grande-Rivière plutôt que de Bonaventure en cas de dégivrage d’avionambulance constitue jusqu’à nouvel ordre un échec dans la compréhension des réalités régionales par le gouvernement de François Legault.

La rapidité de correction de cette décision de ne pas reconduire le dégivrage à Bonaventure des avions-ambulances Service aérien gouvernemental témoignera de la capacité de compréhension, ou non, des besoins gaspésiens par le gouvernement de la Coalition avenir Québec.

Rappelons les faits. En 2022, le service aérien du gouvernement, géré par Transports Québec et offrant la desserte de l’avion-ambulance, octroie à la suite d’un appel d’offres un contrat de dégivrage de 527 541 $ à Pascan Aviation pour les années fiscales de 2022 à 2024.

Pendant ces trois années, l’avion-ambulance atterrit 872 fois à Bonaventure. En 25 occasions, le mauvais temps convainc les autorités de considérer la nécessité de dégivrer l’appareil, mais cette opération n’est finalement réalisée que six fois.

Le coût unitaire du dégivrage s’est donc établi précisément à 87 923 $ à Bonaventure. Annuellement, on en est arrivé à une moyenne de 175 847 $, de 2022 à 2025.

Il y a deux façons de voir les choses. Le dégivrage est une assurance. Généralement, bien qu’on paie avec réticence une assurance, on est content de l’avoir et on espère ne pas s’en servir souvent, idéalement de ne pas l’utiliser du tout. On espère essentiellement payer pour rien.

Deuxièmement, il faut poser la question suivante : cette assurance peut-elle coûter moins cher, tout en maintenant la même efficacité en cas d’intervention? La réponse est oui dans le cas du dégivrage à Bonaventure.

La preuve existe à l’aéroport de Grande-Rivière, une infrastructure propriété de la MRC du Rocher-Percé, où le service aérien du gouvernement québécois paie entre 300 $ et 500 $ par dégivrage quand l’avion-ambulance y atterrit.

L’équipement de dégivrage appartient à l’aéroport. Des employés de cet aéroport s’y rendent quand la situation l’exige.

Ce modèle pourrait-il être institué à Bonaventure, même si le mode de propriété est différent, puisque cette infrastructure appartient à Transports Québec? Bien sûr que oui : si un ministère est capable de confier le dégivrage à une firme privée comme Pascan Aviation pendant trois ans, pourquoi un ordre de gouvernement local comme une MRC ou une ville ne pourrait-elle pas y parvenir avec la même fiabilité, à plus forte raison quand la MRC voisine y arrive?

C’est un enjeu de bonne volonté, de formation de personnel et de logique.

Une question de sécurité

Quand un dégivrage est requis dans un aéroport, il est permis de penser que les conditions routières sont loin d’être idéales. L’aéroport de Bonaventure est situé à 45 kilomètres de l’hôpital de Maria, l’institution de santé de référence dans la Baie-des-Chaleurs. L’aéroport de Grande-Rivière, qui dessert essentiellement l’hôpital de Chandler en cas de transfert médical, est situé à 175 kilomètres de Maria. Il faut compter près de deux heures pour parcourir cette distance sur la route par temps idéal. Selon Transports Québec, transférer des patients de Maria vers Grande-Rivière ne causera pas de délai d’intervention puisque l’équipe du Service aérien gouvernemental de l’État

 Quand un dégivrage est requis dans un
   aéroport, il est permis de penser que les
   conditions routières sont loin d’être idéales.

québécois ne décolle pas immédiatement de Québec en cas de demande. Il faut une heure de préparation avant le décollage. Si on ajoute de 50 à 75 minutes pour se rendre en Gaspésie, selon le type d’appareil utilisé, l’avion arrivera à Grande-Rivière deux heures après la demande d’assistance.

Théoriquement, le véhicule de transfert étant parti de Maria arrivera à peu près en même temps.

Ça, c’est en cas d’hypothétiques conditions routières idéales. C’est loin d’être garanti quand un dégivrage est requis à l’aéroport. Si l’appareil est givré, les routes pourraient l’être aussi!

De plus, de l’avis de plusieurs membres du corps médical et infirmier initiés aux transferts interhospitaliers, le temps passé sur la route peut avoir une incidence majeure sur l’état des patients. On ne transfère pas ces patients pour une écharde au doigt. Il s’agit essentiellement de cas inquiétants, graves ou critiques, ayant d’abord été stabilisés dans un premier hôpital, et qui sont très vulnérables sur la route, loin des outils de traitement de pointe.

C’est sans compter le temps que ces patients devront passer dans l’avion. Il s’agit d’appareils bien équipés, dotés de personnel spécialisé et dévoué, mais ce n’est quand même pas l’endroit idéal pour les traiter, comme la route ne l’est pas.

Transports Québec, dans son évaluation, ne fait aucune mention du fait que l’aéroport de Grande-Rivière est un peu plus éloigné de Québec que celui de Bonaventure, pour les appareils qui viendront chercher des patients du côté sud de la Gaspésie. Il ne s’agit pas ici de dire que l’aéroport de Grande-Rivière est mal situé, très loin de là, mais si on peut réduire la distance entre le patient et les services spécialisés de Québec, pourquoi prendre un risque, dans une discipline, la santé en urgence, où chaque minute compte?

Pour le moment, le service des communications de Transports Québec affirme qu’il n’y aura pas de dégivrage à Bonaventure cet hiver. Pourtant, il y aurait moyen, pour une année, de s’entendre à un coût bien inférieur à celui découlant de l’appel d’offres accordé à Pascan en 2022. Après tout, avant 2022, Pascan dégivrait l’avion-ambulance au besoin, selon une entente de gré à gré. Ce serait assurément possible d’y arriver avec un gouvernement de proximité.

Le 10 novembre, le maire Pierre Gagnon et le conseil municipal de Bonaventure ont soumis à Transports Québec une proposition pour assurer le dégivrage au cours des prochains mois à l’aéroport local. On demande une contribution de 80 000 $ à ce ministère. C’est deux fois moins que le coût annuel établi par Pascan entre 2022 et 2025.

La somme demandée par la Ville de Bonaventure comprend l’acquisition d’un équipement, neuf ou usagé, et le service assuré par des employés sur appel. L’administration municipale signale à Transports Québec que les MRC de Bonaventure et d’Avignon, de même que la Ville de Bonaventure, contribueront s’il le faut.

Pourquoi risquer une tragédie potentielle au cours des prochains mois? La MRC de Bonaventure et les municipalités qui la composent comptent à peu près toutes des employés sur appel. Ils sont formés sur plusieurs plans. Plusieurs d’entre elles et d’entre eux seraient tout à fait capables d’ajouter une corde à leur arc. Qu’attend Transports Québec?