Distribution d’électricité par le secteur privé : et si le gouvernement québécois consultait le public?
À la mi-janvier, un reportage de Radio-Canada a mis en lumière l’imminence du dépôt d’un projet de loi qui accordera au secteur privé la possibilité, non seulement de produire de l’électricité, mais de la vendre à un consommateur privé, venant essentiellement de la grande industrie.
Le producteur et le grand consommateur éviteraient ainsi que l’énergie soit confiée à l’entreprise publique Hydro-Québec à des fins de distribution. On peut deviner que dans le modèle de projet de loi sur lequel travaille le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, le réseau d’Hydro-Québec pourrait parfois être utilisé comme lien entre le producteur et le consommateur.
L’électricité a été nationalisée au Québec le 1er mai 1963, à partir d’un mandat soumis au vote populaire du 14 novembre 1962, lors d’une élection déclenchée prématurément par le gouvernement libéral de Jean Lesage, puisqu’élu seulement deux ans auparavant. L’enjeu avait été jugé suffisamment crucial par Lesage et son ministre des Richesses naturelles, le Gaspésien René Lévesque, pour que l’élection constitue un référendum sur la nationalisation de la production et de la distribution d’électricité.
Créée en 1944, Hydro-Québec allait désormais jouer un rôle déterminant dans notre avenir économique en raison de l’élan que le gouvernement Lesage, et les gouvernements subséquents, allaient donner à la production et à la distribution d’énergie. Il faut dire qu’au début des années 1960, certaines parties du Québec étaient fort mal desservies par le secteur privé, en raison d’un réseau déficient et de tarifs exorbitants.
Malgré la nationalisation, certains producteurs d’électricité, qu’on pense à ce qui s’appelait alors Alcan, maintenant Rio Tinto Alcan, ont pu conserver leurs barrages, au Saguenay par exemple. Cette exemption avait été basée sur le fait qu’Alcan était une firme canadienne, créant de l’emploi au Saguenay et utilisant l’énergie pour la production d’aluminium.
Et le public dans tout ça?
Depuis 60 ans, quelques projets de production d’électricité ont échappé à Hydro-Québec, notamment dans des cas de remise sur pied de certains vieux barrages. La distribution a toutefois été essentiellement confiée à la société publique. Les parcs éoliens érigés depuis 25 ans sont aussi la propriété de compagnies privées, mais leur énergie est vendue directement à Hydro-Québec à des fins de distribution sur le réseau.
Le projet de loi présentement concocté par le ministre Fitzgibbon déboucherait sur un retour au modèle pré-1962, sans qu’on en connaisse l’ampleur par contre, sans doute avec quelques exceptions qu’il sera plus facile d’analyser quand son libellé sera connu.
La grande différence entre le parcours de 1962-1963 et le parcours actuel, c’est que le modèle Fitzgibbon, ce champion des raccourcis, escamote toute consultation publique. Il n’en a pas été du tout question lors de la campagne électorale de 2022!
Ce n’est pas très surprenant quand on regarde la façon d’agir du gouvernement de la Coalition avenir Québec, qui a adopté le projet de loi 15, modifiant la gestion du gigantesque système de santé, après quelques dizaines d’heures de débat en commission parlementaire.
Que dire du projet Northvolt, à propos duquel le gouvernement a pensé que c’était une bonne idée de le soustraire à un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, en changeant d’avance les règles pour favoriser ce court-circuit?
Nous sommes en présence d’un gouvernement qui consulte peu, comme dans le cas du projet de loi 15, ou mal, dans le cas du caribou montagnard, parce qu’il s’agissait de gagner du temps au lieu de faire respecter des avis d’experts qui devraient être appliqués depuis des années. On voit aussi un gouvernement qui ne consulte pas du tout, comme dans ce qui pointe à l’horizon en matière de distribution d’énergie. Le projet de loi sera soumis en commission parlementaire, mais ce n’est pas une vaste consultation sur un enjeu fondamental, ça!
Le cheminement du gouvernement de François Legault est du reste difficile à suivre en matière d’énergie. Le premier ministre lui-même a démonisé l’énergie éolienne pendant les 28 premiers mois de son premier mandat, avant de voir la lumière en février 2021 par le biais de l’approbation du projet Apuiat, sur la Côte-Nord.
M. Legault est passé de chantre du passage à tabac de l’énergie éolienne à défenseur débridé de toutes les formes de production quand il a réalisé que les surplus d’électricité, desquels il parlait constamment lors des campagnes électorales de 2014 et de 2018, n’existaient pas.
Une consultation est nécessaire
À l’occasion d’une contorsion qu’il s’est lui-même imposé en raison d’une très mauvaise lecture du contexte énergétique, le gouvernement Legault est pris entre sa volonté de faire du Québec la « batterie de l’Amérique du Nord », et l’absence d’une marge de manoeuvre pour y arriver.
On dirait qu’il tente de s’en sortir en concentrant ses efforts sur la production de batteries plutôt qu’une production incontrôlée d’électricité, ce qui serait une utopie. Le boys’ club qui mène ce gouvernement voit tout de même la nécessité de hausser la production québécoise d’énergie, même s’il semble abaisser son ambition initiale.
Avant tout dépôt « du projet de loi Fitzgibbon», il faut notamment répondre aux questions suivantes. Jusqu’où veut-on se rendre en matière de production d’énergie? Pourquoi ne met-on pas en branle au plus coupant une vaste politique d’économie d’électricité, alors que nos maisons et nos édifices sont souvent des passoires? Vers quelles sources d’énergie devons-nous concentrer nos efforts? Comment allons-nous déployer nos choix dans le temps?
La question concerne la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, du point de vue citoyen, parce que nous avons le droit d’être consultés. De plus, nous vivons dans une région productrice d’énergie depuis maintenant 25 ans, en vertu de l’apparition de parcs éoliens dans le paysage. Ce paysage risque d’ailleurs de changer si le gouvernement Legault pèse sur l’accélérateur.
Une telle consultation prend du temps à organiser et nécessite une logistique pour la tenue de rencontres, sans compter la rédaction d’un rapport.
Il reste encore 30 mois avant la campagne électorale de 2026. L’exercice de consultation est réalisable. Il devrait être obligatoire pour un enjeu aussi déterminant que l’énergie dans un Québec qui en produit beaucoup.
Si le gouvernement Legault refuse de faire un pas de côté parce que l’exercice de consultation lui semble trop compliqué et ambitieux pour être tenu d’ici l’été 2026, il pourrait bien se retrouver sur les banquettes de l’opposition après le prochain scrutin.
François Legault, dont le gouvernement a vécu une année de misère en 2023 au point qu’il a demandé une boussole, avec une pointe d’ironie, à la conclusion de la session d’automne, a une occasion de montrer qu’il respecte suffisamment les Québécois pour initier une consultation globale, une vraie, sur ce que la population souhaite en matière d’énergie.
Pourquoi pas une élection référendaire en 2026 sur une stratégie énergétique claire? La dépouille de René Lévesque pourrait bien tourbillonner dans sa tombe si les Québécois ne sont pas consultés.