Dialoguer avec les morts
CHRONIQUE | Carleton-sur-Mer | L’actualité des derniers jours nous confronte. Elle nous pousse à en déduire que l’humain apprend peu en regard des erreurs du passé. De nos jours, des hommes et des femmes, contraints de quitter leur pays pour des raisons politiques, risquent quotidiennement leur vie pour espérer accéder à un semblant de bonheur.
Pourtant, il y a 172 ans, en 1847, des Irlandais catholiques, oppressés par les autorités britanniques, mettent le cap sur le Canada au péril de leur vie. Au large de Cap-des-Rosiers, Le Carricks sombre, faisant de nombreuses victimes. Les ossements retrouvés dans ce village côtier en 2011 et 2016 confirment le sort tragique de ces Irlandais.
Une puissance mondiale
En ce milieu de 19e siècle, l’Empire britannique brille par sa puissance incontestable. Il s’approprie des territoires sur tous les continents, transportant dans ses bagages le colonialisme anglais et les ravages de l’assimilation. Conquise depuis des siècles, l’Irlande tente de résister et de protéger sa culture. Les forces de Sa Majesté ne l’entendent pas ainsi. Les Irlandais de confession catholique se voient dans l’obligation de devenir des sujets britanniques à part entière en prêtant un serment d’allégeance à la Couronne britannique. La vie de ces Irlandais en leur propre pays est intenable, à un point tel que leur survie est menacée par la maladie de la pomme de terre, qui provoque une famine sans pareil. Dès lors, la mort devient la compagne des Irlandais.
La solution : partir
Pour déjouer les plans de la faucheuse, les Irlandais n’ont d’autres solutions que de fuir le pays qui les a vus naître. Des embarcations transportent donc des centaines de milliers d’Irlandais vers l’Amérique dans des conditions inhumaines. Le voilier anglais Carricks quitte le port de Sligo, en Irlande, le 5 avril 1847, naviguant vers Québec, également sous domination britannique. Faisant 87 pieds de long, on trouve à bord de ce navire 173 immigrants, hommes, femmes et enfants, en plus des membres d’équipage. Le Carricks est surchargé. Pas étonnant que l’on surnomme ces navires « bateau-cercueil ». Les vivres sont contaminéset nettement insuffisants. Le choléra rôde et sème la mort. On jette les corps par-dessus bord.
Dans la nuit du 27 au 28 avril 1847, après 22 jours de traversée, Le Carricks s’apprête à remonter vers le fleuve Saint-Laurent. Mais les eaux du golfe sont déchaînées par le vent, la pluie et le verglas. En l’absence de phare sur la pointe du Cap-des-Rosiers, le navire se fracasse sur les récifs, près de la côte, entraînant dans la mort 87 personnes qui sont enterrées dans une fosse commune. Le destin sélectionne 48 survivants à cette traversée infernale, dont une douzaine choisissent de s’enraciner dans la péninsule.
Se souvenir
Parcs Canada vient de confirmer ce que les anciens du secteur de Cap-des-Rosiers savaient depuis longtemps : les corps retrouvés lors des travaux de réfection de la route coïncident avec ceux des immigrants irlandais naufragés. Dans le même élan, on a annoncé que les restes des victimes seront enterrés près du monument commémoratif au naufrage du Carricks au cours de l’été.
Force est de constater que plus ça change, plus c’est pareil. L’Empire britannique n’est plus ce qu’il a déjà été, le géant américain ayant pris le relais de la domination mondiale. Et que dire du nombre de victimes anonymes qui ne cessent de s’accumuler en ces temps instables, que ce soit en Méditerranée ou à la frontière entre les États-Unis et le Mexique…
Comme le disait le regretté Léo Ferré, «la lumière ne se fait que sur les tombes». Peut-être bien. Tant que la mort ne frappe pas, on oublie que la vie tient à quelques ficelles et que certains êtres humains sont « plus égaux que d’autres ». Avant d’exiger la fin de la misère, souvenons-nous de ces gens d’hier à aujourd’hui qui se sont tus en tentant de vivre dignement.