Docteur Simon Phaneuf; Maîtriser les déterminants de sa santé
Depuis septembre, GRAFFICI vous présente des scientifiques qui, tant en sciences naturelles qu’en sciences humaines, contribuent à l’avancement des connaissances en direct de la péninsule. Grâce à leur expertise et à leurs connaissances pointues dans leur domaine de prédilection, ils démontrent qu’il est fort possible de faire rimer les mots « Gaspésie » et « science ». Cette fois, nous vous présentons un médecin de Gaspé au parcours impressionnant. Le docteur Simon Phaneuf, qui cumule plusieurs postes clé dans le domaine de la santé, est notamment le premier Québécois à mettre la main sur la certification américaine de Lifestyle Medicine [médecine par le mode de vie].
GASPÉ | « Je n’avais plus le goût de retourner en ville. » En 2011, au coeur d’un périple à la barre de son voilier, dans le golfe du Saint-Laurent, le médecin Simon Phaneuf cède à ce projet longtemps nourri : pratiquer la médecine sur la pointe gaspésienne. « Je n’ai jamais beaucoup aimé la ville, j’aime mieux les grands espaces, la mer, les montagnes, expose celui qui pratique la médecine du sport et de l’exercice à la Clinique Synergie, à Gaspé. D’ailleurs, il y a des bénéfices [sur la santé] à faire de l’exercice en plein air, comme le contrôle du stress », enchaîne-t-il, dévoilant du coup cette spécialité médicale sur laquelle il fonde sa pratique : la médecine par le mode de vie.
Débarqué à Gaspé en 2012, le docteur Phaneuf cumule depuis les postes : urgentologue, président du comité régional de traumatologie au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Gaspésie et chef de la direction scientifique de Dymedso, entreprise traitant les patients atteints de maladies respiratoires par l’utilisation d’ondes acoustiques. Et ce, en plus de sa pratique en clinique. En 2019, le médecin ajoute une corde à son arc, alors qu’il devient le premier Québécois à obtenir la certification américaine de Lifestyle Medicine [médecine par le mode de vie]. « C’est la spécialité en plus forte croissance aux États-Unis », note Simon Phaneuf.
De manière succincte, l’approche consiste à prévenir et traiter des maladies chroniques par des changements dans le mode de vie, essentiellement sur les plans de l’alimentation, de l’exercice physique, du contrôle du stress ou encore au niveau de l’environnement social. « Les études démontrent que près de 85 % des maladies chroniques [cancer, infarctus, hypertension, diabète, etc.] sont évitables ou traitables par des changements dans les habitudes de vie », explique le médecin.
C’est d’abord à l’urgence, au contact de patients à la santé précaire, que l’idée de la médecine préventive se fraie un chemin en Simon Phaneuf, puis, alors muni d’une certification en médecine du sport, lorsqu’il côtoie des patients sédentaires et en surpoids avec des problèmes aux genoux, par exemple. « Je peux essayer de traiter, mais si on ne tient pas compte du reste, ça ne donne rien. » Le reste, ce sont ces changements d’habitudes de vie, dont l’un des piliers est l’alimentation.
L’exercice physique est l’un des piliers de la Lifestyle Medicine. [médecine par le mode de vie]. Photo : Jacques Gratton
L’alimentation, nerf de la guerre
La spécialité Lifestyle Medicine conseille d’adopter une alimentation à base d’aliments complets d’origine végétale. Tout ce qui provient de l’animal est contre-indiqué. « Il n’y a pas de bénéfice à manger des produits d’origine animale, assène le docteur Phaneuf. Au niveau de la santé, on n’a pas besoin de ça, on n’est pas fait pour ça, l’humain. »
Dans les dernières décennies, les effets pervers liés aux régimes carnés et à la consommation de dérivés de l’animal ont été vastement détaillés, souligne Simon Phaneuf. Par exemple, la volaille et les oeufs sont pro-inflammatoires et contribuent à la maladie vasculaire, les protéines de lait sont des agents promoteurs de cancer puissants, les viandes rouges et transformées (le jambon, par exemple) augmentent les risques de maladies du coeur et de certains cancers, etc. Quant aux aliments déjà préparés ou transformés, comme la majorité des céréales présentes sur les étagères des supermarchés, ils regorgent de sucre, de gras ou de sel, tous nocifs à un certain niveau. « On ne peut pas acheter ça, il n’y a rien qu’on peut manger là-dedans à part le gruau nature! », signale celui qui a auparavant enseigné la médecine à l’Université de Sherbrooke.
Si exclure ces produits de son alimentation prévient l’apparition de diverses formes de maladie, l’adoption de régimes spécifiques peut même remplacer les traitements traditionnels lorsque jumelés entre autres à l’exercice physique, selon le docteur Phaneuf.
« Un des exemples les plus spectaculaires, c’est souvent dans le diabète adulte, le diabète de type 2, soutient le médecin. Quand le diabète est pris dans les premières années du diagnostic, avec des changements dans le style de vie, dans la majorité des cas on peut éliminer le diabète, carrément. » Même chose pour ce qui est du cancer de la prostate en phase précoce ou pour les maladies coronariennes. « Ce qu’on voit dans les programmes du Dr [Dean] Ornish en Californie et du Dr [Martin] Juneau à l’Institut de cardiologie de Montréal, c’est que chez les patients qui ont eu un infarctus ou une crise d’angine et qui embarquent dans un programme de changement de style de vie, il n’y a pas d’événement coronarien, ou très rarement, dans les années qui suivent », expose Simon Phaneuf.
Savoir s’informer
Outre le volet alimentation, la médecine par le mode de vie se fonde sur l’importance de faire de l’exercice physique (la majorité des gens sont trop sédentaires), de contrôler le stress (lui-même ouvrant la porte à de mauvais comportements, comme la malbouffe), de réduire alcool et tabac, d’éliminer les comportements qui nuisent à la qualité du sommeil et, enfin, de donner un sens à sa vie.
Ultimement, Simon Phaneuf pose à travers cette approche un regard critique sur les sociétés occidentales, qui bien qu’elles soient les plus riches, sont celles où l’on compte les taux les plus élevés d’obésité, de cancers du sein et de la prostate, de maladies cardiaques et d’hypertension. « On a des outils thérapeutiques fantastiques, des technologies très utiles, on peut faire des pontages, poser des tuteurs, remplacer des hanches et des genoux, mais ça devrait être des exceptions et non pas la règle », juge l’urgentologue.
Certes, si ces saines habitudes de vie à adopter sont pour la plupart connues par la population, elles tardent à se matérialiser. Au premier chef des raisons expliquant ce décalage, le médecin pointe les mauvaises informations qui circulent. « L’industrie alimentaire fait parfois carrément exprès pour alimenter la confusion chez le consommateur, estime le docteur Phaneuf. L’industrie des boissons gazeuses, aux États-Unis, fait croire aux gens que si on fait assez de sport, on va brûler ces calories-là et que ce n’est pas grave. Ce qui est totalement faux ! » L’industrie alimentaire n’est cependant pas la seule à blâmer. Des informations tronquées, voire erronées, émanent même du secteur médical, parfois sous l’influence de lobbys. « Il y a présentement un médecin aux États-Unis qui dit que les légumineuses sont nocives pour la santé, alors que les études prouvent le contraire, c’est même lié à la longévité. »
Au-delà de la désinformation, Simon Phaneuf estime qu’un travail d’éducation est à faire, autant de la part du soignant que du patient. « On sait que c’est important de bien s’alimenter, mais peu de gens savent ce que c’est de bien s’alimenter, souligne-t-il. La majorité des patients à qui je pose la question me disent qu’ils mangent bien. Mais quand on creuse un petit peu, ce n’est pas si bien que ça. » Par ailleurs, des croyances persistent, comme celle voulant que, sur le plan de la santé, les gènes font foi de tout. « Sauf pour quelques cas rares, en général, que ce soit les maladies cardiaques ou les cancers, la contribution de la génétique est en bas de 10 % », précise le docteur Phaneuf.
Une pratique plus diversifiée en région
Au fil des fonctions qu’il conjugue sur une base quotidienne, le docteur Phaneuf découvre à Gaspé une pratique qui détonne de celle dont il a fait l’expérience dans les établissements de la Rive-Sud de Montréal. Ici, il trouve une proximité qui lui plaît, puisqu’il apprécie toujours discuter avec les patients.
Quant aux tâches qui incombent aux médecins, le peu de spécialistes présents sur le territoire impose une plus grande polyvalence. « On est obligés de faire un bout de chemin plus grand avant de référer [à un spécialiste], expose-t-il. C’est sûr que l’accès à la médecine ultra spécialisée, c’est un petit peu plus compliqué. Mais pour des médecins de médecine générale, je pense que la pratique est beaucoup plus intéressante, tout le monde fait un peu d’hospitalisation et d’urgence. »
C’est alors qu’il navigue à voile dans le golfe Saint-Laurent, en 2011, que Simon Phaneuf prend la décision de s’installer à Gaspé. Photo : Jacques Gratton