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7 juin 2023 15 h 41

Dossier partie 5/5 : La réflexion sur la succession s’amorce maintenant au tournant de la cinquantaine

Gilles Gagné

Journaliste

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NEW RICHMOND ET CARLETON-SURMER | La réflexion portant sur la succession d’entreprise s’amorce probablement plus tôt de nos jours qu’auparavant. Selon un rapport portant sur l’indice entrepreneurial québécois, 68,9 % des propriétaires d’entreprise dans le groupe d’âge 50-64 ans songent à prendre leur retraite dans un horizon de 10 ans. C’est presque le même taux que chez les 65 ans et plus, à 72,8 %.

GRAFFICI a rencontré quelques entrepreneurs ayant déjà amorcé leur réflexion, même s’ils sont dans la jeune cinquantaine.

C’est le cas d’Isabelle Cormier, copropriétaire du Groupe Cormier, de New Richmond, qui possède deux quincailleries avec son frère Mathieu, et de Stéphane Boudreau, qui deviendra sous peu propriétaire unique de l’Hostellerie Baie bleue, de Carleton-sur-Mer.

Isabelle et Mathieu Cormier ont respectivement 51 ans et 47 ans et ils font partie de la troisième génération au sein de l’entreprise. Ils contrôlent le Groupe Cormier depuis 2016, tandis que leur père Jean-Eudes garde un intérêt minoritaire.

« On planifie déjà notre relève, ce que les générations antérieures n’avaient pas fait à notre âge. On se questionne déjà. Je ne suis pas certaine du passage à une quatrième génération. Nous avons de jeunes enfants, très jeunes même. Ce serait différent s’ils étaient dans la vingtaine », aborde Isabelle Cormier.

« Notre père a 79 ans et il est encore actif dans l’entreprise. Il vient à toutes les semaines. C’est sa passion. Il sert les clients quand il vient », ajoute-t-
elle.

Son destin n’était pas tracé d’avance, bien que son frère Mathieu se soit greffé à l’entreprise dès la fin de ses études.

« J’ai réfléchi à la question, moi, en 2008-2009. Je travaillais à Montréal, et je voyais que mon père cherchait une relève. J’étais plus ou moins satisfaite de mon travail à Montréal. Je me suis demandé si j’avais le goût de revenir en Gaspésie et si je voulais reprendre l’entreprise, avec Mathieu. C’est une réflexion d’un an qui s’est alors amorcée », raconte Isabelle Cormier, qui était alors au milieu de la trentaine.

En 2009, son père venait tout juste d’atteindre l’âge officiel de la retraite. Elle est revenue à New Richmond en 2010 pour prendre le poste de directrice générale. Elle et son frère n’étaient pas officiellement actionnaires quand leur père a décidé de réaliser une expansion de 5 millions de dollars en 2014, expansion qui a été inaugurée en mai 2016 dans un tout nouveau bâtiment.

« Il a fallu faire nos preuves au début. Ce qui fait que ça marche, c’est que chacun joue son rôle et respecte le travail de l’autre. Mon père ne fait plus de gestion. Mon grand-père et fondateur de l’entreprise, Jean-Albert, avait pris sa retraite plus vite que lui », note Isabelle Cormier.

Elle et Mathieu n’ont pas participé aux négociations de 2014 menant à l’expansion de 2015-2016.

« Notre père n’a pas voulu impliquer la relève. Le transfert d’actions n’était pas amorcé. Il était planifié, mais nous n’avons pas participé aux
négociations. J’ai trouvé ça difficile. Mon père était habitué de négocier seul depuis tellement longtemps avec les partenaires financiers de Desjardins, services aux entreprises. Les partenaires n’ont pas tendance à s’adresser à la relève dans ces circonstances. Il ne faut pas le prendre personnellement. J’avais 42 ans à l’époque et Mathieu avait 38 ou 39 ans. Maintenant, nous négocions avec les institutions financières », dit Isabelle Cormier, compréhensive.


Stéphane Boudreau sait déjà qu’une valeur sentimentale est reliée à son établissement et à ses employés. Photo : Gilles Gagné

Le rôle de l’enfance

La clé d’une transition réussie découle de la proximité avec l’entreprise dont son frère et elle ont bénéficié dès l’enfance.

« On a été aidés par la simplicité reliée au fait que l’entreprise faisait partie de nos vies dès l’enfance. Notre père habitait à côté du magasin. Notre père avait connu la même chose avec son père. On a joué dans le magasin quand on était petits. On s’est attachés, comme à un autre membre de la famille. Deuxièmement, on a tous travaillé ici en étant étudiants. J’ai commencé à 14 ans et mon frère a fait pareil, On a appris les noms des fournisseurs. On connaissait les employés. Ça crée des liens très forts, et tu intègres ça en toi. Tu connais plein de choses. J’ai vu des gens qui restaient loin, à 250 kilomètres de l’entreprise. C’est sûrement plus difficile », conclut Isabelle Cormier.

À Carleton-sur-Mer, Stéphane Boudreau a d’une part amorcé sa réflexion sur la relève d’entreprise et il a d’autre part développé un fort attachement pour l’Hostellerie Baie bleue, bien qu’il n’ait pas grandi dans un établissement touristique.

À 52 ans et avec le goût de continuer, il ne veut rien précipiter mais il a déjà établi certains paramètres de relève.

« Je ne me lève pas le matin en pensant à la relève. J’aime ce que je fais. Je vois trois choix qui s’offrent à moi présentement. Je trouve un acquéreur, ou je vais céder l’entreprise à ma famille, ou je demeure en poste jusqu’à temps que je meure, avec un gestionnaire fiable. Je resterais alors au sein de l’entreprise, comme une éminence. Les trois choix sont bons. Il reste à évaluer les opportunités », précise Stéphane Boudreau.

« Il y a une question de santé aussi. Si je tombe malade à 55 ans, ça peut orienter mon choix », note-t-il.

Il a acquis l’Hostellerie Baie bleue en 2007 avec trois partenaires. Il contrôle maintenant 90 % de l’entreprise et les pourparlers sont amorcés pour qu’il soit l’unique actionnaire de l’établissement de 116 unités d’hébergement.

« C’est rendu gros, la Baie bleue. Dans un contexte idéal, on verra dans sept à huit ans pour la relève. On monte à 125, parfois 130 employés en période de pointe. La gestion du personnel est de plus en plus complexe, avec des gens à temps partiel qui ne vivent pas avec ça. Avant, la job passait en premier. Maintenant, j’ai des employés qui me demandent de prendre deux semaines l’été pour aller en voyage avec leurs parents. Il y a beaucoup de contraintes. D’un autre côté, j’ai plus de gens qui veulent travailler ici. La pénurie de main-d’oeuvre ne frappe pas aussi fort chez nous, peut-être parce que les salaires sont meilleurs qu’avant la pandémie », analyse M. Boudreau.

Il est père d’une fille évoluant en tourisme international pour le moment, mais il ne lui mettra jamais de pression pour qu’elle assure la relève.

« Mon plan, c’est que ça prend quelqu’un dans le domaine, qui va vouloir agrandir son parc hôtelier, ou ça prend une relève. Je suis entre les deux. Si ma fille, à 23 ans, a un intérêt et la capacité, le sens des affaires, pourquoi pas? Mais en contrepartie, je dois penser que je lâcherai prise dans 6, 7, 8 ans. Je dois voir à passer les rênes », insiste Stéphane Boudreau.

« Le timing idéal n’existera peut-être jamais. Quelqu’un peut arriver avec une offre dans deux ans; je ne serai peut-être pas prêt, mais dans un marché comme la Gaspésie, un moment donné, si tu as une offre, tu vas toujours la considérer. Je suis en réflexion, mais ce que ça sera, je ne le sais pas. Ça se planifie mais il faut que tu gardes les yeux ouverts pour les occasions. Une bonne offre ne repassera peut-être pas », croit-il.

Ayant été au coeur de toutes les modifications de son établissement depuis 16 ans, il avoue avoir développé « un attachement quasiment viscéral » à l’endroit de son hôtel.

« Je vais demander à l’acheteur: “Quelles sont tes valeurs, tes aspirations?” Ce qui fait mal au moment de penser à vendre, c’est quand tu côtoies des employés pendant 15 ans, des gens avec qui tu passes 15 ans de ta vie, que tu vois plus que ta famille; tu ne veux pas les décevoir. Je suis fier de ce que j’ai fait, j’aime Carleton, je ne veux pas les trahir. Si un Chinois ou un Suédois qui a bien de l’argent voulait acheter la Baie bleue et virer ça de bord, je ne sais pas ce que je ferais. J’aurais un problème de conscience. On s’attache à ça, à l’hôtel, et aux employés. Je ne suis pas capable de me détacher facilement d’eux », affirme-t-il.

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