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25 juin 2018 16 h 22

Enseigner en prison : pour le meilleur, sans le pire

NEW CARLISLE ET PERCÉ, juin 2018 – Carole Nadeau et Line Gagné enseignent aux détenus des prisons de New Carlisle et Percé. Elles font face à des élèves motivés, pour qui elles ont l’impression de faire une différence. Et elles n’ont aucune envie de changer de place. Premier de deux textes sur ces enseignantes.

Carole Nadeau avait six ans d’expérience en formation générale aux adultes quand elle a reçu l’offre d’enseigner à la prison de New Carlisle deux jours par semaine, en 2015.

« J’étais excitée par l’idée. Je suis une fille dynamique, qui ne craint pas le nouveau, qui ne veut pas de routine. Sans hésitation, j’ai dit oui. Ce sont la curiosité et le défi qui m’ont amenée à dire oui. Je ne regrette absolument pas », dit-elle. 

Carole Nadeau enseigne le français à des prisonniers « en-dedans » pour moins de deux ans. Son groupe est composé d’une quinzaine d’hommes.

« Ça roule. On est victimes de notre succès », note-t-elle à propos de la taille du groupe. « Ils ont tous un projet et ça avance. Certains d’entre eux veulent leur DES [diplôme d’études secondaires] alors que d’autres sont des anglophones en francisation. J’ai aussi des gens du présecondaire. Ils partent de loin. J’ai des gars qui font des mots croisés et qui veulent juste être meilleurs », décrit-elle.

Ceux qui assistent à ses cours sont motivés et elle encourage ceux qui manquent d’assurance.

« Tu t’es levé, tu t’es brossé les dents, tu es venu, tu es en mouvement, tu as fait un effort. Je les félicite. Je leur dis : « Ça semble banal pour vous mais pour moi, c’est important. Je vous fais écrire. Je vous fais travailler la motricité fine. » On aborde des thèmes, comme la colère. Ça leur permet de ventiler », explique Carole Nadeau.

« Tu me rappelles que je suis vivant »

« Un gars m’a dit : « C’est l’fun, venir ici. Moi, tu me rappelles que je suis vivant ». Je porte des pantalons rouges parfois. Ça fait contraste avec les habits ternes des prisonniers, avec les murs », indique Mme Nadeau.

Elle n’a pas suivi de formation spécifique pour enseigner aux prisonniers. Elle progresse avec quelques consignes des services correctionnels et elle a vite compris certaines règles, un code de vie, dont la discrétion à propos de ses affaires personnelles.

« Tout ce qui ne concerne pas l’enseignement du français, je ne peux pas toucher à ça. Je ne peux pas apporter un journal en dedans. Je ne touche pas à des choses comme une copie du rapport de police d’un prisonnier mais je peux l’aider à écrire une lettre à sa blonde […]. Je ne m’attends vraiment pas à connaître les sentences. Parfois, ils racontent pourquoi ils sont là mais ça ne dure pas longtemps. On tourne la page et on avance », dit-elle.

Carole Nadeau a vite réalisé qu’elle joue un rôle important dans le développement de l’estime de soi des prisonniers.

« Ils ont un problème d’estime de soi et il a un effet de démobilisation. Je veux leur réapprendre à apprendre. « Tu es capable de lire, donc tu as de l’intelligence. On va réactiver tes capacités. Tu as tapé sur ta femme. On va apprendre à exprimer ta colère autrement » », note-t-elle.

Ce contact avec eux lui permet de remettre des choses en perspectives.

« Ils ont un vécu. Certains ont eu tout cuit dans le bec, des bons parents, et ils sont tombés dans la drogue mais il y a aussi des enfants de la rue. Certains ne sont pas conscients qu’ils sont responsables. Ce n’est jamais de leur faute. C’est une microsociété mais c’est « tranquilo », à New Carlisle. Il y a quand même beaucoup de récidive. Il y a six ou sept gars que je revois en trois ans. L’espoir, c’est qu’avec l’âge vienne la maturité. J’en vois un qui est marqué pour la vie mais il sourit encore et il a le goût de faire du français », conclut-elle.

Des enseignantes primées par l’Unesco

Les deux enseignantes gaspésiennes ont raflé chacune leur tour, deux années de suite, le prix offert par la Chaire Unesco de recherche appliquée pour l’éducation en prison. Le prix souligne, une fois par an, un accomplissement réalisé dans l’une des prisons provinciales du Québec.

Line Gagné a reçu le prix en 2017 pour son cours de Critique cinématographique. Carole Nadeau l’a mérité en 2018 avec l’enseignant en création musicale Dominic Potvin pour avoir encadré un étudiant quand il a composé de A à Z (musique comprise) un rap racontant sa vie derrière les barreaux.

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