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23 mars 2015 11 h 07

ÉROSION : 4000 VOYAGES DE GRAVIER POUR REFAIRE LA PLAGE DE PERCÉ

PERCÉ – Afin de contrer l’érosion, Percé souhaite transporter plus de 4000 camions-bennes de gravier au pied du village pour y refaire une plage. Ce type de méthode, qui tranche avec les traditionnels enrochements, a de plus en plus la cote, à l’heure où plusieurs municipalités de la Gaspésie et d’ailleurs, se penchent sur le problème.

Des photos prises vers 1990 au pied de la Maison du pêcheur, à Percé, montrent un large escalier descendant vers une plage où lézardent des touristes. Aujourd’hui, au même endroit, un enrochement descend à pic vers la mer où barbotent des canards marins. En 25 ans, un morceau de plage d’une grande valeur touristique a disparu.

Percé n’est pas la seule municipalité menacée par l’érosion. Le géographe Christian Fraser et ses collègues de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) mesurent le recul des côtes gaspésiennes. « L’endroit où ça recule le plus vite, c’est sur la pointe du banc de Paspébiac. La plage recule de cinq à six mètres par an », dit M. Fraser. Il s’agit du pire cas. Mais en Gaspésie, les côtes meubles en gravier ou en sable reculent tout de même de 40 à 50 cm par an. Et les falaises en grès (la roche rouge) de la Baie-des-Chaleurs perdent en moyenne 10 centimètres par an.

Les forces en jeu

L’érosion côtière s’est accélérée depuis vingt ans. Le réchauffement climatique retarde la formation de la glace sur la mer et l’amincit. L’érosion peut ainsi faire son œuvre sur une plus longue période de l’année, explique François Morneau, coordonnateur du programme maritime d’Ouranos.

Les falaises de grès, poreuses, sont gorgées d’eau. « Pendant un hiver normal, la façade extérieure de la falaise demeure gelée. Mais avec des redoux répétés, le gel-dégel, ça favorise la fracturation du roc », dit M. Morneau.

À Percé, le mur de la promenade, construit à même la plage, a empiré l’érosion. « Une plage est un mécanisme de défense », indique M. Morneau. La vague qui remonte la pente de la plage perd de la vitesse. Au contraire, quand elle heurte le mur de béton de la promenade en fin de parcours, elle rebondit avec plus de force et repart avec du gravier et du sable, enclenchant un cercle vicieux.

Les enrochements et les murs de protection qui nuisent à la plage ont longtemps été la réponse donnée à l’érosion en Gaspésie et ailleurs. Mais ces « grandes infrastructures fortes ont de moins en moins la cote, remarque M. Fraser. On tend vers des méthodes plus douces, qui permettent un certain recul, plus en respect de la dynamique naturelle. C’est ce que je souhaite pour l’avenir et dans les ministères, cette approche gagne du terrain. »

Refaire la plage

La solution privilégiée pour Percé est un exemple de cette nouvelle approche. Percé démolirait la vieille promenade et son mur de béton, malmenés ces dernières années et qui ont atteint la fin de leur vie utile. La promenade de 1,3 km serait reconstruite sur le talus naturel et allongée de 450 mètres vers l’anse du Nord. Environ 75 000 mètres cubes de gravier (4300 voyages de camion-benne) charriés au pied de la structure la protégeraient et recréeraient une plage.

Pour briser les vagues, Percé construirait des récifs artificiels sous l’eau à proximité de la côte. Seules certaines portions de côte plus vulnérables seraient enrochées.

Cette solution coûterait de 20 à 25 M$, estime le maire André Boudreau, et jusqu’à 30 M$ si l’on prévoit les coûts d’entretien. « C’est la méthode la moins chère, celle qui correspond le mieux à Percé et la plus rentable, dit M. Boudreau. Parce que de reconstruire une plage, de pouvoir y marcher ou s’y allonger, ça donne plus d’attrait à Percé et ça permettrait d’augmenter l’achalandage touristique. »

Sainte-Luce aussi

Au Bas-Saint-Laurent, Sainte-Luce vit un problème qui ressemble à celui de Percé. Le mur de soutènement de la promenade de L’Anse-aux-Coques amplifie la force des vagues et le ressac emporte le sable.

L’automne dernier, Sainte-Luce a fait transporter des milliers de voyages de gravier sur la plage, au pied du mur. « L’objectif est de recréer une plage pour que quand il vente à marée haute, l’énergie de la vague se perde sur la pente de gravier », explique le directeur général de Sainte-Luce, Jean Robidoux. Des chercheurs de l’UQAR feront le suivi de ce projet pilote pour mesurer son efficacité.

À Percé et Sainte-Luce, la promenade ceinture des secteurs touristiques que l’on veut conserver et où l’on est prêt à investir argent et énergie. Leur solution n’est pas applicable partout. « L’autre grande option que personne ne veut jamais entendre, c’est le retrait », souligne M. Fraser, une option qui peut « laisser de l’espace à la plage » pour qu’elle se reforme et fasse son travail de protection.

Le point le plus chaud en Gaspésie

En matière d’érosion, « le point majeur en Gaspésie, c’est la route 132, côté nord, de l’est de Sainte-Anne-des-Monts jusqu’à Rivière-Madeleine, estime M. Fraser. C’est le lien pour la communauté et il y a de gros enjeux financiers. Il y a des endroits où avant la route, il n’y avait que le pied de la falaise […] À long terme, s’il y a une hausse du niveau marin, ce n’est presque pas possible de maintenir [la route]. »

L’avenir

L’hiver 2014-2015 était atypique, avec son froid mordant et ses glaces abondantes. Toutefois, « même les modèles climatiques les plus optimistes prévoient un réchauffement et une diminution du couvert de glace », indique M. Fraser. Les redoux vont accélérer l’érosion des falaises, dit-il, et le niveau de la mer augmentera. « Les pires prévisions plausibles vont jusqu’à 2 mètres de hausse d’ici 2100. Les plus sympathiques parlent de 50 centimètres. »

Les solutions de Maria

Cette hausse du niveau de la mer affectera sans aucun doute Maria, un autre des points chauds gaspésiens. En effet, une partie de ses côtes est menacée par l’érosion, mais aussi submergée par la mer à l’occasion. Sur la Pointe Verte, « quand on a de grosses tempêtes avec de forts vents, la mer entre à l’intérieur des terres », explique le directeur général de Maria, Gilbert Leblanc.

Les terrains menacés sont au nombre d’une trentaine, dont certains occupés par des maisons « fortement évaluées », indique M. Leblanc. Ces dernières années, trois maisons ont été déplacées et une démolie à cause de la submersion ou de l’érosion.

À Maria, les plus récents développements résidentiels sont situés à l’intérieur des terres, indique M. Leblanc. Et Maria est l’une des municipalités gaspésiennes qui ont interdit les constructions près de l’eau, soit à moins de 30 m de la ligne des hautes eaux. La municipalité a d’ailleurs refusé plusieurs permis d’agrandissement ou de construction en vertu de ce nouveau cadre.

« Les gens ne veulent pas entendre cette réponse; ils veulent entendre que c’est possible, rapporte M. Leblanc. Certains avaient un terrain qui valait son pesant d’or et ils ne peuvent presque plus rien faire dessus, sinon mettre une roulotte l’été. Mais on réussit à leur faire comprendre. »

Les élus et la population sont de plus en plus sensibles au problème, note le géographe Christian Fraser. Il y a dix ans, les surpris et les incrédules étaient nombreux quand il diffusait de l’information sur l’érosion. « Aujourd’hui, tout le monde a un certain bagage, les gens n’ont plus vraiment de doute qu’il y a un problème. »