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Éditorial
7 juin 2024 10 h 07

Et si on agissait pour le caribou ?

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Le 30 avril, le gouvernement du Québec a encore démontré le peu de place qu’occupe le caribou montagnard dans ses priorités en étirant encore la consultation, ce qui désespère les experts. Ces experts connaissent en profondeur les mesures de sauvegarde pour les avoir identifiées il y a longtemps et ils militent en faveur de leur instauration depuis 15 ans.

La mollesse de Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, devient légendaire. Depuis 2023, les Québécois ont notamment assisté à sa soumission devant le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, dans le dossier Northvolt.

Cette abdication a ponctué la mascarade du 30 avril à Sainte-Anne-des-Monts, alors que M. Charette et son homologue aux Ressources naturelles et aux Forêts, Maïté Blanchette Vézina, ont répété pendant 90 minutes, face aux questions des journalistes sur la Stratégie de protection du caribou, que les réponses se trouvaient dans le document déposé le jour même. Ce document, mince en solutions, constitue « un devoir incomplet remis en retard », selon Nature Québec.

Le 30 avril était le dernier jour de l’échéance fixée par Ottawa pour le dépôt de cette stratégie. L’exercice ressemblait à une manoeuvre, une autre, pour gagner du temps, en faisant miroiter beaucoup d’argent.

L’octroi de 59,5 millions de dollars annoncé pour les hardes de caribous du Québec ressemble à une manoeuvre de pompiers arrivés délibérément en retard à un incendie et cherchant bêtement à démontrer qu’ils sauveront la maison qui s’écroule. Ça s’appelle un leurre.

Avec 24 individus, la harde de caribous se trouve dans son pire état historique. Il y en avait 189 en 2007, et entre 700 et 1500 en 1950. Elle est plus vulnérable que jamais. Benoit Charette allonge malgré cela la consultation alors qu’il faut bouger depuis des années.

Compétences ignorées

Le biologiste Serge Couturier a travaillé pendant 27 ans, jusqu’en 2012, pour l’État québécois. Il oeuvre depuis ce temps comme expert-conseil, notamment en Ontario et dans l’Ouest canadien. Il a capturé près de 2000 caribous au cours de sa carrière, surtout à des fins de réimplantation dans des milieux désertés par les cervidés.

Depuis des années, il tente, sans succès, d’infléchir les mesures prises par la gestion québécoise de la faune pour le caribou montagnard. Avec le Bioparc de la Gaspésie, il a déposé en 2023 un projet de pouponnière visant à garder sous l’oeil d’experts des femelles gravides (en gestation). Les faons seraient maintenus en captivité un an et remis en liberté quand ils seraient de bonne taille, assez forts pour affronter les rigueurs des sommets.

Parallèlement, M. Couturier suggère des mesures d’aménagement forestier, la fermeture de chemins pour couper la route des prédateurs, le prélèvement de ces prédateurs, surtout les coyotes, et la réduction graduelle du nombre d’orignaux dans l’habitat du caribou; les deux cervidés cohabitent mal. La concentration d’orignaux en Gaspésie est également trop forte pour assurer sa propre bonne santé.

Bref, il suggère, comme d’autres experts, des mesures simultanées permettant « d’éviter le piège de la lente restauration », puisque redresser l’habitat par l’arrêt des coupes forestières en forte altitude prendra 20 ans.

Le projet du Bioparc et de Serge Couturier a été rejeté en janvier par Benoit Charette!

Sans expertise, les gestionnaires de la Faune affichent un échec complet en 2023. Six femelles ont été capturées et mises en enclos, mais seulement deux ont mis bas. Les deux faons et les mères sont morts, dont une par braconnage.

Le 30 avril, le ministre Charette a indiqué que la population de caribous montagnards s’établit à 24, selon l’inventaire de 2023. C’est 10 de moins qu’en 2022. Il a aussi dit que 13 caribous étaient en captivité, des renseignements publics cachés pendant des mois.

On peut croire que cette vulnérabilité fait l’affaire du gouvernement caquiste parce qu’elle justifie, aux yeux de ses porte-parole, la mise en enclos pour une durée indéterminée de la majorité sinon de tous les caribous. Un projet d’enclos permanent en Abitibi constitue pourtant un échec retentissant.

C’est l’envers du projet de pouponnière de Serge Couturier. Un tel projet a fonctionné pour les orignaux à Terre-Neuve.

Les deux ministres n’ont cessé de répéter le 30 avril qu’il fallait protéger les emplois en forêt et en tourisme. On entendait presque l’ancien premier ministre libéral Philippe Couillard dire, en roulant des épaules, que pas un seul emploi ne serait perdu pour sauver un caribou.

Les conditions de vie des êtres humains s’effilochent, jadis tranquillement et maintenant rapidement. Il faut donc changer la donne « hier », pas demain. Le caribou est une espèce parapluie; la détérioration de sa harde, ou sa disparition, mineraient la capacité d’autres espèces de se maintenir.

Pensons aussi que le bois récolté en altitude, dans l’habitat du caribou, est de piètre qualité, et que le potentiel de découverte de mines dans cette aire de répartition est faible.

Le jeu politique

Les petites manoeuvres politiques qui retardent l’instauration d’un plan de sauvetage nuisent au cervidé en péril.

À l’ineptie de la Coalition avenir Québec s’ajoute l’hésitation d’Ottawa. Le dernier décret fédéral d’urgence associé à la Loi sur la protection des espèces en péril remonte au … 15 juillet 2016, pour protéger la rainette faux-grillon. Aucun décret n’a été adopté depuis, en dépit de la situation déplorable d’un nombre significatif d’espèces animales.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, n’est pas sorti grandi non plus d’une déclaration datant de 2022, à l’effet qu’il n’est pas certain que le caribou soit en péril. À des fins partisanes, il cherchait sans doute à protéger la juridiction du Québec en matière faunique, contre celle d’Ottawa pour les espèces menacées.

On a aussi l’impression que, traînant derrière le Parti québécois dans les sondages, la CAQ cherche à provoquer une action fédérale pour asseoir ses visées autonomistes, à défaut d’ambition souverainiste.

L’imagination au travail

Les Gaspésiens ont une chance de réussir avec la Stratégie de protection du caribou, en la définissant eux-mêmes rapidement, et en la soumettant à un gouvernement caquiste affaibli. Il faudra que les Gaspésiens fassent quelques concessions qui risquent de heurter quelques susceptibilités, davantage que la gestion faunique et l’économie.

Mis à part les inquiétudes, justifiées, exprimées par Serge Couturier et le professeur Martin-Hugues Saint-Laurent, de l’UQAR, les propos les plus constructifs depuis longtemps sont venus de Steve Leblanc, vice-président aux approvisionnements du Groupe GDS, qui exploite deux scieries du côté nord de la Gaspésie.

M. Leblanc affirme qu’il est possible de retirer certains secteurs de l’aménagement à des fins de production de bois de sciage, le territoire étant assez grand pour choisir des lots plus productifs que les sommets de montagnes. Son point de vue est rafraîchissant parce qu’il déplore le retard dans l’implantation de mesures de protection du caribou.

Les emplois en aménagement forestier, nécessaires pour cesser de fragmenter l’habitat du caribou, peuvent ainsi être sauvés.

L’innovation doit prévaloir. Si des variations de récolte se juxtaposent à la période d’ajustement inhérente à la protection du caribou, pourquoi une partie du bois d’Anticosti ne serait-elle pas redirigée en Gaspésie pendant un certain temps ?

Le tourisme est important en Haute-Gaspésie, notamment l’hiver. Il y a assurément moyen, dans un processus d’éducation des visiteurs, de les intégrer à la venue de nouvelles règles touchant le caribou. De plus, l’État allégerait les inquiétudes dans cette MRC, en créant un fonds de développement lui étant spécifique et tenant compte de toute la côte.

Le caribou représente l’occasion unique pour les Gaspésiens de contribuer au changement d’attitude requis pour inverser le désastre environnemental qui guette l’humanité. Son sauvetage est nécessaire et il doit commencer maintenant.