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6 juin 2024 14 h 18

Fabrication de chocolat « de la fève à la tablette » : un savoir-faire retrouvé en Gaspésie

CARLETON-SUR-MER | À présent dominée par une poignée de grands industriels, dont les Mars et autres Nestlé de ce monde sont des clients, la fabrication de chocolat a déjà été entre les mains de petits artisans, notamment ici, au Québec. Face à ces géants, certains tentent de se réapproprier ce processus…une fève de cacao à la fois.

Parmi la pléthore de statistiques compilées par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec sur l’industrie bioalimentaire québécoise, l’une d’entre elles peut étonner : tout juste après la viande de porc, le principal produit exporté par la province est…le cacao et ses préparations, dont le chocolat. Presque exclusivement envoyé vers les États-Unis – où le sucre, sous quotas de production et d’importation, y est 75 % plus cher qu’au Canada, d’où l’implantation ici de ces grands joueurs – le chocolat exporté est pour l’essentiel fabriqué de manière industrielle, notamment à Saint-Hyacinthe, où se trouve la plus grande usine du secteur en Amérique du Nord. Paradoxalement, le chocolat utilisé par les chocolatiers québécois provient, lui, d’usines européennes.

« Depuis 100 ans, des microfabricants de chocolat, ça n’existe presque plus, explique Dany Marquis, le fondateur et directeur de l’entreprise Chaleur B Chocolat, située à Carleton-sur-mer. Donc, ce qu’on utilise au Canada, c’est dans une très grande majorité fabriqué en Europe. »

Une idée en germe

Pérou, 2007. Dany Marquis, qui se consacre alors uniquement à la torréfaction du café, visite l’une des plantations desquelles proviennent les grains qu’il fait expédier chez lui, en Gaspésie. En parallèle des talles de caféiers poussent également les cacaoyers (ou cacaotiers) dont les fruits appelés cabosses contiennent les fèves de cacao. Non sans surprise, il constate que ceux-ci ne sont à peu près pas valorisés, faute d’acheteurs potentiels.

« Souvent, les plantations de cacao sont soit laissées en friche ou bien [on utilise] le cacao pour faire du compost pour engraisser d’autres productions », relate-t-il. S’il est alors au fait de la valeur de cette « matière première » qui se négocie aujourd’hui âprement en bourse, le fonctionnement de l’industrie lui est toutefois en partie étranger. « On m’a expliqué qu’il y a trois compagnies dans le monde qui se partagent la majorité de la tarte, relève l’entrepreneur artisan, mentionnant le groupe belgo-suisse Barry Callebaut, qui serait derrière 20 % du chocolat produit mondialement. Moi, dans ma tête, tous les chocolatiers fabriquaient leur chocolat ! » Une graine a été semée.


Photo : Geneviève Smith

Alternative

À l’intérieur des murs des bâtiments sis en bordure de la baie des Chaleurs, Dany Marquis et son équipe façonnent ce chocolat primé en novembre dernier aux International Chocolate Awards, une compétition où se mesurent les meilleurs chocolatiers du monde. « Les ventes ont explosé, ça nous a donné une super notoriété », indique-t-il.

La création ayant valu la médaille d’or dans la catégorie meilleur chocolat au lait contient, comme l’ensemble de la production de l’entreprise gaspésienne, du chocolat confectionné de la fève de cacao au moulage final : c’est la démarche du bean-to-bar, en français, « de la fève à la tablette ». « Pour moi, l’argument punch, c’est qu’il ne pousse pas plus de cacao en Belgique qu’il en pousse en Gaspésie, lance en boutade le chocolatier autodidacte. On peut s’approprier cette transformation-là, faire ça dans un esprit de circuit court avec l’Amérique centrale et les Caraïbes. On amène [les fèves de cacao] ici, on transforme ça, puis on consomme le chocolat au lieu d’envoyer ça en Europe et que ça revienne. »

De concert avec les producteurs avec qui il entretenait déjà des relations commerciales, Dany Marquis a donc élaboré des réseaux où transitent les fèves extraites des cabosses récoltées. « Ç’a toujours été important pour moi d’acheter directement aux producteurs, de savoir à qui j’achète. Les fournisseurs qu’on a, c’est super précieux », souligne-t-il, laissant entrevoir cette volonté de proposer une alternative au modèle économique qui prévaut.


Sabrina Desjardins emploie maintenant des équipements ultramodernes qui n’étaient pas disponibles sur place quand Chaleur B Chocolat a été fondée. Photo : Geneviève Smith

Réappropriation

C’est en 2014 que l’entreprise fondée par Dany Marquis, Chaleur B Chocolat, démarre officiellement ses activités. « C’était bon, mais c’était rough », reconnaît-il à propos du chocolat alors produit. À l’époque, la démarche bean-to-bar est encore nouvelle au Québec ; l’enseigne gaspésienne est, avec les chocolatiers Palette de Bine à Mont-Tremblant et Avanaa à Montréal, parmi les premières à emprunter cette voie. Ou, à vrai dire, réemprunter.

Ainsi, au-delà des réalités inhérentes au modèle économique valorisé – cacao au plus bas prix, production à la chaîne, uniformisation des arômes – et des habitudes de consommation, il y avait tout un savoir-faire à retrouver. « Du début des années 1900 jusqu’en 1950, il y a eu des gens qui fabriquaient leur chocolat au Québec et c’était comme ça partout dans le monde, explique Dany Marquis. Puis les industriels sont débarqués avec des chocolats en pastille faits à moindres coûts. »

Processus complexe

Avant d’en arriver à se délecter de produits aux profils aromatiques divers – à l’image du vin ou du café – les étapes à franchir sont nombreuses et réglées au quart de tour. « C’est extrêmement complexe, faire du chocolat », admet celui qui, au moment d’écrire ces lignes, parcourt une partie de l’Amérique centrale afin d’aller à la rencontre de ses fournisseurs.

L’artisan doit ainsi faire étape en République Dominicaine, au Guatemala, au Bélize et au Honduras, là où la coopérative de producteurs avec qui il collabore redirige une partie des revenus vers la construction d’écoles ou de cliniques médicales. « Je vais visiter les installations, voir les réinvestissements qui ont été faits, précise Dany Marquis. C’est aussi le moment de consolider les partenariats et les volumes de cacao. »

Les premières opérations menant à la fabrication de chocolat, réalisées in situ, consistent à faire fermenter puis à sécher les fèves de cacao. « Une grande partie du développement des arômes se fait à la fermentation, explique l’artisan. Quand le cacao arrive ici, le profil aromatique est déjà sur une certaine voie. » Évidemment, le terroir influence les effluves exprimés par le cacao : des notes de canneberge, de café et de banane en Tanzanie, de violette, de mûre et de cerise noire au Bélize. « En République Dominicaine, pour un de nos deux producteurs, situé dans une réserve faunique, on parle de fruit de la passion et de mangue, poursuit Dany Marquis. Chaque origine a des caractéristiques précises et on veut que ça se reflète dans le produit fini. »

Les phases suivantes – une dizaine de manipulations, qui vont de la torréfaction au tempérage, en passant par le vannage et le conchage – durent, selon l’horaire de production, environ deux semaines. « Le conchage, c’est qu’on vient brasser le chocolat [noir] dans une grosse cuve, on le chauffe et on fait circuler de l’air à différentes températures pour faire évaporer certains acides volatils, décrit Dany Marquis. Par contre, si on le fait trop, on tue ce qui fait les belles caractéristiques du chocolat, on enlève le terroir, et si on ne le fait pas assez, on aura l’impression de croquer dans du vinaigre! »

Dès lors, sous forme liquide, le chocolat prendra sa forme finale lors du moulage. « Majoritairement, ce qui sort d’ici, c’est le chocolat en pastille, signale l’entrepreneur. C’est vraiment un standard de l’industrie, les chefs sont habitués de travailler avec des pastilles. »


Dany Marquis, entouré de Adriano De Jesus Rodriguez (à gauche) et de Gualberto Acebey Torrejón, propriétaires de la Hacienda Öko-Caribe, en République Dominicaine. C’est de cette plantation que provient le cacao biologique contenu dans le chocolat gaspésien récipiendaire du meilleur chocolat au lait au monde. Photo : Fournie par Dany Marquis

Approvisionner les chefs

Si l’entreprise de Dany Marquis offre ses produits aux dents sucrées qui s’arrêtent au comptoir de la rue du Quai, à Carleton-sur-Mer, elle vise désormais davantage les chefs chocolatiers et pâtissiers, dans un partenariat d’entreprise à entreprise. Afin de se donner plus de portée au niveau des ventes et de ne pas compétitionner certains clients, l’entrepreneur a créé Bassan chocolat, une division de l’entreprise dévolue à la production acheminée aux restaurants gastronomiques et autres établissements culinaires. « L’idée de départ, c’était de réussir à approvisionner les chefs, pour que les chefs sur notre territoire puissent travailler avec du chocolat fabriqué ici, expose-t-il. Mais ce n’est pas gagné, c’est un combat de tous les jours. »

Les chocolats de l’entreprise gaspésienne se retrouvent ainsi dans les créations du restaurant Champlain du Château Frontenac à Québec, au Manoir Richelieu dans Charlevoix et à La Maison du Pêcheur de Percé, pour ne nommer que quelques-unes de ces relations nouées entre entreprises. « [Des chocolatiers] qui fabriquent du chocolat destiné aux chefs dans un modèle business to business, ça fait longtemps qu’il y en a eu au Québec, remarque Dany Marquis. Et moi, ma motivation première, ce sont les relations avec les producteurs de cacao. Si on reste dans une optique bean-to-bar, l’impact sur les producteurs est assez minime. [Mais] comme on travaille en business to business, on a des clients qui achètent des tonnes de chocolat à chaque année, donc c’est bien pour nos producteurs. »


Dany Marquis était fier de voir son chocolat au lait reconnu comme le meilleur au monde, à la fin de novembre, en Italie. Photo : Gilles Gagné