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5 septembre 2011 11 h 22

Forêt gaspésienne : à l’orée d’un virage

Même si les coupes totales restent le modèle dominant en forêt publique gaspésienne, la foresterie de la région est à l’orée d’un virage. Et les premières expériences sont déjà en cours. Or, combien d’entre nous ont une idée claire de la manière dont la forêt est coupée, en 2011, dans un arrière-pays pas si fréquenté? GRAFFICI.CA est allé voir de ses propres yeux.

À quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Murdochville, l’équipe de bûcherons embauchée par Temrex est à l’ouvrage. Une abatteuse passe la première pour couper les épinettes qui s’étagent sur la pente. Une multifonctionnelle la suit pour ébrancher et tronçonner les billots. Un tracteur vient ensuite récupérer les billes pour les empiler en bas de la pente. Produits forestiers Temrex effectue ces coupes dites «totales», où tous les arbres sont abattus, sur environ 90 % de son territoire.

Mathieu Piché-Larocque, ingénieur forestier chez Temrex, nous accompagne pour la visite terrain. Le grand gaillard, fraîchement émoulu de l’université, s’impatiente pendant qu’on filme la machinerie  à l’œuvre. «Pourquoi tu veux montrer ça? Ce n’est rien de nouveau : ça fait 20 ans que ça existe, ces machines-là!» Ce qui l’allume se trouve à quelques centaines de mètres de là, où Temrex vient de réaliser une coupe d’une tout autre allure. Sur une bande de six mètres de large, les bûcherons ont coupé tous les arbres. À côté, sur la même largeur, ils n’ont récolté qu’un arbre sur deux, tandis que la troisième bande est restée intacte. Ce patron a été répété sur tout le parterre de coupe.

Les avantages? «Ça garde un meilleur encadrement visuel, par exemple si on coupe autour d’un lac, explique M. Piché-Larocque. On garde un couvert forestier pour la petite faune, le sol est moins perturbé, et les arbres qui restent vont profiter de plus de nutriments et de lumière.» Dans quelques années, on viendra récolter les arbres restés sur pied cette fois-ci.

Des «bouquets» de forêt

Nous remontons dans la camionnette de Temrex, direction un autre secteur de coupe. En une heure de cahots dans les chemins forestiers, on a le temps d’observer le paysage. De loin, les coupes totales ressemblent à des champs de foin fraîchement fauchés, qui dessinent une courtepointe un peu flyée sur le flanc des montagnes.

La camionnette freine là où les bûcherons effectuent une coupe avec «bouquets». Ils laissent un bosquet d’arbres par-ci par-là, pour un total de 5 % de la surface récoltée. «Ça crée du bois mort après la coupe, pour les insectes et les animaux qui en ont besoin, explique Daniel Caissy, superviseur à la récolte pour Temrex. Et c’est une oasis pour des petits animaux qui n’ont pas un grand territoire.» Des animaux qui hésiteraient à traverser une coupe totale, de peur d’être repérés par un prédateur, s’aventureront de bouquet en bouquet.

Pourquoi se tourner vers ces coupes partielles? Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) oblige les industriels à en effectuer. Temrex veut aussi conserver sa certification de la Forest Stewarship Council (FSC), qu’elle est la seule entreprise gaspésienne à posséder et qui les pousse à faire une certaine proportion de ces coupes nouveau genre. «Grâce au sceau FSC, notre bois et nos copeaux se vendent mieux sur les marchés, parce que ça correspond à la demande», explique Rino Laplante, ingénieur forestier chez Temrex.

Des réticences

À quel point ces changements sont-ils bien acceptés? Ça dépend par qui. Parmi les employés de Temrex chargés de planifier et de superviser les coupes, tous ceux rencontrés par GRAFFICI.CA sont acquis aux nouvelles méthodes. Il faut écouter la profession de foi de Christian Cormier, qui travaille en forêt depuis 20 ans, pour s’en convaincre. (voir le fichier vidéo).

Du côté des bûcherons qui sont au volant des machines, c’est moins évident. Temrex admet qu’il y a «des réticences» à vaincre. Ne parlez pas à Carmel Levasseur, entrepreneur forestier d’Edmundston, des avantages du bois mort pour la faune et la flore. «Quant à moi, c’est bon à rien pantoute [les coupes partielles réalisées par Temrex]. Le vent va se mettre là-dedans, et va tout renverser. Je calcule que quand le bois est mûr, il est mûr. Après, il tombe et il pourrit.»

Pour M. Levasseur, une coupe partielle est plus compliquée et un peu plus longue. Ses hommes s’activent sur trois quarts de travail pour rentabiliser des machines qui valent trois quarts de millions de dollars chacune. Tout délai, même minime, a un effet sur les finances. Et selon M. Levasseur, les compensations versées pour ce type de coupe ne suffisent pas.

Cible de 23 %

Pour la période 2008-2013, le MRNF vise à ce que seulement 77 % des coupes effectuées en Gaspésie soient des coupes totales, et le 23 % restant, des coupes où l’on garde une partie des arbres sur pied.

Dans les faits, la proportion de coupes totales sera probablement plus élevée. Avec la crise du bois qui s’éternise, bien des industriels vont au plus simple et au plus rentable. Ils préfèrent parfois ne pas couper du tout dans les secteurs plus fragiles où les coupes partielles sont préconisées, plutôt que de couper à perte. Le volume de bois qu’ils ne récoltent pas à ces endroits, ils n’ont toutefois pas le droit de le couper ailleurs, explique-t-on au MRNF.