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15 septembre 2021 20 h 40

François Miville-Deschênes : un dessinateur né

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Des artistes établis en Gaspésie démontrent au quotidien la possibilité de vivre de leur art chez nous, mais également de voir leur travail déborder des frontières régionales. Afin de souligner le travail de ces créateurs au talent exceptionnel, GRAFFICI vous présentera, d’ici février 2022, une courte série de trois textes portant sur des illustrateurs et dessinateurs de la région dont le travail contribue à faire rayonner la péninsule, voire le Québec. Dans ce premier texte, on vous présente François Miville-Deschênes, un dessinateur autodidacte qui n’a besoin d’aucune présentation auprès des amateurs de bandes dessinées.

MARIA | François Miville-Deschênes aurait pu, sans conteste, se dédier à la science. Passionné d’archéologie, de paléontologie et de spéléologie, le dessinateur résidant à Maria l’admet d’emblée : « c’est l’art qui a gagné ». Et ce, même si l’artiste, à ce jour bien connu des bédéphiles du Québec et de l’Europe, a dû dessiner à main levée, de façon entièrement autodidacte, son propre parcours artistique.

François Miville-Deschênes grandit dans les années 1970 à Bonaventure. Bambin, il est immédiatement attiré vers « les crayons qui traînent »; il dessinera dès ses deux ans, pour ne jamais arrêter ensuite. Car lorsqu’on lui parle de talent, notamment si l’on souligne celui qui l’habite de façon exceptionnelle, il répondra seulement s’être « beaucoup pratiqué ».

Le jeune François explore dès ses cinq ans l’univers de la bande dessinée grâce aux productions européennes qu’il a sous la main, à la maison. « C’étaient les classiques : Astérix, Tintin, Lucky Luke et les magazines, aussi, que mon père achetait. Mon père aimait bien la bande dessinée », relate M. Miville-Deschênes.

En dessin, l’artiste réalisera avec le temps ce qui le fait vibrer et ce qui deviendra ses points forts tout au long de son parcours professionnel. « Je pense que c’est le vivant, la nature, l’anatomie : ce qui vit. »

Aujourd’hui père de trois enfants, l’homme de 51 ans ne manque d’ailleurs pas de vie autour de lui; en témoignent les animaux qui se pourchassent sympathiquement au loin durant l’entrevue et les rires qui fusent de la résidence familiale alors qu’il rencontre GRAFFICI sur la terrasse, un matin d’août.

Avant son temps

Tout indique qu’une prolifique carrière en arts est promise au Gaspésien, mais le chemin qui s’y rend, à l’époque où il est jeune adulte, est loin d’être pavé. Lorsque le moment vient d’opter pour une formation en dessin, l’étudiant est en
avance sur son temps.

Confronté à un manque d’options dans sa discipline de prédilection, il s’inscrit à une technique en graphisme, dispensée au Cégep de Rivière-du-Loup. Alors qu’il dessine depuis toujours et qu’il a déjà considérablement peaufiné son art, les cours qui lui sont offerts dans ce domaine lui causent une « désillusion totale ».

« Il y a deux professeurs qui m’ont dit, un peu en catimini, “tu vas perdre ton temps ici. Va sur le marché du travail tout de suite” », raconte humblement M. Miville-Deschênes. Il précise d’ailleurs avoir suivi ce conseil, et ce, après avoir « résisté un an » sur les bancs d’école, où il ne retournera plus ensuite.

Une série de contrats en illustration lui feront réaliser, dès ses 18 ans, son immense polyvalence : l’artiste peut tout dessiner, et au moyen de différents médiums. Celui-ci explore d’ailleurs d’innombrables domaines au gré des mandats. « Mais la bande dessinée était toujours là », se rappelle celui qui est demeuré un avide lecteur.

La bande dessinée débarque

Au tournant des années 2000, sa conjointe le pousse à élaborer une proposition de projet, que François Miville-Deschênes envoie par la poste dans toutes les grandes maisons d’édition européennes. « Il y avait du monde au bout de la ligne qui était intéressé. C’est ce qui s’est passé… ça n’a pas été plus compliqué que ça! », résume-t-il, tout sourire.

Les Humanoïdes associés, notamment connue pour ses classiques en science-fiction, est la première – mais pas la seule – maison d’édition à manifester son intérêt pour son travail. Si le projet soumis par le Québécois n’est pas retenu, un premier scénario lui est néanmoins proposé. Celui-ci met ainsi « le pied dans la porte » du monde de la bande dessinée, grâce à la série Millénaire.

Les projets se succèderont ensuite au fil des ans. Alors qu’il admet être toujours plus satisfait de ses plus récentes réalisations, le dessinateur ne peut passer sous silence Zaroff. La bande dessinée qu’il a coscénarisée avec Sylvain Runberg, publiée en 2019 aux Éditions Le Lombard, est son oeuvre ayant récolté à ce jour le plus grand succès en librairie.

Signe que la réussite n’est pas au rendez-vous qu’au niveau des ventes, le dessinateur se verra par ailleurs décerner le Prix Albéric-Bourgeois du Festival Québec BD; cette distinction récompense le meilleur album de langue française publié à l’étranger.

Si le nom de l’artiste est désormais bien connu au Québec, il résonne encore plus fort sur le continent européen, où l’engouement pour la bande dessinée est sans commune mesure avec celui constaté chez nous. Le principal intéressé a d’ailleurs pu le constater, au gré des événements auxquels il a participé, notamment des festivals spécialisés.

« Ça frise la folie. Il y a des gens qui sont là la veille et qui dorment sur place », commente t- il, ajoutant que les files d’amateurs sont quasi interminables lors des séances de dédicace.

Si François Miville-Deschênes attire bel et bien les foules lors de ses séjours à l’étranger, il confie de pas être un grand adepte des projecteurs : c’est d’abord dans le décor intimiste offert par les librairies qu’il préfère aller à la rencontre des lecteurs.


François Miville-Deschênes l’admet : si la perception populaire de la bande dessinée a évolué au Québec, elle reste encore, dans l’imaginaire collectif, « un truc de gamins ». « Pourtant, ce n’est pas Les Schtroumpfs que je fais », lance le dessinateur avant de s’esclaffer. Photo : Roxanne Langlois

Zaroff, de retour en 2022

D’abord voué à être un album ponctuel, Zaroff aura bel et bien une suite; elle sera elle aussi écrite à quatre mains. C’est que François Miville-Deschênes, ayant des idées à la tonne, a proposé un deuxième tome. « Je travaille là-dessus laborieusement depuis des mois », explique-t-il à GRAFFICI.

Alors que les premières aventures du général se déroulaient dans les années 1930, ses nouvelles auront lieu, cette fois, durant la Deuxième Guerre mondiale. Et qui dit guerre dit évidemment armes, véhicules, uniformes… et même décorations d’uniformes! « Ce n’est pas de la rigolade! Il y a du stock! » note l’artiste, qui veille, dans son travail, à documenter la réalité le plus fidèlement possible.

Rencontré pendant ses vacances estivales, le principal intéressé comptait retourner sous peu à sa table à dessins, aménagée face aux montagnes de l’arrière-pays, dans la petite bâtisse construite dans sa cour arrière. C’est là, à travers les planches et les croquis, à l’aide de ses innombrables crayons, plumes et pinceaux, que se matérialisera ce nouvel album, à paraître en 2022.


François Miville-Deschênes n’a pas compté les projets auxquels il a pris part, encore moins le nombre de planches qu’il a dessinées à ce jour. Il dit néanmoins avoir encore la flamme et dessine toujours dans ses temps libres. D’ailleurs, il dresse une ligne bien claire entre ce qui constitue son travail et les dessins qu’il exécute pour le plaisir. Photo : Roxanne Langlois