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25 novembre 2014 15 h 56

Fusion de commissions scolaires : quelles économies?

GASPÉ – Les Gaspésiens ont du mal à croire que la fusion de leurs deux commissions scolaires (CS) permettra d’économiser de l’argent. La levée de boucliers est loin d’être aussi forte que pour d’autres mesures d’austérité du gouvernement Couillard, mais les inquiétudes sur les services aux élèves demeurent.

Le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, a expliqué son projet jeudi aux représentants des CS. Le nombre de commissions passerait de 72 à 46 dans la province. En Gaspésie, la CS René-Lévesque et celle des Chic-Chocs seraient fusionnées pour en former une seule à la grandeur de la région administrative, à l’exclusion des Îles, qui garderait sa propre instance.

Au repas-partage de solidarité dimanche à Gaspé, cette éventuelle fusion ne suscite pas la même indignation que l’abolition de la Conférence régionale des élus et des centres locaux de développement. Mais le scepticisme et l’inquiétude sont bien présents.

« Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y aura plus de couleur locale, dit Carole Gingras, une citoyenne de Gaspé. Déjà, on trouvait le territoire gros. C’est déjà dur de faire entrer [des projets] d’entrepreneuriat dans les écoles. Là, ça va être encore plus difficile. »
« Qu’ils prouvent aux citoyens du Québec que c’est rentable, lance Gisèle O’Connor, citoyenne de Rivière-au-Renard. Les dernières fusions, ce n’est pas vrai que ç’a été rentable. Les gens se sont mis à voyager et ça coûte plus cher. »

En 1998, du côté nord, Québec a regroupé les CS des Falaises et de La Tourelle pour former celle des Chic-Chocs. La même année, du côté sud, les CS de Rocher-Percé, de la Baie-des-Chaleurs et de Miguasha ont été fusionnées.

Chez les parents interceptés près de l’école Saint-Rosaire de Gaspé, les avis diffèrent. « Comme parent, ça ne m’affecte pas vraiment, dit Mélanie Dufresne, mais j’espère que les services aux enfants demeureront. Il y a déjà un manque de services. On est chanceux, les nôtres vont bien, mais avoir un psychologue, ça peut être long. »

Martin Legault, un père de famille, souhaite qu’une fusion rende les commissions scolaires plus efficaces. « J’ai vécu des affaires pas mal plates avec mon fils. [Dans les commissions scolaires], il y a du monde payé à ne rien faire, des pousse-crayon. » M. Legault voit d’un bon œil la décentralisation vers les écoles prônée par le ministre Bolduc. « Pourquoi l’école, qui comprend les besoins de l’élève, devrait quémander à la commission scolaire? »

Inquiétude chez les employés

Selon une éducatrice, employée de la CS des Chic-Chocs, le projet « crée de l’insécurité ». « J’espère juste garder ma job, dit-elle. C’est sûr qu’en fusionnant, il va y avoir des emplois perdus. »

« Ça devient inquiétant, indique une enseignante de Grande-Vallée qui préfère conserver l’anonymat. C’est un grand territoire. Certains se demandent s’ils garderont leur travail ou s’ils devront aller à l’extérieur. On craint pour les services aux élèves. »

Un territoire immense

Les présidents des deux CS gaspésiennes rappellent l’immensité du territoire. La nouvelle commission scolaire compterait 11 500 élèves (jeunes et adultes) dans 62 établissements, 1700 employés et s’étendrait sur 700 kilomètres de route 132.

Le projet du ministre Bolduc « me paraît improvisé », commente d’emblée le président de la CS des Chic Chocs, Jean-Pierre Pigeon, qui doute de réaliser des économies. « En 1998, Pauline Marois [alors ministre de l’Éducation] avait promis des économies de 100 M$, rappelle-t-il. Finalement, ça avait coûté 70 M$. François Legault [devenu ministre de l’Éducation entre-temps] avait dû signer un chèque de 40 M$ l’année suivante et 30 M$ avaient été absorbés par les commissions scolaires […] 80 % de nos budgets sont des salaires, explique M. Pigeon, et nos employés ont une sécurité d’emploi. »

Pendant le processus de fusion, « d’autres sphères de notre mission seraient tassées, plaide M. Pigeon. On ne sera pas à 100 % dans les services éducatifs. »

Quant à la décentralisation des pouvoirs vers les écoles, « les directeurs d’école n’en veulent pas, estime M. Pigeon. Ça prend tout leur petit change pour s’occuper des élèves. Faudrait-il qu’ils gèrent le transport scolaire, les conventions collectives, les négociations de travaux? »

Les deux CS ont examiné, il y a deux ans, la possibilité de regrouper des services. Pas si simple, ont-elles constaté. Chaque CS a un système informatique distinct, complexe à intégrer, indique M. Pigeon. « Fusionnerait-on le gestionnaire? Aux Chic-Chocs, il est déjà le directeur financier, du transport ET de l’informatique! »

Déjà, les CS « se sont éloignées des gens » lors des fusions de 1998, ce qu’une nouvelle fusion accentuerait, juge M. Pigeon. Il fait remarquer que d’autres CS, comme celles de l’Estuaire sur la Côte-Nord (5770 élèves) conserveraient leur territoire malgré un moindre nombre d’élèves.

10 % d’espoir de renverser la vapeur

Le président de la CS René-Lévesque, Jean Couture, estime à 10 % « les chances que M. Bolduc revienne en arrière, partiellement », si les CS présentent des solutions. Selon M. Couture, les CS pourraient jouer un rôle en développement, à l’heure où les CLD sont abolis. « Pourrait-on être un acteur important dans les services aux entreprises? », dit-il.

Québec devrait présenter son projet de loi en février et les fusions seraient consommées le 1er juillet 2016.

Des spécialistes qui voyagent

François Tardif, de Gaspé, était président de la CS des Falaises lors de la fusion de 1998 et il est devenu président de la CS des Chic-Chocs jusqu’en 2002. « Plus tu agrandis le territoire, dit-il, moins tu as une connaissance pointue des réalités sociologiques et éducatives. Les commissaires scolaires et le président n’ont pas les moyens d’un député pour se promener d’un bord à l’autre. »

M. Tardif s’inquiète aussi pour les spécialistes comme les enseignants de musique ou d’anglais, ainsi que les professionnels comme les orthopédagogues. « Ils doivent déjà se promener beaucoup sur le territoire pour donner une tâche complète. Plus le territoire est grand, plus [l’administration] peut se sentir autorisée à les faire voyager. J’ai déjà eu un appel d’un spécialiste qui me disait : “je pars à 5 h sans voir mes enfants et quand je reviens, ils sont couchés”. »

GRAFFICI.CA a tenté d’obtenir des témoignages d’employés des CS à visage découvert. À la CS des Chic-Chocs, les employés ont la consigne de référer ces demandes à la responsable des communications, qui nous a répondu que seul le président donnerait des entrevues. À la CS René-Lévesque, on « accueille bien notre demande », nous a-t-on répondu, mais on aurait pu y donner suite seulement la semaine prochaine.

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