Hockey : nos ligues de garage
CARLETON ET GASPÉ, novembre 2018 – Des milliers de Gaspésiens et un nombre croissant de Gaspésiennes jouent au hockey toutes les semaines, souvent de la fin de l’été au début du printemps, si la glace tient. Ils jouent dans des « ligues de garage », l’expression désignant les groupes de joueurs qui pratiquent le sport pour le plaisir de la rencontre, pour la nécessité de bouger, parfois pour l’esprit de compétition et presque invariablement pour la bière d’après-match. GRAFFICI vous offre une incursion dans le joyeux monde du hockey, tout ce qu’il y a de plus amateur.
Il y a des ligues plus sérieuses, avec des équipes fixes, une assiduité quasi religieuse, des séries éliminatoires, un calibre plus élevé que la moyenne et la participation de joueurs qui ont parfois l’ambition de garder la main pour un éventuel recrutement par une équipe senior.
À l’autre bout du spectre, il y a les groupes moins sérieux, mais néanmoins bien organisés, où les équipes sont divisées le matin du match, en fonction des joueurs en présence, parfois puisés dans un bassin de substituts. Si une équipe domine outrageusement, un échange peut survenir en plein match. Les gardiens changent de camp à la mi-temps, à des fins d’équité.
Jean-François Plourde aurait pu gagner sa vie en jouant au hockey professionnel, et peut-être dans la Ligue nationale de hockey. Une fracture à une vertèbre cervicale alors qu’il évoluait pour les Falcons de Fresno, la filiale des Sharks de San Jose dans la East Coast Hockey League aux États-Unis, a mis fin à ce rêve. Diplômé en éducation, il gagne néanmoins son pain en grande partie grâce au hockey, en l’enseignant, en Gaspésie surtout, en vertu du programme hockey-études et au moyen des écoles estivales.
Comme si ce n’était pas assez, il joue quand il peut dans quelques ligues de garage, souvent comme substitut. Il est très en demande; « tout le monde joue mieux quand il est là parce que sa seule présence structure le jeu », remarque David Comeau, de Carleton, qui joue le vendredi en milieu d’après-midi.
Pour faire une bonne ligue de garage…
« C’est le groupe qui fait la ligue, et l’organisation, la qualité de l’organisation. Je donne des contre-exemples. Si tu as seulement 12-14 joueurs disponibles et un gardien alors qu’il en faut deux, et qu’une des deux équipes tente de marquer contre la planche [un panneau avec quatre trous plutôt qu’un gardien], c’est moins intéressant. À six ou sept joueurs par équipe, tout le monde a la langue à terre », aborde Jean-François Plourde.
« L’heure est un autre facteur. Jouer à 10 heures ou à 11 heures le soir, quand tu travailles le lendemain, c’est ordinaire. Le vendredi à 3 heures [15 h], c’est merveilleux », dit-il.
« Ça prend un arbitre, pas pour les punitions, mais pour mettre la rondelle en jeu, après les dégagements, et aussi pour la discipline. Tout le monde surveille mieux ses entrées de zone quand un arbitre peut siffler un hors-jeu », analyse Jean-François Plourde.
Le prix du temps de glace est aussi un avantage, surtout pour les hockeyeurs des régions, comparativement à ceux des grands centres. « Ça coûte 200 à 250 $ par saison, pour vingt-quelques parties. Les heures sont aussi plus raisonnables qu’en ville », souligne-t-il.
« Je rentre dans le précis, mais c’est l’fun quand il y a parité chez les gardiens, et la même chose chez les défenseurs. S’ils ne sont pas capables de relancer l’attaque avec une passe… Encore dans le précis, si tu es capable de monter la rondelle, essaie de la passer », note-t-il.
L’attitude du groupe aide à avoir du hockey de garage satisfaisant, ajoute M. Plourde. « La gang, c’est important. C’est un facteur de cohésion, peu importe le calibre des joueurs. Pour ceux chez qui c’est important, il peut y avoir des regroupements au niveau des calibres mais il faut que ça reste amusant. C’est là qu’on retrouve les meilleures ligues. »
La présence de femmes dans une ligne comptant souvent plus d’hommes? « La mixité amène un beau mélange. L’attitude change sur la glace. Il se dit quand même des niaiseries dans la chambre des joueurs mais d’une autre nature. Un autre élément intéressant, c’est la classe mixte dans certains tournois. Les garçons [adultes] sont limités à un but par match, comme le tournoi de Gaspé. Je joue avec mes sœurs. Ça devient un beau moment », note-t-il.
L’une de ses sœurs, Isabelle Plourde, de Gaspé, joue quatre fois par semaine dans des ligues de calibre varié « pour l’activité sportive, le dépassement, la rencontre. Ce sont toujours des belles gangs. […] C’est un exutoire. Quand tu es sur la glace, tu oublies tout le reste ».
Médecin et mère de trois garçons qui jouent aussi au hockey, Mme Plourde donne en plus un coup de main à leurs entraînements. Elle s’avoue « mordue ». « C’est un peu comme une maladie. Quand j’entre dans un aréna, je me sens très bien. Je prends une grande respiration. »
Les horaires des matchs – à partir de 21 h – cadrent bien dans sa vie familiale. « À cette heure-là, le souper, les devoirs, c’est fait », dit-elle.
Chez les Plourde, le hockey est une affaire de famille. L’oncle d’Isabelle Plourde, Louis Sleigher de Nouvelle, a joué pour les Nordiques de Québec et les Bruins de Boston dans les années 1980. Sa sœur Hélène se remet d’une blessure mais jouait avec Isabelle jusqu’à il y a un an. Le fils aîné d’Isabelle, Nathan Cabot, se joint à elles lors de son « match de filles » du mercredi soir à Gaspé, qui réunit des joueuses de 21 à 68 ans.
Jean-François Plourde a fait une découverte familiale insoupçonnée au printemps à la Coupe Desjardins de Paspébiac. « Isabelle est la plus « crinquée », mais après ma mère. On venait de regarder une partie où son petit-fils jouait et je lui ai dit « viens-tu? », pour sortir un peu de l’aréna. Elle voulait rester. « On va regarder l’autre partie. Je suis certaine que ça va être bon ». Elle ne connaissait personne dans ce match, qui était la première demi-finale bantam BB, mais elle voulait rester juste pour voir du hockey », dit-il, encore surpris.
Il s’est rassis. «Tu aimes vraiment, vraiment ça, le hockey!». Ce n’était pas une question, mais une constatation, que sa mère a relevée avec un sourire.
35 ans de camaraderie
Les Tamalous de Chandler, des joueurs de 60 à 78 ans, se retrouvent deux fois par semaine pour une heure et demie de hockey et la conversation d’après-match.
« Sur la glace, c’est le fun. Mais c’est le fun après la glace. On est fatigués, on retourne à la chambre, pour prendre notre douche et pour jaser. On parle de politique, de hockey. C’est bon pour le physique et pour le moral. On n’a pas besoin de pilules, nous autres! », lance Richard Cyr, 70 ans, l’organisateur des Tamalous.
« Il y en a quelques-uns qui sont avec moi depuis le début. On a eu du beau temps et des bad lucks. On a perdu quelques gars qui sont tombés sur la glace et qui sont morts quelques jours après. C’est arrivé trois fois. […] Ça a créé des liens, on se soutient », dit M. Cyr.
« Notre équipe s’appelle les Tamalous. Étant donné notre âge, on se demande souvent « t’as mal où? » C’est notre nom quand on va à Caplan ou Matane, pour des tournois de 60 ans et plus. »
Le secret d’une ligue de garage agréable et durable? « Il faut être capable de choisir les gars : des gars qui sont pas là pour gagner la coupe Stanley, mais pour s’amuser. Je les connais depuis 35 ans, je sais qui est bon. Je m’arrange pour que les équipes soient égales. Et je m’organise pour ne pas avoir de chialeux », dit M. Cyr.
Le hockey pour s’intégrer
Guillaume Molaison, originaire de Douglastown, a déménagé en 2011 à Murdochville, où il a ouvert une auberge de montagne, le Chic-Chac. « On arrive, on a une entreprise, une famille, pas beaucoup de temps pour la vie sociale. La chambre de hockey est un endroit où tout le monde discute. Il n’y a pas des tonnes d’endroits où tu peux te réunir à 15 ou 20 pour discuter. Le hockey nous permet de comprendre la perception de la population, d’avoir des feedbacks sur notre entreprise. »
Il est parfois difficile de recruter des joueurs réguliers pour la ligue de garage, dans la municipalité de 650 habitants. Au Chic-Chac, le hockey « fait quasiment partie des arguments d’embauche. Un employé qui a du stock de hockey, ça vient renforcer la ligue, on est contents », rapporte M. Molaison.
À son arrivée à Murdochville, lui-même a été courtisé pour joindre l’équipe de hockey senior les Anodes. « J’étais reconnu comme un bon joueur. Certains proposaient de me donner accès à certains secrets ou à des bâtiments si j’embarquais dans les Anodes. »
Par ailleurs, M. Molaison continue à jouer hockey quand il est en voyage dans sa belle-famille, sur la rive sud de Montréal. L’application Hockey Addict, qui jumelle des joueurs, lui permet de se joindre à des ligues de garage là-bas. « J’ai joué plusieurs matchs comme ça l’été dernier. Ça pop-up sur ton téléphone : une place s’est libérée à Brossard. »
Tous derrière Katy
Il y a deux ans, Katy Bourg, une enseignante de Carleton jouant dans la ligue du vendredi à 15 h 30, a été ciblée par un joueur anonyme ayant passé des remarques désobligeantes sur son jeu, dans le forum de discussion du logiciel Sport Easy, qui sert notamment à confirmer la présence des joueurs. Le jeu de Katy est pourtant très bon.
Dans les heures qui ont suivi, les « boys » se sont ralliés derrière elle, dénonçant le commentaire désobligeant du joueur anonyme.
« J’ai beaucoup apprécié ça », évoque maintenant Katy Bourg. « Mais au début, après avoir lu le commentaire, j’ai failli lâcher. J’en ai parlé à mon chum. Abandonner aurait donné raison au gars qui a écrit ça.
« Le gars n’avait pas compris l’esprit de notre groupe », déplore Sébastien Desbois, l’organisateur de cette ligue. Il aurait bien aimé le retrouver « pour lui expliquer ».
« Juste la façon qu’a Katy de nous dire « salut, les garçons » à la fin des parties, ça fait mon vendredi », résume David Comeau, pour exprimer le consentement général.
Des objections dans les tournois? Une occasion de se réinventer
En raison du très fort calibre de hockey qu’il déploie, Jean-François Plourde est recruté avec intérêt par des équipes s’inscrivant dans divers tournois, en Gaspésie et parfois en dehors de la région. Ce même calibre le confronte aussi à des objections tout aussi animées.
« Il y a des gens qui ne veulent pas que je joue, prétextant que ce ne sera pas juste. Je ne suis pas le seul à faire face à ce genre d’opposition. Je réponds souvent que je vais jouer à une autre position, comme à la défense, alors que je n’ai jamais joué à la défense. Je vais aussi jouer gaucher, alors que je suis droitier », explique-t-il.
Jean-François Plourde applique aussi cette versatilité dans les ligues de garage. « J’ai un bon « kick » de jouer à la défense parce que je ne connais pas cette position. Selon les raisons qui te font jouer au hockey, tu peux décider de te réinventer. Pendant mes années de hockey junior et professionnel, j’ai été plus un compteur qu’un passeur. Je peux me réinventer en devenant un passeur, en jouant à la défense, en jouant gaucher. Ça donne un défi et j’ai autant de plaisir », note-t-il.
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