Jacques Plourde : un centenaire perpétuellement engagé
RIVIÈRE-AU-RENARD | Si le passé militaire de Jacques Plourde est souvent relaté, sa contribution au développement économique et social de la péninsule gaspésienne, bien qu’elle soit tout aussi digne de mention, est moins bien connue. Retour sur la vie d’un homme toujours au service de sa communauté.
La poignée de main est franche, le regard, vif. Je rencontre pour la première fois le nouveau centenaire, qui m’invite à m’asseoir dans le salon de sa maison située à Rivière-au-Renard, la même qu’il habite depuis 1949, au lendemain de son mandat dans la marine marchande canadienne.
Dire de quelqu’un qu’il ne fait pas son âge est une formule ressassée qui tient bien souvent de la politesse. Pourtant, dans le cas de Jacques Plourde, elle trouve tout son sens, lui qui conduit encore son auto, fait du bénévolat et participe régulièrement aux rencontres organisées à la Légion royale canadienne de Gaspé.
De même, avant d’amorcer l’entrevue, il vérifie qu’il a bien réduit l’intensité de la cuisinière, alors qu’à mon arrivée il commençait la préparation du dîner. Depuis le décès l’an dernier de son épouse, Camille, l’homme concocte seul tous ses repas, composés en partie des fruits et légumes qu’il cultive, dans l’arrière-cour.
« J’ai un beau verger, et aussi un jardin, avec des carottes, des pois, des oignons et des patates, énumère avec fierté le Renardois. Et il y a ma serre, j’y vais à tous les matins et tous les soirs. Il faut que j’arrose! », assène-t-il, comme si la tâche allait de soi, faisant fi de ce que la société attend normalement des personnes qui atteignent l’âge de 100 ans.
Mais pour Jacques Plourde, ce quotidien bien rempli est dans la continuité d’une vie vouée à 1001 projets, autant professionnels que communautaires.
Jacques Plourde lors de son 100e anniversaire, en avril. Photo : Offerte par Jean-Marc Plourde
Pionnier
Je sollicite la mémoire à long terme de mon interlocuteur dès la première question posée, à savoir la description de son retour dans son village natal, il y a maintenant plus de 75 ans. Énergique et en verve, Jacques Plourde déconstruit une à une les préconceptions qui – à tort – collent aux individus plus âgés. Les souvenirs remontent à la surface rapidement, comme si les événements avaient eu lieu la veille.
« Je me suis parti une station-service, un garage deux portes, 40 par 40 [pieds]. Ça marchait bien », retrace-t-il, relatant les débuts de l’entreprise Garage Jacques Plourde, qui deviendra plus tard Jacques Plourde Transport.
Au fil des ans, suivant la hausse du nombre d’automobiles, elle-même propulsée par la croissance démographique et le développement économique du village, Jacques Plourde se munit d’un tracteur, puis d’une chargeuse sur pneus (communément appelée « pépine ») et de souffleuses à neige.
« « Asteure », il y a des petits souffleurs à toutes les portes, mais dans ce temps-là, des souffleurs, il n’y en avait pas! », rappellet-il. À cette époque, il obtient un contrat de la municipalité afin de déneiger les routes.
Parallèlement à l’implantation de son entreprise, le Renardois multiplie les engagements, de pompier volontaire (il fait partie de la première équipe déployée dans le village) à entraîneur au hockey mineur, en passant par la fondation d’un club de cadets et l’installation d’une antenne relayant pour la première fois un signal télévisuel dans la municipalité.
« Monsieur Charles Dufresne [un employé mandaté par le gouvernement pour l’installation de l’antenne] m’avait demandé pour l’aider, raconte Jacques Plourde. On était montés sur la montagne et on avait construit une petite bâtisse. On allait chercher la télévision de Matane et de New Carlisle. »
De l’importance de l’éducation
À la fois entrepreneur et citoyen engagé, Jacques Plourde trouve le point de convergence de ces deux intérêts dans la Jeune Chambre de commerce, de laquelle il sera d’ailleurs le président tant au niveau local que régional. « Le but principal, c’était le développement du membre », explique-t-il, révélant cette volonté de participer à l’essor économique de Rivière-au-Renard et de la Gaspésie.
Résolument engagé dans sa communauté et de plus en plus sollicité, le Renardois a toutefois l’impression de ne pas être suffisamment instruit. Une éducation de niveau supérieur légitimerait ses candidatures et lui donnerait plus de confiance. En septembre 1963, il obtient une attestation en administration de l’École des hautes études commerciales de Montréal (aujourd’hui HEC Montréal), lui qui pendant quatre ans se rend dans la métropole quelques fins de semaine annuellement pour y suivre des cours intensifs.
« D’être allé me chercher un petit « bac », ça m’a aidé pas mal dans tout ce que j’ai fait », observe-t-il en rétrospective. C’est d’ailleurs à la suite de cette formation qu’on le pressent pour diriger la commission scolaire locale. Se détachant du lot avec son diplôme universitaire, il occupera ces fonctions pendant plus d’une vingtaine d’années, d’abord à Rivière-au-Renard, puis à l’échelle régionale.
Engagement civique
Les plaques honorifiques et autres certificats de reconnaissance qui ornent le vestibule de la résidence agissent comme des jalons dans ce parcours éclectique. Hommage de l’Assemblée nationale pour son implication dans les Chevaliers de Colomb, médaille du lieutenant-gouverneur du Québec pour les aînés, prix hommage aux bénévoles de Héma-Québec, les nombreuses distinctions témoignent d’un engagement civique non seulement pérenne, mais couvrant aussi plusieurs domaines.
« J’aimais ça! », répond-il succinctement lorsqu’interrogé sur la motivation derrière cette implication à tous les niveaux. Bien que cet engagement soit désormais moins prégnant, il donne encore de son temps, notamment auprès d’organismes communautaires de Rivière-au-Renard et de Gaspé. Dans le cadre de la Semaine des vétérans, il va témoigner de la guerre auprès des élèves des écoles de la région.
Jacques Plourde est toujours actif, vivant seul dans la maison qu’il habite depuis 1949 à Rivière-au-Renard. Photo : Jean-Philippe Thibault
Fier et reconnaissant
Toujours au volant de son auto, Jacques Plourde prend la direction de la Légion royale canadienne de Gaspé une fois par semaine. Il va y boire une bière et discuter à bâtons rompus avec les membres de l’organisation. « Le gouvernement m’a envoyé un permis de conduire, valide jusqu’en 2028, dit-il, sourire en coin. Ils pensent que je vais me rendre là! »
À la fin de notre entretien, le Renardois propose de le suivre : il désire me montrer son jacket de la marine, celui qu’il porte à la « Légion », un veston couvert de médailles visiblement entretenu avec soin. « Je suis fier de ce que j’ai fait », exprime-il, portant le regard sur le passé, lucide quant au temps qu’il lui reste. Tout ce que j’ai essayé, ç’a bien été, et j’ai toujours travaillé avec du bon monde. Moi, ma vie, j’ai aimé ça. »