« Le grand partage » : un pont musical entre les cultures innues et allochtones
GRANDE-VALLÉE | Du 16 au 20 janvier, le Festival en chanson de Petite-Vallée tenait une résidence artistique intitulée « Le grand partage », qui a réuni neuf artistes émergents autochtones et allochtones dans l’ancien presbytère de Grande-Vallée. Tel un incubateur artistique, ce rassemblement visait à créer des rencontres riches entre ces différentes cultures pour que les artistes puissent ultimement s’en nourrir dans leurs œuvres.
Cette initiative du Festival en chanson de Petite-Vallée, mise sur pied pour la première fois de son histoire, a regroupé les autrices-compositrices-interprètes de la relève Gabrielle Côté (alias Gawbé), Louve Saint-Jeu, Sandrine St-Laurent et Luan Larobina avec le groupe NINAN, issu de la communauté innue de Matimekush-Lac John à Schefferville sur la Côte-Nord.
Les autrices-compositrices-interprètes allochtones Gabrielle Côté (alias Gawbé), Louve Saint-Jeu, Sandrine St-Laurent et Luan Larobina ont rencontré le groupe autochtone NINAN issu de la communauté innue de Matimekush-Lac John à Schefferville. Photo: Guillaume Whalen
À l’image d’une longue introspection, cette résidence cherche à confronter les artistes face à leur démarche musicale pour qu’ils apprennent à mieux se connaître et mieux définir leur propre art, explique Alan Côté, le directeur général et artistique du Festival en chanson de Petite-Vallée.
Au-delà de permettre aux auteurs-compositeurs-interprètes de progresser dans leurs musiques respectives, cette semaine intensive au presbytère a été une magnifique occasion pour Alan Côté de provoquer une rencontre entre des créateurs issus de différentes cultures. « La touche avec les Innus a permis de démystifier certaines croyances entourant les relations autochtones », constate-t-il.
Tous ces artistes ont accepté sans aucune hésitation l’invitation d’Alan Côté de se rassembler sur la pointe gaspésienne pour plonger une semaine durant dans la musique et l’ouverture sur l’autre. « Personne ne se connaissait avant d’arriver ici et très vite, j’ai senti que les artistes avaient envie de se rencontrer et de partager leur amour musical. En plus, tout le monde a fait preuve d’une grande curiosité bien vivante pour la culture de l’autre », témoigne Mathilde Côté, l’une des formatrices.
En effet, un bel esprit de camaraderie à l’image de celui retrouvé dans un camp de vacances s’est vite installé au presbytère. Frederic Cluney, le chanteur du groupe NINAN, se dit extrêmement touché par l’enthousiasme et les efforts des allochtones de découvrir l’innu-aimun, sa langue maternelle.
« Quand j’étais petit, je me réveillais tous les jours pour apprendre le français à l’école. Je me suis forcé même si ma première langue est l’innu-aimun. Alors, je trouve ça vraiment formidable de voir des non-autochtones essayer de parler ma langue maternelle », raconte celui dont le groupe a participé à la déferlante autochtone lors de la dernière édition du festival. « Je trouve magique ce que nous sommes en train de créer tout le monde ensemble pendant la semaine », ajoute-t-il.
Luan Larobina, la seule artiste gaspésienne du lot alors que toutes les autres habitent soit à Québec ou à Montréal, considère que cette rencontre avec les Innus ne serait pas devenue aussi mémorable si elle n’avait pas été guidée par la musique. « Ce que j’aime le plus de la musique, c’est qu’elle se partage si bien. C’est un art qui demeure une merveilleuse façon de communiquer et qui transcende les dialectes peu importe nos origines », évoque-t-elle.
« Les Innus ont une manière de penser bien différente de la nôtre. Dans leur langue, il y a des mots qui expriment des concepts que nous en français, on dirait en plusieurs phrases. Je trouve la langue très riche puisqu’elle crée de belles images inspirantes dans la composition », estime celle dont la musique se distingue pour rassembler ses racines argentines et québécoises avec des rythmes chauds sud-américains collés sur des textes francophones.
Les neuf artistes ont présenté au Camp chanson de Petite-Vallée le 20 janvier, un spectacle préparé en seulement quelques jours. Photo: Guillaume Whalen
Une promiscuité musicale inspirante
Avec un horaire ficelé serré, les artistes ont meublé leur temps en musique uniquement, avec toutes sortes d’ateliers, notamment d’écriture ou d’arrangements, sous le mentorat de la pianiste Mathilde Côté et du multi-instrumentiste Guillaume Arsenault. Les musiciens avaient comme mission de présenter à leur sortie de résidence un spectacle pour refléter le fruit de leur semaine passée au presbytère.
« Les artistes arrivaient avec leur propre répertoire qu’on retravaillait ensemble. On essayait d’ajouter soit des passages en innu-aimun sur certaines chansons allochtones ou en français pour les tounes de NINAN », illustre Mathilde Côté. Cette dernière s’occupait un peu plus du volet relié aux arrangements musicaux, épaulée par Guillaume Arsenault qui dirigeait pour sa part davantage la mise en scène du spectacle final. « En plus de l’innu-aimun, on apprend également l’espagnol à cause des racines argentines de Luan Larobina », se réjouit-elle
Ainsi, la sortie de résidence s’est cristallisée avec un spectacle unique au Camp Chanson de Petite-Vallée dans lequel les artistes ont réinterprété certaines de leurs chansons de façon intime, touchante et tout en douceur devant une salle comble où les spectateurs chantaient et dansaient.
Bien que le Festival en chanson de Petite-Vallée offre toutes sortes de résidences de création pour encourager la relève à poursuivre son cheminement artistique, c’était la première fois qu’une rencontre de ce type entre autochtones et allochtones voyait le jour au Village en chanson.
Selon Alan Côté, le succès de cette résidence réussira sans doute à frayer la voie à davantage de rencontres artistiques et culturelles dans le secteur de l’Estran. C’est d’ailleurs la volonté de l’organisation d’en orchestrer beaucoup plus.
La prochaine rencontre, portant le nom de « Destination Gaspésie-Occitanie », se déroulera en mars et réunira six artistes canadiens et français.