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16 novembre 2023 14 h 17

Marjolaine Castonguay : la rigueur scientifique au profit du bien commun

CARLETON-SUR-MER – L’imposant bâtiment de bois à la toiture vert émeraude surplombe, à l’est, le centre de la municipalité. À l’intérieur de ses murs, les bureaux de dizaines d’employés dont les professions diverses se rejoignent dans un dessein commun : le service-conseil en environnement.

« Une chose que j’avais à coeur, c’était d’avoir une équipe multidisciplinaire », révèle Marjolaine Castonguay, fondatrice et présidente-directrice générale de l’entreprise PESCA Environnement. « Pas juste des biologistes, mais aussi des ingénieurs, des géologues, des historiens et des économistes, entre autres. Ça nous permet d’aborder les multiples aspects d’une problématique », rajoute-t-elle, introduisant du même geste l’approche proposée par l’entreprise aux citoyens, industries, organismes et communautés avec lesquels elle fait affaire depuis 1991.

À l’époque, le choix de cette structure organisationnelle détonne avec les habituelles firmes composées uniquement de biologistes ou d’ingénieurs. Mais ce n’est pas la première fois que Marjolaine Castonguay fait preuve d’audace. La décision d’établir ce genre d’entreprise en région, de surcroît à une époque où la conscience environnementale est tout au plus balbutiante, en laisse alors plusieurs dubitatifs. « Mon comptable me disait « ferme ça, tu vas faire faillite, tu travailles pour rien », expose la biologiste de formation. Mais j’étais convaincue; ma motivation c’était qu’on est utile et que les gens apprécient ce qu’on fait. »


Marjolaine Castonguay a toujours aimé et aime encore aller sur le terrain, vérifier comment ça se passe, voir les jeunes, les accompagner et répondre à leurs questions. Elle cite Will Durant. « Toute science commence par une philosophie et se termine en art. » Photo : Fournie par PESCA Environnement

L’établissement d’une entreprise… et d’une famille

Si l’entreprise compte aujourd’hui 65 employés, non seulement ici, mais également dans l’ouest du pays et en Europe, les débuts ont été certainement modestes. « On a commencé à Maria, dans ma maison », dévoile celle qui avait à ce moment tout juste interrompu ses études de doctorat en biologie à l’Université Laval. Accompagnée du biologiste Jean-Guy Paquet, dont elle fait la rencontre au baccalauréat, Marjolaine Castonguay, alors âgée de 28 ans, entreprend les premiers mandats de l’entreprise.

« Quand je suis arrivée ici, ce qui a été vraiment fantastique, c’est qu’il y avait un programme de développement économique du saumon qui avait été mis en place par le [gouvernement] fédéral », raconte la femme originaire de Saint-Paul-de-la-Croix, près de Rivière-du-Loup. « Avec mes connaissances dans la biologie du saumon [son mémoire de maîtrise portait sur la distribution de la nourriture dans les marais salés de L’Isle-Verte], j’ai profité de cette opportunité. »

Au cours des 10 premières années de PESCA Environnement, la jeune entreprise travaille presque exclusivement sur les rivières à saumon de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. « On faisait des projets de recherche pour augmenter la capacité de rétention des saumons dans les fosses », résume celle qui, en parallèle du développement de l’entreprise, veille à la croissance…de trois jeunes enfants.

« Quand j’ai commencé PESCA, j’avais un bébé de six semaines, un de un an et demi et une enfant de trois ans, raconte Marjolaine Castonguay. Un peu plus tard, je les amenais, le samedi, faire des inventaires de tacons [nom donné aux jeunes saumons] avec moi! Les employés les ont vu grandir, ils sont là depuis toujours. » Aujourd’hui âgés entre 32 et 35 ans, Sylvain, Jean-Pierre et Marie-Flore font tous les trois partie de l’entreprise, respectivement à titre de directeur du développement organisationnel et des affaires, de géographe et d’urbaniste.

Du saumon à l’éolien

Ayant toujours été attirée par l’eau (le nom de l’entreprise, le mot pesca, signifie « pêche » en espagnol), à la fois émerveillée et enthousiasmée par les possibilités qu’offre sur ce plan le territoire gaspésien, les travaux réalisés sur les rivières de la région recoupent ainsi les intérêts de la biologiste, en plus de correspondre à l’idéal scientifique qui l’anime. « La recherche comme telle m’a toujours intéressée, et quand j’ai démarré PESCA, j’avais l’idée de faire de l’acquisition de données et de connaissances selon un protocole scientifique, explique-t-elle. Je voulais amener cette rigueur scientifique dans notre service-conseil et c’est ce qui a assuré notre succès. »

La consolidation du secteur de la pêche au saumon à laquelle l’entreprise contribue signale cependant la fin de ce mandat. Songeuse quant à l’avenir, la région étant plongée dans un marasme économique au tournant des années 2000, Marjolaine Castonguay voit le ciel s’éclaircir à la suite d’un coup de fil inattendu. « Un ami de Gaspé, Évangéliste Bourdages, m’a appelée pour me dire que quelqu’un allait me contacter pour une histoire d’éoliennes dans le coin de Rivière-au-Renard, raconte-elle. J’ai dit oui. »

L’entreprise entreprend ainsi ses premiers inventaires fauniques et floristiques réalisés dans le cadre d’études d’impact, à Rivièreau-Renard d’abord, puis dans le coin de Murdochville. Sur le terrain pendant la journée, PESCA Environnement tient des portes ouvertes en soirée, où une centaine de citoyens peuvent se masser, intrigués par l’émergence de cette industrie et des retombées qui l’accompagnent. « On a vu le potentiel [de la filière éolienne] et il fallait sortir de ce marasme, retrace la scientifique. En même temps, on voulait mettre en place de bons standards, construire une belle industrie. »

Déjà sensible à des enjeux environnementaux alors encore méconnus, l’entreprise participe à la prise de conscience collective de l’impact des activités humaines sur son milieu. « Quand j’ai commencé, je ne pouvais pas avoir 65 employés comme on a aujourd’hui, constate Marjolaine Castonguay. Maintenant, on est vraiment essentiel dans la chaîne de production d’un projet, essentiel notamment pour que les entreprises obtiennent leurs permis et leur financement. »


En janvier 2023, Marjolaine Castonguay, au centre droit ici, a organisé une rencontre de formation, réunissant aussi les employés de la firme à Calgary et en Europe. Une activité de plein air a notamment été tenue au mont Saint-Joseph. Photo : Offerte par PESCA Environnement

Biologiste et entrepreneure

Femme de science doublée d’une entrepreneure, Marjolaine Castonguay incarne la compatibilité de démarches que certains diront être difficilement conciliables. « Il faut comprendre que l’environnement, c’est tout ce qui nous permet d’être, soutient-elle. Mais, il faut aussi qu’on permette le développement économique. On ne peut pas seulement mettre une cloche de verre et dire « on prend soin de l’environnement ». »

Au fil des ans, PESCA Environnement a ainsi su développer une expertise sur le plan des énergies vertes. Certes, l’éolien, mais s’ajoutent aujourd’hui également l’énergie solaire et l’hydroélectricité. « On travaille sur une dizaine de projets de parcs éoliens et solaires en Saskatchewan et en Alberta, révèle la femme d’affaires. On est aussi allé chercher les permis nécessaires à la construction d’une centrale hydroélectrique à Inukjuak, dans le Nord-du-Québec. On offre tout le service de l’analyse environnementale d’un projet énergétique. »

Forte de l’étendue du champ d’action couvert par son entreprise, Marjolaine Castonguay voit d’un bon oeil l’émergence de l’hydrogène, dont la Gaspésie pourrait tirer profit. « Je me sens un peu comme quand l’énergie éolienne est arrivée au Québec, révèle la PDG. Ça serait vraiment bien pour la Gaspésie, parce qu’on pourrait avoir des centrales de production d’hydrogène dans plusieurs localités pour alimenter par exemple des bateaux et des camions. »

Enfin, en parallèle des projets à vocations industrielles et commerciales, PESCA Environnement offre aux particuliers des services liés notamment à l’eau potable, à l’érosion et aux fosses septiques. L’entreprise est aussi présente lorsqu’il s’agit d’expliquer et vulgariser les tenants et aboutissants de projets qui concernent la population. « Oui, on a un esprit scientifique, mais il faut être capable d’expliquer notre science aisément et avec empathie, indique la biologiste. Il faut se mettre à la place de la personne qui a des inquiétudes. »

Le legs de « Madame PESCA »

Bien que la principale intéressée ne soit pas à l’heure des bilans, elle ne se prive pas de poser un regard rétrospectif sur la trentaine d’années d’existence de son entreprise. « Fallait être tenace, vraiment tenace, pour dire j’installe le siège social d’un consultant en Gaspésie et je vais survivre, réaffirme celle qui avec le temps a été surnommée « Madame PESCA ». Mais justement, « considérant » le fait qu’on travaille en environnement en Gaspésie, nos clients savent qu’on est des vrais de vrais. »

Mue par le désir de développer une expertise proprement gaspésienne et la volonté de contribuer au bien commun, comme elle le souligne, Marjolaine Castonguay souhaite qu’une entreprise comme PESCA Environnement demeure ultimement accessible. « Cette possibilité d’emploi [pour les Gaspésiennes et les Gaspésiens], d’oeuvrer dans une structure familiale, à une échelle où on se connaît tous, c’est précieux. »