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Mélanie Babin, en compagnie ici de Malcolm, croit que l’accent placé sur les maternelles quatre ans crée un stress additionnel pour les enfants. Photo : Gilles Gagné
15 octobre 2019 20 h 50

Maternelles quatre ans : des grandes réserves dans la région

Gilles Gagné

Journaliste

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New Richmond | L’implantation des maternelles pour enfants de quatre ans s’accélère au Québec, alors que 250 classes s’ajoutent aux 394 classes existantes lors de la rentrée de 2018. En Gaspésie, cette accélération suscite peu d’enthousiasme. Il y a cet automne cinq classes de moins que le programme du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge avait prévu et le nombre d’enfants baisse aussi par rapport à l’an passé. Les Gaspésiennes travaillant avec les enfants visés par les maternelles 4 ans tombent souvent à bras raccourcis sur cet aspect du programme d’éducation de la Coalition avenir Québec. Voici un aperçu de ce qu’elles en pensent.

Maternelles quatre ans : une forme de désaveu, disent les éducatrices

Dès que l’éducatrice Mélanie Babin et ses collègues ont vu le déploiement du programme du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge en ce qui a trait aux maternelles quatre ans, « on a cru que c’était une façon cachée de mettre fin à notre service. On ne se sentait pas considérées. Il y avait un message comme quoi on n’était pas les spécialistes de la petite enfance », dit-elle.

Mélanie Babin travaille au centre de la petite enfance Pouce Pousse de New Richmond depuis 12 ans. Si on compte les trois ans de stage ayant entrecoupé sa formation, elle a évolué pendant 15 de ses 32 années dans un centre de la petite enfance (CPE). C’est presque la moitié de sa vie.

Les enfants bourdonnent littéralement autour d’elle lorsqu’ils jouent dehors. Ils la touchent, au sens propre comme au sens figuré. Elle consacre à chacun une attention sentie, et un regard vers ses collègues convainc rapidement qu’elles démontrent le même genre de sollicitude à l’endroit des enfants.

Patiemment, Mélanie Babin explique à Graffici le contexte prévalant dans les CPE depuis quelques années, pas seulement depuis l’arrivée de la Coalition avenir Québec (CAQ) au pouvoir.

« Ils coupent tout le temps, monétairement, dans notre système, et ils le mettent (l’argent récupéré) dans les écoles. On le sait que ça va coûter cher de béton et qu’il n’y a pas de place dans les écoles pour les maternelles quatre ans. Seule consolation, c’est que dernièrement, on a réussi à obtenir qu’il y aura maintien des CPE », précise Mélanie Babin.

« On a vécu de nombreuses coupures, des changements de postes, des pertes dans nos conventions collectives, même si ce n’est pas seulement une question d’argent. Ce sont les services aux enfants qui en souffrent quand les coupures frappent les budgets alimentaires, l’argent pour le bricolage et les sorties », ajoute-t-elle.

« Les enseignants sont mieux rémunérés. Nous ne sommes pas reconnues à notre juste valeur. La seule épargne que fait le gouvernement, c’est qu’il y a plus d’élèves par professeur, 20-22 dans une classe de maternelle quatre ans (quand elle inclut des enfants de cinq ans) que d’enfants par éducatrice dans un CPE, 10 pour une pour les enfants de quatre ans, et une pour huit, quand les enfants sont plus jeunes. C’est plus sécuritaire pour les enfants. On oublie aussi que leurs besoins affectifs sont moins bien comblés, plus le rapport enfants/professeur est élevé », analyse Mélanie Babin.

Bien des enfants de quatre ans voient en la maternelle quelque chose de gros.  « Même à cinq ans, il y a des enfants qui ont quitté la petite enfance et qui pleurent en entrant à l’école. Ils vivent un stress. Il ne faut pas oublier que certains enfants n’avaient que trois ans quand l’année scolaire a débuté, puisqu’ils ont jusqu’au 30 septembre pour avoir quatre ans. Un an, quand on a juste quatre ans, c’est énorme. Il y a des enfants qui ne sont pas propres à quatre ans. Ils seront obligés d’embaucher une aide dans les écoles parce que les professeurs ne changent pas les enfants », note Mme Babin.

« On vit dans une société de performance. Ça (la maternelle) crée déjà du stress à cinq ans. L’anxiété des enfants augmente déjà dans la vie en général. Ça va l’augmenter encore plus », dit-elle.

Jouer dehors à quatre ans, « c’est super important. Les enseignants peuvent aller dehors mais on n’a pas vu des enseignants garder leurs enfants dehors aussi longtemps qu’ici », note-t-elle.

La question d’estime de soi préoccupe aussi les éducatrices comme Mélanie Babin.

« Dans la petite enfance, la base de l’estime de soi commence. Ici, ils (les enfants de quatre ans) sont les plus grands. Ils se sentent grands, compétents dans un environnement qu’ils connaissent. Ça leur permet d’avoir des réussites. À l’école, il y a plus de places pour des défaites à cet âge. Le taux de réussite pour les enfants de quatre ans à l’école est plus bas qu’ici. Ils peuvent moins initier leurs jeux. Ici, les quatre ans sont les plus grands; à l’école, ils sont les plus petits. Ils peuvent moins exploiter leur potentiel »

Réjeanne Gauvreau, qui possède son centre de garde en milieu familial depuis 37 ans à Carleton, affirme que les maternelles quatre ans, « ça ne donne pas à l’enfant le temps d’être petit. Les études prouvent que psychologiquement, un enfant n’est pas prêt pour l’école à quatre ans. Les groupes sont trop nombreux. Ils sont trop petits pour embarquer dans l’autobus. Les chauffeurs nous le disent »

Le ministre Roberge avance régulièrement que les maternelles quatre ans contribueront au dépistage des enfants éprouvant diverses difficultés d’apprentissage.

« À quatre ans, c’est trop tard pour faire du dépistage. On le fait, on travaille déjà là-dessus, dans les centres de garde. On collabore avec les parents. Quand l’un d’eux vient chercher son enfant, on lui dit qu’il faut que l’enfant travaille tel ou tel aspect. Les professeurs n’ont pas le temps de les consoler quand ils pleurent. Si l’enfant fait pipi dans ses culottes, l’enseignant appelle un parent et dit de venir le chercher », remarque Mme Gauvreau.

« Je crains que ça fasse du décrochage. Que se passera-t-il l’été? Il fait quoi, cet enfant. Ce ne sont pas tous les terrains de jeux qui acceptent les enfants de cet âge. Nous, dans les services de garde, n’avons pas le droit de le reprendre à partir du moment où il est intégré à l’école. Ça va devenir un problème », conclut Réjeanne Gauvreau.

Mélanie Babin renchérit. « Mon opinion, c’est que le taux de décrochage sera plus élevé. Le taux d’échec sera plus grand parce qu’ils (les enfants de quatre ans) risquent d’entreprendre moins de choses, dans un milieu dominé par les plus grands. C’est très fragile, cette confiance, et c’est déjà difficile à construire ».

Présidente du Syndicat des éducatrices en milieu familial, Réjeanne Gauvreau voit une lente érosion de son nombre de membres depuis cinq ans, nombre qui est passé de 56 à 40.

» J’ai assisté au Sommet de l’éducation il y a quelques années et le ministère ne s’est pas occupé de ce que les éducatrices ont dit. Leurs consultations se sont arrêtées à Rimouski. Je suis allée  mais ils (les responsables du sommet) ne sont pas venus en Gaspésie pour vérifier nos besoins », déplore-t-elle.

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