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20 décembre 2017 21 h 08

Viviane Gray, femme-orchestre de la reconnaissance de l’art autochtone au Canada

Gilles Gagné

Journaliste

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LISTUGUJ – Ils se distinguent dans leur domaine d’activités, comme cinéaste, anthropologue, politicienne, athlète ou scénariste. Rencontre avec des Micmacs aux racines gaspésiennes. Aujourd’hui, Viviane Gray, de Listuguj.

Artiste, anthropologue, auteure, professeure d’université, conférencière, administratrice et conservatrice de musée, Viviane Gray est devenue en 1973 la première diplômée universitaire originaire de Listuguj, en tant que titulaire de baccalauréats en anthropologie et en français.

 Sa feuille de route est vaste et variée au point où il est difficile de choisir sa contribution la plus remarquable. Il est toutefois évident que ses efforts pour faire reconnaître l’art autochtone sur le plan canadien constituent sans doute le travail ayant nécessité le plus d’effort et de conviction de sa part.

« Dans les années 1970, les artistes autochtones n’étaient pas reconnus comme faisant partie de l’art contemporain. J’avais un gros problème avec ça. Nous avions un art autochtone contemporain mais les galeries d’art ne l’acceptaient seulement que comme « art traditionnel ». Mon point de vue, c’était que notre art, même traditionnel, était contemporain, moderne », aborde-t-elle.

 Elle avait tout un pays à convaincre. La tâche était énorme, notamment parce qu’il n’existait à peu près aucune documentation sur l’art autochtone canadien.

Cette documentation, elle l’a montée, notamment en rédigeant depuis 1976, seule ou avec d’autres, une trentaine d’ouvrages allant de catalogues d’expositions à des fascicules et articles présentant des artistes, en passant par des livres. 

Jusqu’en Sibérie

Cet intérêt pour l’art autochtone a largement dépassé les frontières du Canada. Ainsi, en 2003-2004, alors qu’elle dirigeait la collection nationale du ministère fédéral des Affaires autochtones, elle a organisé la première exposition d’art aborigène au Musée ethnographique de Saint-Pétersbourg, en Russie. 

Ce projet russo-canadien de trois ans a été mené en collaboration avec la Fédération russe des peuples indigènes, d’autres ministères du gouvernement canadien et des groupes d’artistes. 

« Il s’agissait aussi d’emmener en Sibérie orientale un petit groupe d’animateurs culturels canadiens travaillant en art autochtone nordique et des artistes Inuits pour participer à un symposium à Tioumen et à se rendre au cercle polaire le long de la rivière Ob afin de rencontrer et de tenir des rencontres culturelles avec les Yamal Nenets, les Lapons », dit-elle.

Ses travaux l’ont aussi menée à travailler avec des peuples autochtones d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Taïwan. 

En 40 ans, Viviane Gray a aussi organisé des dizaines d’expositions au Canada afin de faire connaître l’art autochtone. Elle a enseigné les rouages de cet art à l’Université d’Ottawa et à l’Université McGill. 

Élevée par la communauté

Viviane Gray a perdu son père, Joseph senior, mort noyé dans la rivière Restigouche, alors qu’elle avait deux ans. Sa mère, Alice Anna Dionne, une Malécite de Cacouna, a été hospitalisée alors que Viviane n’avait que neuf ans, pour décéder six ans plus tard. 

« Mon frère William n’avait que huit ans à ce moment. Nous avons été élevés par un autre frère, Ivan et sa conjointe, Patricia, même si Ivan n’avait que 18 ans. Ils nous ont épargné les pensionnats autochtones. Ce fut ma première leçon de compassion dans la vie. Toute la communauté nous a aidés à grandir et à devenir des personnes responsables et heureuses », dit-elle. 

« Une grande partie du crédit pour notre éducation revient à Patricia. Tous les enfants de la famille ont fait les études qu’ils désiraient. Elle nous a montré à être curieux. « N’ayez pas peur. Il n’est pas important d’être riche dans la vie, il faut être libre de ses choix ». Tout le monde a eu au moins une passion dans la famille », raconte-t-elle. 

Viviane Gray vante aussi l’ancien chef Alphonse Metallic pour son ouverture. « Il nous a encouragés à étudier, dans mon cas au Coady Institute en Nouvelle-Écosse et à l’Université Carleton. Avant que je parte, il m’a dit : « N’oublie jamais qui tu es ». Cette phrase m’a aidée à m’affirmer et à m’entendre avec les différents peuples, autochtones et autres. » 

Bien qu’elle vive à Ottawa depuis plus de 45 ans, Viviane Gray revient à Listuguj tous les étés pour le pow wow. Elle constate une meilleure compréhension entre autochtones et non-autochtones. 

« Je pense que cette situation pourrait encore être améliorée si notre culture était enseignée dans les écoles de la Gaspésie. » 

Madame Gray voit dans le rôle de l’éducation le plus grand changement survenu dans sa communauté. « Le nombre de diplômés universitaires et de candidats aux études supérieures augmente tellement », dit-elle. 

Elle et son frère William, diplômé en éducation physique en 1974, ont bien tracé le sentier à suivre.

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