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8 juillet 2021 9 h 30

Mylène Parisé, ou l’impression de s’amuser en travaillant dur

Gilles Gagné

Journaliste

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Depuis septembre dernier, GRAFFICI vous présente des scientifiques qui, tant en sciences naturelles qu’en sciences humaines, contribuent à l’avancement des connaissances en direct de la péninsule. Grâce à leur expertise pointue dans leur domaine de prédilection, ils démontrent qu’il est fort possible de faire rimer les mots « Gaspésie » et « science ». Cette fois, nous vous présentons Mylène Parisé, une archéologue vivant à Escuminac ayant su, depuis 15 ans, dénicher suffisamment de mandats pour mériter une reconnaissance grandissante de la part des acteurs de sa discipline. Elle est sur le point de perfectionner ses connaissances pour faire profiter la région de nouvelles idées et de nouveaux projets.

ESCUMINAC | Comment une jeune fille prend-elle goût à l’archéologie? Mylène Parisé, une diplômée en anthropologie avec spécialisation en archéologie, personnifie ce goût précoce, puisqu’elle a effectivement adopté cette discipline quand elle était petite.

C’est peut-être pour cette raison, l’association entre l’archéologie et l’enfance, qu’elle n’a jamais l’impression de travailler quand elle est sur un terrain de fouilles. Elle évolue dans son petit carré, les deux mains dans la terre, à essayer de trouver des traces d’humanité remontant à quelques siècles ou, mieux, à quelques millénaires.

« Depuis que je suis petite, j’ai une curiosité pour l’histoire ancienne. Ma mère écoutait beaucoup de documentaires. Je rêvais d’aller en Papouasie. Je suis de la génération Cités d’Or », précise-t-elle, en faisant référence à la série Les Mystérieuses Cités d’Or, jadis présentée à Télé-Québec.

Malgré un nom bien gaspésien, Mylène Parisé est née à Québec en 1981 et elle a grandi à Saint-Lin, dans les Laurentides. Son père étant originaire de Paspébiac, elle visitait la Baie-des- Chaleurs durant tous les étés de son enfance pour voir la famille. C’est ailleurs que s’est toutefois manifesté un éventuel désir de vivre dans la péninsule. Ce désir est né à l’été 2002, au milieu de ses études universitaires, amorcées en 1999-2000.

« J’avais travaillé comme serveuse à Montréal lors des étés précédents. J’avais le goût d’être à l’extérieur, sur le terrain. J’ai essayé de me trouver un emploi du genre. Le parc de Miguasha cherchait des guides-interprètes. J’ai fait l’entrevue au téléphone. L’emploi débutait deux jours plus tard. J’ai rencontré Jason dès le début », raconte-t-elle.

« Jason », c’est son conjoint Jason Willett, le premier scientifique présenté par GRAFFICI à l’occasion de cette série. Il est technicien en paléontologie. Le travail méthodique, patient et souvent solitaire caractérise donc leurs professions respectives.

Même si son intérêt pour l’emploi de guide-interprète au parc fossilifère de Miguasha a faibli un peu au cours de ses troisième et quatrième années à ce poste, Mylène Parisé y est restée jusqu’à la saison 2005 inclusivement. La présence de Jason Willett n’était pas étrangère à ce séjour plus long que prévu en paléontologie.


En 2018, Mylène Parisé a travaillé à New Carlisle, lors de fouilles visant à vérifier l’intérêt archéologique de l’emplacement choisi pour le nouveau garage municipal. Photo : Offerte par Mylène Parisé

Quelques méandres…

Son parcours académique zigzague passablement pendant cette période. Elle avait interrompu ses études à l’Université Laval après sa première année en archéologie pour devenir… G.O. [gentille organisatrice] dans un Club Med. En 2003, elle reprend le chemin des bancs d’école à l’Université de Montréal, en … anthropologie, qui reste une discipline proche de l’archéologie, au point où sa spécialisation se porte sur sa passion d’enfance.

C’est ainsi qu’on retrouve Mylène Parisé en Colombie-Britannique et au Yukon lors des hivers 2004-2005 et 2005-2006 respectivement. Elle étudie à distance. Jason l’accompagne lors de ces périples.

Reçue archéologue en 2006, elle décroche un premier contrat durant la même année avec une équipe qui passe l’été en Alaska, loin au nord-ouest, dans la chaîne Brooks.

« Ç’a été une expérience unique, vraiment exceptionnelle. On survolait un territoire en avion et en hélicoptère, parce qu’il n’y a pas de sol [terre meuble] dans ce secteur. On récupérait et on documentait ce qu’on trouvait. J’étais la seule fille dans une équipe de quatre, avec trois hommes dans la soixantaine. C’était une chance de démarrer de cette manière. C’était un secteur vraiment isolé. Les autochtones les plus proches étaient à 300 kilomètres », évoque-t-elle avec animation.

Elle parle avec la même ferveur d’un autre contrat l’ayant emmenée « au fin fond de la baie James. Tu n’iras jamais là si tu ne fais pas de l’archéologie! L’équipe était formée de gens éclatés. J’y suis allée quatre fois pour des projets hydroélectriques. Il fallait fouiller avant que les chantiers démarrent », résume-t-elle.

Qu’aime-t-elle de cette recherche d’humanité passée, ponctuée de restes de feux, d’ossements calcinés, de morceaux de vaisselle brisée et de rares pointes de flèche, la prise ultime? « Une fois sur le terrain, c’est découvrir d’autres endroits, être dehors, être avec des gens trippants! J’aime être dans mon trou, à creuser. Je focalise sur le moment présent. Ce n’est jamais pareil. Les contextes de terrain sont toujours différents. En forêt par exemple, le sol n’est pas dérangé », décrit Mylène Parisé.

En parlant du contrat décroché en Alaska, elle lance le mot-clé en archéologie : contrat. Pour bien des archéologues, la vie bat au rythme des contrats. Mylène Parisé en sait quelque chose.

« Quand j’ai eu Xavier, notre premier enfant, j’ai vécu un changement total dans ma vie. Je ne pensais pas pouvoir concilier travail en Gaspésie et enfants. Je n’étais pas sûre que les compagnies m’embaucheraient. Il faut être disponible et mobile », explique-t-elle.

Xavier, le premier de trois enfants, est né en 2011. Elle avait appris en septembre 2010 qu’elle était enceinte. Elle était sur le terrain pour un rare contrat en Gaspésie à l’époque, en l’occurrence la troisième tentative pour découvrir l’emplacement de la Petite-Rochelle. Ce village avait été fondé en 1757 par des réfugiés acadiens, entre Pointe-à-la-Garde et Pointe-à-la-Croix, et il a été détruit en juillet 1760 par les troupes anglaises, dans la foulée de la bataille de la Ristigouche.

« J’ai fait un arrêt de 2011 à 2017. J’ai été technicienne en arpentage. J’ai démarré une entreprise, mais l’archéologie n’a jamais été loin dans ma tête. J’ai fait un retour à Percé en 2017, avec un petit contrat de trois semaines. Oh wow! J’étais de retour à faire quelque chose que j’aime. Je suis revenue en 2018 à temps partiel, du printemps à l’automne. En 2019, j’ai passé un été à Miguasha, en paléontologie cette fois, sur la plage en face de chez moi », note-t-elle.

En cumulant plusieurs contrats, dont quelques-uns à l’extérieur de la Gaspésie, elle a acquis une expérience qui lui a permis de diversifier ses mandats et de travailler l’hiver, les fouilles pendant les mois froids étant rares.

« Je fais des évaluations de potentiel archéologique, en hiver. Je reçois deux types de documents, un avis de potentiel archéologique, ou une étude de potentiel, ce qui est un document plus complet. Dans le cas d’une ville qui agrandit son aréna d’une “couple” de mètres, on n’a pas d’étude qui ne finit plus, mais si c’est plus grand comme projet, ça vaut la peine d’aller plus loin. S’il y a étude, ça couvre un terrain plus élargi », précise Mylène Parisé.


En septembre 2010, Mylène Parisé a participé aux travaux visant à localiser la Petite- Rochelle, village bâti en 1757 par des réfugiés acadiens et détruit par les troupes britanniques trois ans plus tard. Les travaux n’ont pas abouti au résultat escompté. Mylène Parisé côtoie ici son collègue Éric Phaneuf, qui dirigeait le projet. Photo : Gilles Gagné (archives)

Ces évaluations de potentiel font appel à des aptitudes différentes chez l’archéologue. C’est un boulot d’enquête historique, au sens très large, afin d’identifier l’activité humaine.

« C’est un travail multisphère : qu’est-ce qu’on connaît des activités des environs, des paysages anciens, de l’évolution du paysage, de la végétalisation, de la géomorphologie? Est-ce que les lieux ont été inondés? Est-ce qu’il y a eu une présence autochtone connue? Il faut analyser ce qu’on connaît jusqu’à aujourd’hui, et ça inclut une analyse iconographique », explique-t-elle.

La décision quant au feu vert pour réaliser des travaux au sol est prise en fonction de différents facteurs.

« Si le lieu n’est pas classé par le ministère de la Culture, ça relève de la volonté de la municipalité de vérifier s’il y a du potentiel. On se préoccupe du patrimoine comme on peut se préoccuper d’un lieu d’oiseaux nicheurs. Percé est classée; on [les autorités] n’a pas le choix de faire une intervention suggérée par une évaluation », précise Mylène Parisé.

Parallèlement au travail qu’elle reçoit régulièrement de deux firmes-conseil en archéologie, elle fait la promotion de sa profession auprès des municipalités gaspésiennes et d’autres organismes.

« Depuis deux ans et demi, je suis en action, pour faire comprendre aux gens qu’il y a du potentiel. Il y a une valeur touristique à l’archéologie. Il y a des gens que ça intéresse vraiment », dit-elle.

Récemment, l’archéologue avait même amorcé un certificat en tourisme durable. Elle a suspendu cette formation, mais pour une bonne raison.

« J’entreprends ma maîtrise en archéologie à l’automne. Le fait que je n’aie pas une maîtrise fait en sorte que les ministères, les villes ou les entreprises n’accepteraient pas de me donner un projet à réaliser. Si je veux pouvoir déposer et diriger un projet, j’ai besoin de cette maîtrise », souligne-t-elle.

Mylène Parisé a dans sa mire le côté sud de la Gaspésie, très peu exploré sur le plan archéologique, comparativement à la Haute-Gaspésie et la partie nord-ouest de la Côte-de-Gaspé.

« Du côté nord de la Gaspésie, des sites paléo-indiens ont été découverts, des sites remontant à 9000 ou 10 000 ans. Plusieurs sites ont été trouvés sur une distance de 200 kilomètres, dont La Martre. Du côté sud, il y a eu une découverte exceptionnelle à Percé, sous le stationnement [du Parc de l’île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé], soient des fragments paléo-indiens de pointe de flèche. C’est le lieu le plus à l’ouest où ce type de pointe a été trouvé » assure-t-elle.

Elle rêve conséquemment de mener des fouilles ailleurs, entre Percé et Matapédia.

« Ce que je voudrais, c’est trouver des sites préhistoriques du côté sud de la Gaspésie. Il n’y a jamais eu de recherche approfondie, donc, on ne trouve rien! » remarque-t-elle.


Quand Mylène Parisé travaille à l’intérieur, c’est généralement pour réaliser des évaluations de potentiel archéologique rattaché à des sites spécifiques, pour déterminer s’il est justifié d’aller fouiller le sol. Photo : Gilles Gagné