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31 mars 2022 16 h 29

HOMARD : L’EXEMPLE D’UN STOCK DE BIOMASSE RÉTABLI ! / Des retombées pour les chantiers navals

Gilles Gagné

Journaliste

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CHANDLER | Il y a 30 ans, deux secteurs des pêches gaspésiennes traversaient un passage à vide : le homard et la morue. À l’époque, les deux espèces étaient intimement liées pour les pêcheurs côtiers du sud de la Gaspésie puisqu’ils détenaient généralement des permis pour les deux types de capture. En 1993, la morue a été frappée d’un moratoire qui a secoué le Québec maritime et l’Est du Canada. Dans le cas du homard, une intense réflexion s’amorce afin de prendre des mesures de redressement du stock, mesures qui prendront forme en 1997 et qui sont majoritairement en vigueur encore aujourd’hui. Vingt-cinq ans plus tard, force est de reconnaître que les décisions prises tout au long de ce quart de siècle donnent des résultats saisissants. Entre 1997 et 2021, les débarquements de homard en Gaspésie ont quadruplé, alors que les revenus ont été multipliés par sept; davantage si on inclut le homard pêché à l’île d’Anticosti par des Gaspésiens et livré aux acheteurs de la péninsule! GRAFFICI brosse dans les pages suivantes le parcours du redressement majeur d’une espèce marine.

NEWPORT | La croissance des prises de homard et l’augmentation des prix sur divers marchés ont eu des effets bénéfiques pour les pêcheurs et les transformateurs, certes, mais ces revenus ont profité à d’autres secteurs, dont les chantiers maritimes. En fait, on peut même dire que deux entreprises sont nées du besoin de renouvellement de la flotte de homardiers gaspésiens. Au cours des dernières années, plusieurs homardiers de la péninsule sont passés d’un bateau, parfois une barque au fond plat valant quelques dizaines de milliers de dollars, à des bateaux de 300 000 $ à 500 000 $.

À Newport, au cours de la première moitié des années 2010, la firme Soudure Jones, de Port-Daniel, avait amorcé la réparation de bateaux de pêche, d’abord dans un abri temporaire, puis dans une structure faite de conteneurs déclassés.

Forts de cette expérience et observant la croissance de la filière homard, les frères Francis et Matthew Parisé, de même que Francis père, ont planifié la construction d’un véritable chantier maritime, devenu en 2017 Conception navale FMP.

« On voyait le marché augmenter, et les prises augmenter. On voyait un besoin de renouvellement de la flotte, et on le voit encore. On est très occupés et notre carnet de commandes est très complet pour les prochaines années. Les prix et les quantités de homard justifient les investissements. Les gens veulent une meilleure qualité de bateau, un peu de confort et des bateaux plus “écologiques” qui utilisent moins de carburant », analyse Francis Parisé fils.

Certains des bateaux construits par Conception navale FMP remplacent ou remplaceront des bateaux petits, ballotés par les vagues et dotés d’une cabine rudimentaire, laissant les pêcheurs exposés aux éléments.

« On pousse un peu plus loin, avec des bateaux en aluminium, des bateaux à propulsion hybride, parce que les tendances du marché vont vers ça. Je dis hybride mais aussi complètement électrique. On pousse la réflexion dans cette direction-là, vers des équipements silencieux, comme les winches [treuils]. On travaille vers des bateaux zéro émission, zéro bruit », souligne Francis Parisé.

Le chantier mettra à l’essai son premier homardier hybride ce printemps. Matthew Parisé, frère de Francis, en sera le capitaine. D’autres bateaux du même type suivront.

L’entreprise a dû ajuster le plan de 2017. « Dans le fond, le projet de base visait à construire des homardiers en aluminium, de 30 à 42 pieds de longueur. Notre premier contrat nous a menés à construire un crabier de 72 pieds! On a créé un genre d’expertise dans les deux types de bateaux. On emploie maintenant 48 personnes. On construit présentement un crabier et deux homardiers, et la main-d’oeuvre est répartie à peu près 50-50 [%] entre les deux », précise Francis Parisé.

Conception navale FMP a connu un tel succès que sa direction a entrepris une expansion importante dès l’hiver 2019-2020, afin de doubler sa capacité.

À Gaspé, le Chantier naval Forillon ne bâtit pas de homardiers, et il n’a pas l’intention de s’y engager à court ou long terme puisqu’il évolue dans le marché des plus gros bateaux de pêche. Le directeur général et coactionnaire Jean-David Samuel précise toutefois que l’entreprise bénéficie indirectement de la croissance du secteur homard.

« On regarde pour développer des concepts de bateaux innovateurs avec une compagnie qu’on a fondée, Navamex, qu’on gère parallèlement à Chantier naval Forillon. On a travaillé en collaboration avec Conception navale FMP en 2020 sur la conception d’un homardier. On le fait pour d’autres chantiers à Terre-Neuve. On ne veut pas nécessairement évoluer dans la construction de homardiers à moins que ça devienne une situation de survie, ce qu’on ne voit pas pour bientôt. On essaie de se concentrer dans notre créneau, les plus gros bateaux, mais il y avait un besoin en architecture navale dans la région et on veut travailler sur la conception de homardiers », précise M. Samuel.

L’autre firme engagée dans la construction de homardiers par la force des choses, c’est l’Atelier de soudure Gilles Aspirault, de Rivière-au-Renard. Avant l’hiver 2018-2019, l’entreprise qui se spécialisait jusque-là dans les réparations et la fabrication d’équipements de bateaux de pêche, a eu une demande de construction de bateau de la part du défunt homardier Leroy Roberts. Son fils a depuis assuré la relève.

La condition édictée en 2018 par M. Roberts était simple : si la firme s’engageait à lui livrer son bateau pour la saison 2019, il le ferait construire à Rivière-au-Renard. Le pari a été tenu, et depuis 2019, le nouveau chantier maritime a cinq nouveaux bateaux, donc cinq homardiers! Dans ce cas comme à Newport, les bateaux sont construits en aluminium. Le pari a été tenu, et depuis 2019, le nouveau chantier maritime a livré une demi-douzaine de homardiers! Dans ce cas comme à Newport, les bateaux sont construits en aluminium.


Conception navale FMP de Newport a doublé sa capacité deux ans après son lancement par le biais d’un nouveau bâtiment, à droite. Photo : Gilles Gagné

 

L’apport primordial des sciences

CHANDLER | Depuis le début du lent redressement du stock de homard, les démarches du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie se sont appuyées sur la science. En 2010, l’organisme a embauché un biologiste, Jean Côté, qui supervise notamment les ensemencements et les relevés post-saison de biomasse le long du littoral. GRAFFICI lui pose trois questions en rafale. Les lecteurs en apprendront davantage sur la biologie du homard et M. Côté dans un numéro subséquent. Le journal tracera bientôt son portrait, en marge de notre série sur les scientifiques.

On entend souvent dire que le homard remonte des côtes du Maine pour venir jusqu’ici depuis que l’eau se réchauffe. Vrai ou faux?
C’est un mythe, les homards adultes se déplacent, mais pas beaucoup. Ce sont surtout les larves qui se déplacent avec les courants. La hausse de la température de l’eau favorise l’habitat du homard et ce facteur explique aussi le bon état de la ressource.

En 2018, Pêches et Océans Canada a fermé la pêche du homard prématurément entre Port- Daniel et Percé parce qu’une baleine noire a été vue à 18 kilomètres des côtes; qu’en avez-vous pensé?
C’était totalement inutile. C’étaient les premières règles de protection de la baleine noire. Les quadrilatères de protection venaient jusqu’au bord. On fait un suivi des baleines et on n’a jamais vu une baleine noire dans les eaux où pêchent les homardiers, à 20 brasses (36 mètres) ou moins.

Le journal de bord électronique JOBEL, conçu par le Regroupement et fournissant des données sur les lieux de pêche, est utile en biologie?
Absolument, je l’utilise. Par exemple, des pêcheurs dans ma flottille ont deux casiers expérimentaux et ils remplissent une section spéciale de leur journal, en fournissant la taille et le sexe des homards. C’est rentré électroniquement. Je travaille avec ces données.

 

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