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31 mars 2022 16 h 28

HOMARD : L’EXEMPLE D’UN STOCK DE BIOMASSE RÉTABLI ! / Le homard, c’est bien plus que des débarquements…

Gilles Gagné

Journaliste

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CHANDLER | Il y a 30 ans, deux secteurs des pêches gaspésiennes traversaient un passage à vide : le homard et la morue. À l’époque, les deux espèces étaient intimement liées pour les pêcheurs côtiers du sud de la Gaspésie puisqu’ils détenaient généralement des permis pour les deux types de capture. En 1993, la morue a été frappée d’un moratoire qui a secoué le Québec maritime et l’Est du Canada. Dans le cas du homard, une intense réflexion s’amorce afin de prendre des mesures de redressement du stock, mesures qui prendront forme en 1997 et qui sont majoritairement en vigueur encore aujourd’hui. Vingt-cinq ans plus tard, force est de reconnaître que les décisions prises tout au long de ce quart de siècle donnent des résultats saisissants. Entre 1997 et 2021, les débarquements de homard en Gaspésie ont quadruplé, alors que les revenus ont été multipliés par sept; davantage si on inclut le homard pêché à l’île d’Anticosti par des Gaspésiens et livré aux acheteurs de la péninsule! GRAFFICI brosse dans les pages suivantes le parcours du redressement majeur d’une espèce marine.

SAINTE-THÉRÈSE-DE-GASPÉ | Actif comme acheteur de homard depuis 1984, l’homme d’affaires Raymond Sheehan, président de la firme E. Gagnon et Fils, de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, se souvient qu’il y a 38 ans, les prises quotidiennes de certains pêcheurs tenaient dans une chaudière quand ils se présentaient à son entreprise! « Des gars arrivaient avec 20 livres. On pouvait compter les homards dans le fond de la chaudière. Aujourd’hui, certains pêcheurs débarquent 1200 à 1500 livres par jour, et même 2000 pour ceux qui ont un double permis », raconte Raymond Sheehan.

Des emplois

Il n’y a pas que sur l’eau que le homard crée de l’emploi. Alors qu’environ 500 personnes travaillent sur les 160 à 170 bateaux gaspésiens actifs dans la capture, ce sont presque 1000 personnes de la région qui transforment du homard au cours de la saison ou qui interviennent à divers stades de la chaîne permettant aux crustacés de passer de la mer aux comptoirs de vente.

E. Gagnon et Fils a obtenu son permis de transformation du homard en 2006. La compagnie a tracé la voie pour d’autres usines gaspésiennes comme Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, aussi de Sainte-Thérèse-de-Gaspé, Unipêche MDM, de Paspébiac et Poisson salé gaspésien, de Grande-Rivière.

« Il fallait augmenter la longueur de la saison de travail de nos employés », note Raymond Sheehan.

Une mise en marché dynamique

Ça va toutefois plus loin. Alors que les Gaspésiens ont longtemps été blâmés pour envoyer leurs produits marins se faire transformer ailleurs, la transformation du homard a changé la donne. Les usines gaspésiennes sont devenues non seulement des transformatrices de leur propre homard quand il n’est pas vendu sur le marché des produits vivants, mais elles sont devenues des importatrices pour extirper la chair et la revendre sur des marchés internationaux ou intérieurs.

Roch Lelièvre, président de la firme Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, a lui aussi adopté la transformation du homard, en 2011 dans son cas, pour allonger l’embauche de ses 230 travailleurs, allant régulièrement jusqu’à amorcer une saison d’automne avec du crustacé importé. La pandémie a compliqué cette réalité, mais l’entreprise importe toujours du homard, mais au printemps maintenant.

« J’achète les prises d’une quinzaine de homardiers gaspésiens, mais j’achète aussi les prises de 40 homardiers du Nouveau-Brunswick et d’Anticosti. C’était surtout pour augmenter le travail à l’usine au début, mais avec les années, il y a eu beaucoup de développement dans les marchés, comme la Chine, la Corée [du Sud] et l’Europe », dit-il.

Raymond Sheehan note de son côté que « les équipements se sont beaucoup développés pour vendre plus longtemps dans l’année. Tout est plus performant, les cuiseurs, la réfrigération de l’eau pour les viviers, qui sont meilleurs. Le transport aussi s’est amélioré, et la main-d’oeuvre s’améliore ». E. Gagnon et Fils procure du travail à 600 personnes, dont 400 à la transformation proprement dite. Le homard y remplace graduellement le crabe au printemps.

Les transformateurs gaspésiens ont fait de belles percées dans les grandes chaînes de supermarchés, tout en diversifiant la clientèle internationale.

Le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie a aussi déployé une énergie déterminante dans la mise en marché à compter du tournant des années 2010, en distinguant le crustacé de la péninsule, en instaurant une campagne de promotion avec la Fédération québécoise des producteurs de lait, pour dire aux gens que « du homard, c’est meilleur avec du beurre » et en médiatisant les lancements de saison. Les acheteurs gaspésiens peuvent de plus savoir qui a pêché leur homard, grâce à un programme de traçabilité qui s’orchestre autour de médaillons systématiquement accrochés à leurs pinces.

Le Regroupement aimerait que le homard gaspésien soit la 6e indication géographique protégée de la province, après l’agneau de Charlevoix, le maïs sucré de Neuville, le cidre de glace, le vin de glace et le vin du Québec.


La saison 2021 a commencé en lion à Saint-Godefroi et la suite des choses a confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un accident de parcours. Photo : Gilles Gagné

D’autres retombées

La nette croissance des captures de homard depuis 2013 a fait naître deux chantiers maritimes (voir texte en page 8). Elle a aussi généré des retombées dans la fabrication et la vente d’équipements comme les casiers, les bouées, le câblage et toute la quincaillerie afférente, signale Daniel Desbois, propriétaire de l’entreprise Fipec, de Hope Town et de Grande-Rivière.

« Dans le cas des casiers, c’est devenu une production régulière. C’était sporadique avant. Les pêcheurs renouvellent leurs équipements plus souvent et ils en prennent plus. J’ai une dizaine de personnes qui ne font que ça. Ça varie. Cette année, on a commencé [la fabrication de casiers] au mois d’août et on finit cette semaine [le 25 mars]. On reçoit aussi des commandes de la Côte-Nord, où ce n’est plus une pêche d’appoint », assure M. Desbois.

Le homard du nord de la Gaspésie, zone en expansion

Il y a toujours eu des homards du côté nord de la Gaspésie et comme ailleurs, l’abondance du crustacé croît. Les huit homardiers évoluant entre le cap Gaspé et Mont-Louis, la zone 19 dans le jargon des pêches, déclarent même les meilleures prises de la péninsule avec 100 000 livres par bateau.

« La zone 19 prendra de l’expansion vers l’ouest avant longtemps », précise O’Neil Cloutier, directeur du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie. Une pêche expérimentale y est menée depuis quelques années, entre Mont-Louis et Baie-des-Sables. Les résultats sont excellents.

« On a fait la recommandation de donner des permis permanents. On sait qu’il y a une explosion de la ressource dans ce secteur. Pêches et Océans Canada applique dans l’ordre le principe de pêche expérimentale, puis exploratoire, ce qui est long. On croit qu’on doit être capable de sauter une étape, l’étape expérimentale. On doit aller en pêche exploratoire, avec quatre nouveaux permis commerciaux ou exploratoires », dit-il.

Le réchauffement de l’eau de la dernière décennie « favorise la ponte et le taux de survie des larves de homard sur une aire plus considérable qu’avant », ajoute M. Cloutier.

« Je suis optimiste, tant que la température de l’eau ne monte pas à 25 degrés. Le réchauffement climatique nous a été favorable jusqu’à présent. Les pêcheurs n’ont pas de contrôle sur la suite des choses sur ce plan-là », conclut-il.

 

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