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5 septembre 2011 13 h 18

Objectif 2013 : l’aménagement écosystémique, c’est quoi?

L’expression est sur toutes les lèvres dans le monde de la foresterie. «L’aménagement écosystémique» est le principe de base du nouveau régime forestier qui sera mis en œuvre en 2013. Qu’est-ce que c’est et qu’est-ce que ça donne?

Rien de compliqué, au fond. Un aménagement dit «écosystémique» vise à maintenir les caractéristiques naturelles de la forêt. En Gaspésie, où l’on exploite la forêt depuis longtemps, celle-ci ne peut plus être qualifiée de naturelle. Ici, l’objectif est donc de réduire l’écart entre la forêt naturelle (ou préindustrielle) et la forêt actuelle.

Pour y arriver, encore fallait-il savoir à quoi ressemblait la forêt gaspésienne avant le boum forestier du milieu du 19e siècle. Pour le découvrir, des chercheurs ont épluché de vieux carnets d’arpentage et des photos aériennes prises dans les années 1920 afin d’établir un portrait forestier historique.

La forêt d’antan

«Avant, nos forêts étaient matures ou vieillissantes à 75 %, tandis que 25 % étaient en régénération à la suite de perturbations naturelles (épidémies d’insectes, chablis ou feux). Aujourd’hui, la proportion s’est inversée», explique Samuel Pinna, chargé de recherche et de transfert de connaissances au Consortium en foresterie Gaspésie-Les Îles.

Certaines espèces étaient plus abondantes alors que d’autres se sont raréfiées. Le pin blanc, le thuya (cèdre), l’orme et le frêne noir sont devenus beaucoup plus rares. Les proportions d’épinette et de bouleau jaune (merisier) ont aussi diminué dans une moindre mesure. En contrepartie, le peuplier faux-tremble a explosé, et les populations d’érable rouge sont en hausse.

Les forêts d’antan étaient également beaucoup plus hétérogènes. «On avait des forêts avec des petits, des moyens et des gros arbres, des trouées, des chicots, des arbres morts, des vétérans de 600 ans, illustre M. Pinna. Aujourd’hui, quand tu as coupé à blanc, ça repousse tout en même temps et tous les arbres ont le même âge.»

En Gaspésie, on n’espère pas retrouver une forêt 100 % naturelle, mais on vise à s’en rapprocher. Pour y arriver, «il va falloir diversifier le coffre à outils, résume Annie Malenfant, ingénieure forestière au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF). On risque d’utiliser un peu moins la CPRS (une coupe totale) et un peu plus des autres types de récolte.»

Les coupes où l’on récolte par pied d’arbre ou par trouées seront plus nombreuses. Hirondelle Varady-Szabo, agente de recherche et de transfert de connaissance au Consortium en foresterie, escompte des gains au plan écologique. «Plusieurs espèces ont besoin d’un couvert forestier pour se déplacer. Et une structure complexe (arbres de différents âges), avec des micro-habitats variés, ça favorise la biodiversité.»

Et au plan économique? Mme Varady-Szabo envisage aussi des bienfaits. À long terme, «on pourra aller chercher des grosses billes qui ont plus de valeur, explique-t-elle. Comme les pâtes et papiers sont de moins en moins viables, si on veut être compétitif, ça prend des marchés de niche et des bois de meilleure qualité.»

Le prochain défi est celui du suivi. «On doit mieux connaître notre forêt et ce qui y vit, pour savoir si l’aménagement qu’on fait permet vraiment de maintenir la biodiversité», explique Mme Varady-Szabo.

Intensifier sur 15 % du territoire

L’aménagement écosystémique obligera à réduire la pression de récolte, qui a déjà fort diminué depuis 15 ans. Entre 1994 et aujourd’hui, le volume de coupes autorisé chaque année dans le résineux (sapin, épinette, pin et mélèze) est passé de 1 948 500 mètres cubes à 1 208 700 mètres cubes, une baisse de 38 % (voir tableau ci-contre).

Pour compenser, en Gaspésie, on compte faire de la sylviculture intensive sur 15 % du territoire de la forêt publique, un objectif à atteindre en 2028. Le but : accélérer le développement de ces peuplements et augmenter leur valeur et leur rendement. Ce type de sylviculture, «ce n’est pas nécessairement une forêt qu’on aménage en rangs de patates, précise Annie Malenfant. Ça peut être un paquet de choses.» Parce qu’il y a intensif…et intensif. Une plantation d’épinettes où l’on fait de l’éclaircie (couper certains arbres pour laisser de l’espace aux autres) et de l’élagage (couper les branches du bas), c’est de la sylviculture intensive. «Une sylviculture super-intensive, ce serait de préparer le terrain de manière presque agricole, et de reboiser avec des essences à haut rendement, comme le peuplier hybride ou le mélèze hybride», ajoute Mme Malenfant.

On ne sait pas encore exactement où l’on cultivera la forêt de cette manière. Les secteurs de sylviculture intensive devront être à la fois fertiles et pas trop éloignés des scieries. On a exclu d’emblée les territoires où d’autres usages pourraient entrer en conflit, comme les ZEC, les réserves fauniques, les ravages de chevreuil et les paysages sensibles.