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Éditorial
8 juillet 2021 9 h 30

On a besoin de logement, pas d’un tunnel

Gilles Gagné

Éditorialiste

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CARLETON-SUR-MER | Quand le Québec
vivait sa dernière fièvre de construction
des grands barrages, entre 2002 et 2012,
les visionnaires de l’époque sommaient le
gouvernement de Bernard Landry et surtout
celui de Jean Charest de remplacer ces
mégaprojets par des campagnes de rénovation
de logements, en visant à mieux les isoler et à
les rendre beaucoup plus efficaces en matière
de consommation d’énergie.

Des experts en réfection résidentielle
écologique avaient calculé qu’en améliorant
des milliers de logements, on épargnerait
presqu’autant d’énergie que la production
d’électricité générée par les nouveaux barrages,
et que ça coûterait passablement moins cher.

Les nouveaux barrages sur les rivières
Eastmain et Romaine ont nécessité environ
14 milliards de dollars en investissement,
plus de cinq fois ce qu’il aurait fallu pour
économiser l’énergie perdue dans les passoires
que constituent tant de maisons et de
logements québécois.

Le principe était et demeure simple :
l’énergie la moins coûteuse, c’est celle qu’on
n’a pas besoin de produire.

Toutefois, les politiciens n’ont pas embarqué
dans un programme massif de rénovation
résidentielle. Il y a parfois eu des campagnes
timides en ce sens, avec des avantages pour
les propriétaires, mais rien ressemblant à un
grand chantier national.

La gloire d’un politicien coupant un ruban
devant un logement rénové de Montréal n’a
manifestement pas rivalisé avec la coupe
du même ruban devant un paysage jadis
grandiose, mais « déviergé » par des années de
« caresses » prodiguées par des bâtisseurs de
barrages.

Le syndrome du castor l’a emporté. Le
Québec a construit d’autres barrages. Et s’il
est permis de croire que le coût de production
émanant de la centrale de la rivière Eastmain
est compétitif, celui des barrages de la
Romaine reste un mystère. Gageons que les
dirigeants d’Hydro-Québec et les politiciens
auraient été moins discrets si ces coûts étaient
concurrentiels.

On dirait que le gouvernement de François
Legault répète présentement les mêmes
erreurs que le gouvernement Charest il y a 15
ans! La cible ultime du gouvernement caquiste
est différente, et pire : un tunnel de plus de
10 milliards de dollars entre la rive sud et la
Capitale nationale!

Il s’agit d’un projet contre-productif sur le
plan environnemental et de l’organisation, en
ce sens qu’il met l’accent sur l’auto individuelle
pour une clientèle évaluée à 10 000 conducteurs,
tout en encourageant l’étalement urbain et en
faisant fi de tout projet de rechange.

Tout ça se passe en plein contexte
de clientélisme politique, la Coalition
avenir Québec contrôlant la plupart des
circonscriptions de la capitale et de ses
environs. En outre, le coût déjà prohibitif
pourrait grimper de façon vertigineuse, les
études de faisabilité n’étant pas amorcées.

Ce tunnel, c’est l’arbre qui cache la forêt.
Dans cette forêt, on retrouve des problèmes
bien plus urgents à régler que ceux qui le
seraient théoriquement par la construction du
troisième lien.

La crise du logement, le manque de places
en services de garde, la vétusté de centaines
de nos écoles et la nécessaire décentralisation
des services de santé, pour contrer l’étourderie
de l’ex-ministre Gaétan Barrette, viennent en
tête de liste. C’est sans compter l’obligation
de comprendre pourquoi tant de professeurs
quittent l’enseignement avant cinq ans de
pratique.

La situation du logement est affligeante en
ce sens qu’elle est en grande partie attribuable
au retard pris par les gouvernements québécois
et canadien pour reconnaître l’importance de
maintenir des programmes de construction de
logements collectifs. L’acuité de la crise est telle
que des acheteurs de maisons se culpabilisent
de mettre dehors les locataires, l’acquéreur
transférant son problème à d’autres!

Compter sur un toit décent constitue l’un des
besoins de base de l’être humain, en particulier
mais pas exclusivement, quand il vit dans un
pays nordique. Présentement, des dizaines de
milliers de Québécois vivent à cet égard dans
une précarité défiant l’imagination. Cette
précarité bouffe une énergie inimaginable
quotidiennement.

Quand des gens ne sont pas logés
convenablement, comment peuvent-ils
fonctionner normalement au travail, aux
études, en société? Ils traînent un boulet qui
va jusqu’à affecter leur santé.

Comme le souligne Ambroise Henry dans
le dossier de Roxanne Langlois de l’édition
courante de GRAFFICI, le retard pris depuis
quelques années en logement collectif s’établit
cumulativement à au moins 10 500 unités
au Québec, quand on en fait l’addition.
Considérant le poids démographique de la
Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, on
pourrait parler de 120 logements qui seraient
déjà disponibles si les besoins des dernières
années avaient été comblés.

Ça n’aurait pas réglé tous les problèmes,
mais la pression vécue par toutes les couches
de la société serait significativement réduite.

Bon, on ne refera pas l’histoire. Cet autre
exemple d’entêtement du premier ministre
François Legault fait particulièrement mal en
Gaspésie et aux Îles parce que la région, qui
connaît déjà de bonnes années en termes de
solde migratoire interrégional, voit des efforts
de 30 ans ralentis par une pénurie prolongée
de logements et de services de garde.

Il est permis de penser que des centaines
de personnes ont modifié ou modifieront leur
plan de s’établir dans la région parce qu’elles
ne peuvent trouver un toit et faire garder leurs
enfants.

Comme ce fut le cas pour régler d’autres
problèmes comme les communications
électroniques, la survie du chemin de fer ou
le transport en commun intrarégional, les
Gaspésiens devront compter principalement
sur eux-mêmes avant que la lumière soit
suffisamment aveuglante pour que les pouvoirs
publics la voient.

Le partage de grandes maisons, la
construction de petites unités abordables, les
mesures incitatives venant des municipalités,
les projets novateurs comme la récupération
de bâtiments vacants et des initiatives qui
jailliront de l’imagination de notre population
sauront entretemps réduire les effets du
manque de logements.

N’écartons pas d’emblée le partage de
l’espace. Pensons que la Gaspésie seule, sans
les Îles, comptait 104 821 habitants en 1961,
comparativement à 78 158 personnes en 2018.
C’était en gros 26 500 personnes de plus vivant
dans deux, voire trois fois moins de maisons.
Un simple coup d’oeil sur des photos aériennes
de nos communautés saura convaincre les
sceptiques.

Bien sûr, les mentalités ont changé.
L’individualisme dicte une plus grande
surface habitable par personne. Mais avec un
taux significatif de personnes éprouvant de
la solitude, et l’actuelle pénurie de logements,
une réflexion sur le partage de l’espace actuel
s’impose.

Régler la crise du logement peut s’accomplir
en moins d’une décennie, à plus forte raison
si de multiples solutions sont enclenchées, en
attendant que l’ours gouvernemental sorte de
son hibernation. Et comme par hasard, des
élections sont prévues lors des deux prochains
automnes, en 2021 sur la scène fédérale et un
an plus tard au Québec.

Que de belles occasions de réveiller les
politiciens!