Outiller les communautés riveraines face à l’érosion : la mission de Philippe Sauvé
CARLETON-SUR-MER | Ces phénomènes naturels amplifiés par les changements climatiques que sont l’érosion et la submersion côtière forcent les communautés riveraines du Québec à agir, notamment en érigeant des ouvrages de protection. Mais le choix de ceux-ci est plus complexe qu’il n’y paraît, alors que de multiples paramètres sont à considérer.
« Chaque intervention doit être adaptée au site sur lequel on se trouve, expose Philippe Sauvé, consultant en génie côtier et professionnel de recherche à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Mais, historiquement, c’était une solution unique qui était appliquée. » Cette solution, c’est l’enrochement ou, sous une autre forme, le mur de protection. « [Ces infrastructures] composent 97,6 % des ouvrages de protection côtière qui ont été aménagés au Québec, tandis qu’il y a une énorme variété de types d’environnements côtiers », poursuit le scientifique, révélant ainsi l’étendue du travail à abattre dans le domaine.
Découverte marquante
C’est à la faveur d’un stage chez PESCA Environnement, entreprise située à Carleton-sur-mer, que Philippe Sauvé, alors étudiant au baccalauréat en génie de l’environnement à l’École de technologie supérieure de Montréal, saisit l’ampleur de l’érosion qui écorche le littoral québécois, et tout particulièrement les côtes gaspésiennes. L’observation du phénomène est marquante : l’étudiant y consacrera, de 2015 à 2016, son projet de maîtrise. « Ayant constaté le manque d’expertise québécoise quant aux solutions possibles [pour contrer l’érosion], on a développé un projet de recherche sur le développement d’un outil pour évaluer des ouvrages de protection côtière », raconte le trentenaire originaire de Beauharnois, en Montérégie.
Philippe Sauvé, quand il arpente le littoral, comme ici dans l’est de Carleton-sur-Mer, regarde d’autres éléments que l’érosion comme facteur de destruction. « Il faut aussi se demander quelle est la structure des sols, des falaises. » Photo : Gilles Gagné
D’une étape à l’autre
Les constats auxquels parvient Philippe Sauvé le motive à poursuivre dans la même veine. Ainsi, sous la direction de Pascal Bernatchez, professeur à la tête du Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’UQAR, l’étudiant amorce en 2017 un programme de doctorat en sciences de l’environnement. Ce parcours scolaire a été construit étape par étape, chaque niveau élargissant le champ des possibles. « Je n’ai jamais pensé faire un « doc », ni même une maîtrise, je n’étais pas le surdoué », révèle celui qui a défendu sa thèse avec succès en décembre dernier.
Réalisée dans la continuité de son projet de maîtrise, sa thèse poursuit le développement d’un outil d’identification d’ouvrages de protection côtière appropriés aux conditions spécifiques d’un système socio-écologique, en intégrant les besoins exprimés par les acteurs du territoire. « Ultimement, l’idée était d’amener un apport au processus décisionnel pour choisir des ouvrages de protection qui sont adaptés aux aspects géomorphologiques, hydrodynamiques, écosystémiques et sociaux, explique Philippe Sauvé. On voulait avoir une vision globale des effets des ouvrages pour choisir celui qui est approprié. »
Cet objectif ambitieux découle de constats et de besoins identifiés dans le cadre d’une consultation des acteurs du littoral, mise en oeuvre en 2017 par le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières. Le doctorant y analyse alors les réponses obtenues lors de 600 entretiens/sondages et desquelles il ressort que les citoyens, professionnels, gestionnaires et entreprises sont ouverts à davantage de diversité dans les solutions d’adaptation et que ceux-ci manquent de connaissances pour prendre les bonnes décisions.
« Souvent, ce qu’on entendait dans les ateliers c’était : « Qu’est-ce qui se fait ailleurs et pourquoi on ne le fait pas ici? « , souligne Philippe Sauvé. On est partis de ça et on a fait une revue de littérature énorme sur toutes les mesures mises en place pour lutter contre l’érosion et la submersion côtière, donc sur l’ensemble des types d’ouvrages de protection. »
Le « coude » menant au camping de Carleton-sur-Mer constitue l’un des endroits préférés de Philippe Sauvé pour observer la dynamique côtière. « La mer veut naturellement passer à travers la route à cet endroit, pour rentrer dans le barachois », dit-il. Photo : Gilles Gagné
Éclairer les choix
Ce survol de ce qui a été écrit sur la question laisse par ailleurs apparaître le manque de connaissances sur les environnements des côtes du Québec, et ce dans un contexte où la discipline du génie côtier est elle aussi en mode rattrapage. « On a constaté que les études sont généralement faites sur les mêmes types d’ouvrages et souvent dans des côtes basses meubles sableuses, comme la côte est américaine, relève le scientifique. Oui, on a des côtes basses sableuses ici, mais on a une bien plus grande diversité de côtes. Pour le processus décisionnel, ça peut poser problème. »
Afin d’aiguiller les acteurs de la zone côtière dans leur choix d’un ouvrage de protection, le doctorant a développé un algorithme qui effectue une méta-analyse dynamique de la littérature scientifique. « Par exemple, si on veut intervenir sur la terrasse de plage ici à Carleton, en indiquant qu’il y un marnage [la différence d’amplitude entre la marée haute et la marée basse] de zéro à deux mètres et des vagues faibles, l’algorithme va trouver les études qui ont été faites dans ce type d’environnement », explique-t-il.
Phénomène en croissance, domaine en croissance
Fraîchement diplômé, Philippe Sauvé constate que la demande pour l’expertise en adaptation côtière, notamment dans les firmes d’ingénierie, est énorme. Il cumule en ce moment les mandats à titre de professionnel de recherche et d’expert-conseil. « Je voulais continuer la recherche, tout en appliquant sur le terrain ce que je faisais comme travail de recherche », poursuit le scientifique, soulignant que recherche et pratique se nourrissent mutuellement.
Ainsi, de novembre 2022 à mars 2023, il se rend aux Îles-de-la-Madeleine afin de mettre en application l’expertise qu’il a développée à l’UQAR. À l’aide d’une collègue géomorphologue, il travaille à identifier les solutions les mieux adaptées aux réalités de l’archipel. « Pour la dizaine de sites, on a fait différentes analyses, comme les niveaux d’eau, de vagues, le mouvement des sédiments », énumère celui qui est par ailleurs candidat à la profession d’ingénieur.
Actuellement mandaté en tant que chercheur par le ministère des Transports et de la Mobilité durable, Philippe Sauvé utilise l’algorithme qu’il a développé afin d’évaluer les solutions à mettre en place sur 200 sites du littoral québécois. « L’idée derrière ça, c’est d’être préparé à l’avance, et non pas d’être en réaction au moment de faire une intervention », indique-t-il.
De la rive au large
Comme nombre de travailleurs depuis la pandémie, le scientifique complète une partie de ses tâches à la maison, en télétravail. D’ailleurs, la crise sanitaire précipitera son arrivée à Carleton-sur-Mer. « Pour ma conjointe et moi, ç’a toujours été le plan de venir s’installer ici quand on aurait des enfants », relate-t-il.
Résolument tourné vers la mer, malgré ses origines plus continentales, Philippe Sauvé s’éloigne des enjeux de la rive lors de ses temps libres, lui qui possède un voilier en plus de s’engager au développement de la coopérative de solidarité Écovoile. Mais cela ne l’empêche pas de s’imprégner du relief montagneux qui se profile dans sa cour. « J’aime bien faire de la course en sentiers et du vélo de montagne, précise le père de trois jeunes enfants. En fait, on profite des deux secteurs. »