Pointe-à-la-Croix : importante découverte archéologique
«C’est un ouvrage militaire en terre, un talus de terre pour arrêter la progression d’une armée. Un bastion en terre, je n’ai jamais entendu parler de ça. C’était le premier rempart en Gaspésie. Ils ont retardé l’avancée des Anglais avec un décor de carton-pâte».
L’archéologue Françoise Duguay décrit ainsi ce qu’elle a trouvé après avoir passé quatre jours dans le secteur de la pointe à la Batterie la semaine dernière pour trouver la batterie, justement. Cette batterie avait été installée à la fin de juin 1760 par les Français venus, en principe, libérer Québec et aider Montréal, résistant alors encore aux assauts des troupes anglaises.
Ces Français s’étaient fait surprendre par les Anglais avant même de traverser l’océan Atlantique et ils avaient perdu trois de leurs principaux navires. Ils s’étaient plus tard réfugiés au fond de la Baie-des-Chaleurs, qui deviendra éventuellement leur piège.
Avec son assistant, l’étudiant Tommy-Simon Pelletier, originaire de Sainte-Anne-des-Monts, Mme Duguay est devenue la première personne à localiser exactement l’emplacement de la pointe à la Batterie. Elle est restée saisie par l’habileté de la mise en scène des forces françaises, assistées par les Acadiens déjà installés dans le secteur et leurs voisins, les Micmacs.
Les navires français étaient coincés en amont de la pointe à la Batterie, principalement dans le secteur maintenant occupé par Pointe-à-la-Croix et Listuguj. La pointe à la Batterie est aux limites entre Pointe-à-la-Croix et Pointe-à-la-Garde, le secteur ouest de la municipalité d’Escuminac.
«C’est incroyable ce qu’ils ont fait en si peu de temps, avec de la terre et des arbres», poursuit-elle. «La batterie a été prévue pour retarder les Britanniques, pas pour gagner la bataille. Ils ont fait réfléchir les Anglais, qui voulaient emprunter le bon chenal. Les Britanniques ont d’abord emprunté le faux chenal. La bataille a duré 17 jours. La batterie a retardé de six jours l’avancée des Anglais. Ce retard a permis aux Français et aux Acadiens de s’organiser. Il n’y a pas eu des centaines de morts lors de cette bataille, et c’est probablement grâce à l’efficacité de la batterie. Ça a fini par une égalité, une nulle», analyse Françoise Duguay.
La pointe à la Batterie était équipée de quatre canons de 12 centimètres et d’un canon de six centimètres. Ces calibres déterminent la taille de la gueule des canons. Françoise Duguay signale que ces canons ont été déménagés après la Bataille de la Ristigouche. L’un d’eux serait dans le parc Riverside, à Campbellton.
«C’est bien un canon français, avec trois fleurs de lys. Il porte des traces de séjour dans l’eau et il est érodé», précise-t-elle.
Elle prévient les archéologues en herbe qu’il ne sert à rien d’arpenter les parages de la pointe à la Batterie dans l’espoir de voir des vestiges de la présence militaire de 1760.
«Il n’y a rien à voir sur le site de la Batterie parce que tout a été refermé selon les normes archéologiques», tranche-t-elle.
Appel à la prudence
Madame Duguay se lance d’ailleurs dans un vibrant plaidoyer pour freiner ces archéologues en herbe.
«Ramasser des objets sans leur contexte, ça ne sert pas à grand-chose. Des gens s’approprient un bien qui est collectif. Les gens veulent avoir des objets du 16e, 17e et 18e siècle chez eux. Mais ces objets se détériorent dès qu’ils sont sortis du sol (…) Il faut laisser les objets aux professionnels», explique-t-elle.
La meilleure chose à faire pour quelqu’un trouvant un objet ancien à la surface du sol, c’est de l’enfouir, de marquer l’endroit et de prévenir des gens compétents, comme des archéologues.
«Les archéologues sont des gens qui traduisent un type d’archives. Un site archéologique, c’est une destruction, mais une destruction contrôlée», souligne Françoise Duguay.
Michel Goudreau, de la Société historique Machault, dont le mandat est notamment la protection et la mise en valeur du patrimoine du secteur de Pointe-à-la-Croix, précise que la recherche terrain menée par Françoise Duguay et Tommy-Simon Pelletier, a été soutenue financièrement, à la hauteur de 9 000$, par le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Cette recherche suit les campagnes de 2008 et de 2010, menée en outre pour trouver la Petite Rochelle, le village surtout peuplé d’Acadiens et détruit par les troupes britanniques en juillet 1760.
«Ça démontre une fois de plus qu’il faut aller plus loin, qu’il y a quelque chose d’intéressant à fouiller dans notre secteur», dit-il.
Aller plus loin pour Françoise Duguay pourrait prendre deux formes. «Le site est presque intègre, à part des trous faits par des chasseurs de trésors. Mais d’ici cinq ans, ou s’il arrive une grosse tempête «freak», le rempart sud va tomber dans la rivière sans avoir été répertorié».
Elle souhaite aussi une meilleure protection des lieux de grand intérêt archéologique comme le secteur compris entre Pointe-à-la-Garde et Pointe-à-la-Croix. «C’est enregistré [comme lieu archéologique], mais il n’y a pas de statut légal de protection. Une municipalité ou un ministère peut le faire. Il faut aussi que le propriétaire soit dans le coup», assure Madame Duguay.
Depuis les années 1930, de nombreuses fouilles réalisées par des profanes ont dépossédé le secteur d’artéfacts d’un grand intérêt archéologique. Ces terrains sont privés et les propriétaires sont généralement ignorés par les «chasseurs de trésor».