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9 juin 2022 9 h 22

Portrait de scientifique : Matthew Wadham-Gagnon, propulsé par l’énergie du vent

Depuis septembre 2020, GRAFFICI vous présente des scientifiques qui contribuent à l’avancement des connaissances en direct de la péninsule, tant en sciences naturelles qu’en sciences humaines. Grâce à leur expertise pointue dans leur domaine de prédilection, ils démontrent qu’il est fort possible de faire rimer les mots « Gaspésie » et « science ». Nous présentons cette fois-ci l’ingénieur Matthew Wadham-Gagnon, un passionné de voile qui grâce à son expertise contribue activement au développement des énergies renouvelables.

GASPÉ – Rompu à la pratique de la voile, sport auquel il s’adonne depuis toujours et dont il souhaitait faire métier, Matthew Wadham-Gagnon n’aurait pu deviner que le vent, cette force motrice qu’il manie avec adresse, serait également inséparable du domaine dans lequel il allait ultimement travailler.

« Le secteur éolien ne faisait pas du tout partie du plan initial, laisse tomber l’ingénieur qui occupe actuellement un poste de conseiller stratégique au développement des énergies renouvelables au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Le choix d’étudier en ingénierie, c’est parce que j’allais bien en mathématiques et en physique, mais surtout parce que je voulais vraiment travailler dans le domaine de la voile. »

Si on a tendance à prêter à l’adolescence ces caractères que sont l’indécision et le manque d’entrain, notamment quand vient le temps de choisir une profession, le cas de Matthew Wadham-Gagnon est l’exception qui confirme la règle. « J’étais en secondaire 4 ou 5 quand j’ai écrit une lettre à la revue Sailing World [un média écrit portant sur l’univers de la voile] pour savoir comment travailler dans ce domaine-là », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 41 ans. « Un contact de l’éditeur, architecte naval, m’a répondu pour me proposer quelques options, dont le génie mécanique, et j’ai donc enligné mes études vers ce programme. »

De la voile à l’éolien

Cette aspiration en tête, Matthew Wadham-Gagnon entreprend, au tournant des années 2000, un baccalauréat puis une maîtrise en génie mécanique à l’Université McGill. Au gré du foisonnement des idées et des rencontres que produit le cadre universitaire, le jeune homme perd un peu de vue cet objectif. C’est également dans ce contexte qu’il croise la route de sa conjointe, Isabelle, avec qui il envisage de voyager un peu avant de se poser. En 2006, le couple prend ainsi la direction de l’Australie, puis celle de l’Angleterre, où ils resteront de 2007 à 2009. C’est là, outre-Atlantique, que le
gaillard renoue avec cette ambition qui jadis l’animait. « Je me suis retrouvé dans une boîte de conception de structures de voiliers de course! », relate l’ingénieur.

Mais alors que la voile retrouve une place centrale dans son quotidien – en plus de l’emploi, il pratique le sport régulièrement sur les eaux de la Manche – une offre inattendue lui procure l’opportunité de revenir chez lui…et de faire le saut du côté des énergies renouvelables.


À l’image d’une ligue de hockey récréative, les férus de voile se rassemblent hebdomadairement dans la baie de Gaspé pour y disputer les honneurs de courses improvisées. L’ingénieur n’en manque pas une! Photo : Jacques Gratton Photographe

De Magog à Gaspé

Redéployé à Magog, où son employeur possède une usine de matériaux composites destinés entre autres aux éoliennes, Matthew Wadham-Gagnon mène désormais un train de vie effréné, oscillant des Amériques à l’Asie. L’arrivée d’un premier enfant vient cependant chambouler ses priorités. « Pendant la grossesse et le congé parental, j’ai voulu changer mon rythme, prendre un pas de recul, confie l’homme natif de Gaspé. J’avais l’impression qu’il fallait que je change de job. »

Au Québec, et plus précisément en Gaspésie, qui dit éoliennes dit Nergica (autrefois appelé TechnoCentre éolien), un centre de recherche appliquée en énergies renouvelables affilié au Cégep de la Gaspésie et des Îles. Lors de ses pérégrinations américaines, au fil des congrès tenus par l’industrie, il côtoie des membres de l’organisme basé à Gaspé. Ceux-ci lui offriront un poste sur mesure. « Ils voulaient vraiment m’avoir ! », dit en riant celui qui sera finalement à l’emploi de Nergica pendant 10 ans.

L’éolien en climat froid

Si l’institution de recherche gaspésienne conçoit aujourd’hui des technologies relatives à l’énergie solaire, au stockage et à l’intégration des énergies renouvelables, elle développe d’abord son expertise dans l’éolien, notamment en climat froid. « Le Canada, et en particulier le Québec, ont certains des parcs éoliens les plus givrants au monde, expose Matthew Wadham-Gagnon. C’est donc un enjeu important de santé et sécurité, de même qu’au niveau de la performance des éoliennes. Quand elles givrent, les éoliennes ralentissent et donc elles produisent moins », poursuit-il.

Pour les opérateurs de parcs éoliens, ce phénomène cause d’importantes pertes financières. À la recherche de solutions, ceux-ci se tournent vers des organismes tels Nergica. « [Les opérateurs] se présentent dans les congrès et se rendent compte que dans leur cour arrière, il y a des experts en la matière », explique l’ingénieur. Au cours des dernières années, le centre de recherche s’est ainsi bâti une réputation enviable : à titre d’exemple, Nergica siège actuellement sur « Task 19 », un comité de l’Agence internationale de l’énergie dévolu à l’éolien en climat froid. L’organisme de Gaspé y est le représentant du Canada.


Le concept de portrait de scientifique proposé par le journal s’inspire notamment d’un segment de l’émission Découverte au sujet de l’éolien en climat froid dans lequel intervient l’ingénieur de Gaspé. Photo : Jacques Gratton Photographe

Projets marquants

D’abord chargé de projet, un poste qui lui permet de siéger entre autres sur Task 19 ainsi que sur le comité de programmation de Winter Wind, un congrès suédois d’envergure, Matthew Wadham-Gagnon est par la suite devenu directeur du développement des affaires de l’organisme. Parmi les projets stimulants auxquels il apporte son expertise, le mandat d’intégration des énergies renouvelables dans cinq communautés du Nunavik tient le haut du pavé. « Ce genre de projets qui durent dans le temps, ce sont de belles réalisations », soutient l’ingénieur.

Plaidoyer pour la science

Au terme de cette dizaine d’années au service de l’institut gaspésien, le jeune quarantenaire souhaite essayer autre chose, tout en demeurant à Gaspé, où sa famille est bien établie. Il désire par ailleurs poursuivre dans le secteur des énergies renouvelables, une opportunité offerte en décembre dernier, par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. « Je travaille entre autres sur l’intégration des énergies renouvelables dans les réseaux autonomes, par exemple les communautés qui ne sont pas reliées au réseau principal, indique Matthew Wadham- Gagnon. C’est donc un peu dans la continuité de ce que je faisais chez Nergica. »

Peut-être encore davantage, cette position au sein de l’appareil gouvernemental répond à cette nécessité qu’il ressent de participer activement aux politiques publiques relatives à la transition énergétique. « Je me suis dit que c’était l’occasion d’appliquer tout mon bagage technique et scientifique et ma connaissance de l’industrie des énergies renouvelables pour avoir un impact au niveau du gouvernement, dévoile le père de trois jeunes enfants. Je voyais ça comme une façon de contribuer à la société. »

En filigrane, le scepticisme à l’égard de la science qui s’est notamment révélé lors de la pandémie lui fait dire que, plus que jamais, le savoir et les connaissances importent. « Les scientifiques doivent être plus présents sur la place publique, dans les médias et au niveau des gouvernements, expose-t-il. Comme personne de science, j’ai un rôle à jouer. » L’ampleur des responsabilités qu’il s’impose ne saurait toutefois éteindre ce besoin de sortir en mer, voire de simplement louvoyer entre les rives de la baie de Gaspé. « La voile, j’en mangeais et j’en mange encore! », réitère-t-il.


Il faut être capable de vulgariser [la science] », soutient Matthew Wadham-Gagnon, lucide face aux défis de la communication scientifique. Photo : Jacques Gratton Photographe