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27 mars 2024 14 h 18

Stéphanie Bentz : transmettre l’émerveillement

BONAVENTURE | Ayant flairé notre approche, les deux louves se pressent aux abords de la clôture pour venir à notre rencontre. Laska et Laïka – les noms qu’on leur a donnés – sont en fait deux soeurs inséparables, et tout juste les avons-nous quittées, prenant la direction d’un autre habitat, qu’elles se mettent à hurler, de ce hurlement sauvage, primitif, qui vous saisit instantanément. « Elles savent que nous sommes toujours sur le site et veulent qu’on retourne les voir! », en décode Stéphanie Bentz, biologiste responsable de l’éducation et de l’interprétation au Bioparc de la Gaspésie, situé à Bonaventure.

La température clémente de cet après midi de février incite la majeure partie de la vingtaine d’espèces de mammifères et d’oiseaux accueillis par le parc animalier à prendre un bain de soleil. Même les ratons laveurs, normalement enfouis au fond de leur tanière à cette période de l’année (bien qu’ils n’hibernent pas, faut-il préciser), somnolent plutôt accrochés aux branches de grands bouleaux. Un signe que le temps est anormalement doux, relève Stéphanie Bentz, avec qui je parcours le site délimité par ces espaces aménagés qui, pour chacune des espèces, constituent autant d’habitats. « On est un parc animalier, mais on est aussi un refuge », précise la biologiste formée à l’Université du Québec à Trois-Rivières et à l’emploi du Bioparc depuis 2013. « Environ la moitié des individus sont nés en captivité, de parents nés en captivité. L’autre moitié, la partie refuge, ce sont des animaux qui viennent de la nature, soit des animaux orphelins ou blessés. Nos animaux deviennent en quelque sorte les ambassadeurs des individus en nature et ça nous permet de faire de la sensibilisation. »


« Je pense que plus les gens connaissent les espèces, plus ça leur donne envie de les protéger et de protéger les milieux dans lesquels elles vivent », indique Stéphanie Bentz. Photo : Benoit Daoust

Sensibiliser et éduquer

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Stéphanie Bentz a toujours été passionnée par « tout ce qui grouille », faisant référence aux grenouilles et insectes qui croisent sa route lors de séjours familiaux en camping, durant l’enfance. « Mais même ce qui ne grouille pas! Je vais dans le bois et vois un champignon et je vais être énervée », expose la femme de 36 ans originaire de Québec. « J’essaie de transmettre cet émerveillement-là [aux visiteurs]. »

La dizaine d’années qui s’est écoulée depuis l’entrée en poste de la biologiste n’a certes en rien entamé l’enthousiasme qu’elle exprime à la vue de chacun des animaux, notamment Lorenzo, un orignal reçu alors qu’il était encore au stade de veau. « Il a été retrouvé dans le parc de la Gaspésie; ça faisait plusieurs jours qu’il était observé seul, raconte Stéphanie Bentz. Donc, de concert avec les gens du parc, les agents de protection de la faune, une vétérinaire et nous, il a été récupéré et amené ici. »

Plantée au seuil de la délimitation de l’habitat, la biologiste interpelle avec douceur le grand cervidé. Visiblement réceptif, celui-ci s’approche aussitôt. « Les animaux ne reconnaissent pas leur nom, mais certains individus vont reconnaître la voix de certains employés, explique-t-elle. Lorenzo, quand il me voit et que je lui parle, il va venir me voir. »

La proximité avec cet animal majestueux – une première dans mon cas – provoque nécessairement l’admiration. Le Bioparc mise sur la sensibilisation et l’éducation par le contact, une manière de faire transparaître le caractère exceptionnel et la fragilité du vivant. « C’est beau de voir des documentaires animaliers à la télévision, mais d’être à un mètre d’un orignal, c’est pas pareil, indique Stéphanie Bentz. Je pense que les parcs animaliers comme le nôtre ont cette importance-là. »

Même chose pour le caribou des bois – qui dispose lui aussi de son habitat sur le site – et dont l’état des populations québécoises, notamment celle de la Gaspésie, préoccupe grandement la biologiste. « Oui, on en entend parler, mais ils sont loin, les caribous de la Gaspésie; la majorité des gens n’en ont jamais vus, signale-t-elle. Donc, de le voir de proche et d’en apprendre sur son état, on espère que ça allume une petite flamme en dedans d’eux et
qu’ils repartent en se disant qu’ils peuvent faire quelque chose. »


Stéphanie Bentz s’occupe de la faune intérieure et extérieure du Bioparc, notamment des orignaux. Photo : Shannon Day

Rapaces rescapés

À un jet de pierre de l’habitat des orignaux, un immense filet déposé sur de hauts piliers laisse deviner la présence d’une volière, à l’intérieur de laquelle cohabitent, sans embrouille, deux pygargues à tête blanche et une corneille. « Les pygargues se sont blessés en nature, puis ont été soignés et réhabilités à l’Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie, explique la scientifique. Il leur manque une demi-aile, donc ils ne peuvent retourner en nature. On leur sert un peu de maison de retraite. »

Cette fonction de refuge concerne également le harfang des neiges, celui-là happé par une automobile et dont l’une des ailes est manquante. Quant à Porto, un grand corbeau récupéré alors qu’il était un oisillon, sa proximité avec l’humain fait qu’il se considère comme tel, souligne Stéphanie Bentz. Les prouesses vocales de l’oiseau ont d’ailleurs été partagées des milliers de fois sur l’application mobile TikTok; à l’instar des perroquets, certains corvidés ont la capacité d’imiter les sons, dont la voix humaine.

Sensibiliser et éduquer…à la radio

C’est par l’entremise d’un autre oiseau indigène bien connu, le merle d’Amérique, que Stéphanie Bentz consolidera un intérêt nouvellement développé : partager son savoir à la radio. « C’est un médium super intéressant, c’est une autre façon de faire ce que je fais dans ma vie, soit de l’éducation et de la sensibilisation », expose-t-elle.

Ainsi, depuis 2017, la biologiste collabore mensuellement à l’émission du matin de CIEU-FM, station radiophonique basée à Carleton-sur-Mer. À la suite d’une chronique sur le merle, une recherchiste de l’émission Moteur de recherche, quotidienne à l’antenne d’Ici Radio-Canada Première, la contacte. « Au début, j’étais seulement invitée, puis on m’a demandé de devenir une chroniqueuse régulière, une fois par mois, en direct, indique t-elle. Quand j’ai réalisé que la diffusion était nationale, j’étais un peu intimidée, mais après avoir fait la première, je me suis calmée! Je me suis vraiment découvert un grand intérêt, j’aime vraiment ça. »


« Oui, on veut que les gens viennent voir les animaux, mais c’est pas juste ça, on veut que les gens apprennent et qu’ils repartent avec cette petite flamme », affirme Stéphanie Bentz, rappelant la mission éducative du parc animalier. Photo : Bioparc de la Gaspésie – Roger St-Laurent

Ces reptiles québécois

En complément des habitats extérieurs, qui seront d’ailleurs en partie réaménagés dans les prochaines années, le parc animalier propose entre les murs de son bâtiment principal des espaces offrant des conditions climatiques plus tempérées. Plutôt familier avec les écosystèmes naturels québécois et les mammifères et oiseaux qui en constituent la faune, le pavillon des amphibiens et reptiles est quant à lui recouvert d’une aura de mystère, bien que plusieurs espèces soient indigènes. On y entre avec appréhension, mais mus par une insaisissable curiosité. « Ça vient chercher un côté fascinant parce qu’on ne s’attend pas à ça, observe Stéphanie Bentz, qui veille au bon fonctionnement du pavillon. Pour les reptiles, par exemple, on a des tortues qui viennent d’ici, mais je dirais que plus de la moitié des gens qui viennent au Bioparc ne savent pas qu’on a des tortues au Québec! »

L’institution gaspésienne abrite ainsi les spécimens de quatre espèces québécoises, dont Tom, une tortue serpentine alors dissimulée au fond de la cuve imitant le plan d’eau dans lequel elle passerait le plus clair de son temps à l’état sauvage. Plongeant les bras jusqu’aux coudes à l’intérieur du bassin, la biologiste déloge l’imposant reptile – si la carapace de Tom ne fait qu’un peu plus d’une trentaine de centimètres, certains individus peuvent atteindre cinquante centimètres. « Les tortues serpentines sont des snapping turtles [elles portent d’ailleurs ce nom dans la langue anglaise] », précise Stéphanie Bentz, signalant leur puissante capacité de mordre au moment de se défendre.

Une fois le spécimen hors de l’eau, comme un fossile vivant entre les mains de la biologiste, la sensibilisation par la proximité prend tout son sens. La curiosité du début fait place à cette fascination annoncée, voire à la révérence et au vertige que suscitent les vestiges de temps immémoriaux : l’épaisse peau écailleuse et les couleurs distinctives alliant nuances de vert et teintes telluriques évoquent ces lointains cousins qu’ont été les dinosaures et rappellent ultimement l’extraordinaire trajet parcouru par la famille des tortues terrestres, les premiers individus étant apparus il y a plus de 230 millions d’années.


Photo : Shannon Day

Fascinants…insectes

La scientifique soulève le couvercle du petit bac de plastique déposé sur une table de travail et surmonté d’une lampe tendue en surplomb. À l’intérieur, des centaines de petites bestioles s’activent frénétiquement.

« On a reçu cet automne une colonie de fourmis Atta, mieux connues sous le nom de fourmis coupe-feuille », révèle celle qui, au fil des ans, s’est vu aussi confier la gestion de l’insectarium, attenant au pavillon des amphibiens et reptiles. Dans les forêts du Mexique, d’où elles sont originaires, ces insectes découpent les feuilles des arbres en petits fragments qu’elles transportent jusqu’à la colonie. Là, les morceaux collectés servent de substrat au champignon autour duquel s’agrègent les milliers de bestioles dans une relation symbiotique : une fois « alimenté », le champignon sert à son tour de nourriture aux fourmis.

« L’insectarium, ça vient aussi chercher un côté fascinant, avec des comportements, des formes, des tailles et des couleurs qu’on ne peut pas s’imaginer si on ne les voit pas », expose Stéphanie Bentz, précisant que la plupart des spécimens, vivants ou naturalisés, représentent des espèces exotiques. « Par exemple, on a plusieurs espèces de phasmes, ces insectes qui ont la forme de feuilles ou de branches », poursuit elle, manifestant auprès de ces petites créatures la même bienveillance qu’elle démontre à l’égard des mammifères, des reptiles ou des oiseaux.

« Parmi les commentaires que je reçois, c’est que je suis passionnée, révèle la biologiste. Quand j’ai fini mon bac, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire. Le mélange entre l’éducation et la biologie, c’est le meilleur des deux mondes, parce que j’aime le contact avec le public, mais j’aime aussi parler des animaux, et je pense que ça paraît, parce que je me le fais dire! »