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Éditorial
3 juillet 2025 13 h 17

Pouzzolane : une fuite de responsabilités de la part du gouvernement fédéral

Gilles Gagné

Éditorialiste

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En disant non le 10 juin à un examen approfondi, ou même sommaire, des conséquences de l’exploitation de pouzzolane à Dalhousie, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada s’est résolument désistée de ses responsabilités. Cet organisme constituait clairement l’entité fédérale la plus susceptible d’examiner en détail l’impact transfrontalier du projet de 300 millions de dollars.

Mené par EcoRock Dalhousie à proximité du périmètre urbain d’une ville qui s’appelle maintenant Baie-des-Hérons, un nom suggérant une certaine parenté avec un développement écologique, le projet prévoit l’exploitation massive d’une carrière de pouzzolane, à raison de trois millions de tonnes par année.

Cette pierre volcanique, doit-on le rappeler, entre dans la composition de certaines « recettes » de ciment, lorsqu’elle est réduite en fine poudre. Pour les opposants, ou les gens qui veulent simplement en savoir plus, ce broyage, qui suit le concassage grossier réalisé à la carrière, constitue précisément l’un des aspects qui accrochent dans ce dossier, notamment en raison du bruit généré par la carrière, et de la poussière qui s’en dégage.

La pouzzolane contient de la silice. Or, la silice réduite en fine poudre représente une cause de maladie respiratoire pour la personne qui l’inspire. Comme les maladies industrielles pèsent lourd dans le passé de Dalhousie en particulier, et plus généralement des autres arrondissements de Baie-des-Hérons, la suspicion s’exprime aisément vis-à-vis le projet d’EcoRock Dalhousie.

Occasion ratée

L’Agence d’évaluation d’impact du Canada aurait pu dresser le bilan des effets encore présents du lourd passé industriel de Dalhousie, caractérisé par 80 ans de présence d’une papeterie, d’une centrale thermique brûlant des hydrocarbures et d’une usine de fabrication de produits chimiques pour l’industrie des pâtes et papiers.

L’Agence aurait alors pu se servir de ce bilan et le placer dans un contexte transfrontalier, puisque la Gaspésie se trouve à un jet de pierre, de quatre à cinq kilomètres selon l’endroit, de la carrière. Le lien entre les deux provinces passe par le delta de la rivière Restigouche et le fond de la baie des Chaleurs. Pendant 80 ans, des navires ont chargé et déchargé des matières polluantes au port de Dalhousie, entre autres du concentré de zinc y a été transbordé pendant quelques décennies. Des évaluations effectuées au cours des 20 dernières années ont établi que les sédiments marins autour de Dalhousie sont fortement contaminés, le résultat « d’échappements industriels ». La conscience environnementale était négligeable entre 1930 et 2010, et on peut souvent se demander à quel point elle a évolué depuis 15 ans.

Si EcoRock Dalhousie veut exporter sa pouzzolane à coups de navires de 70 000 tonnes, comme le prévoit son plan, il faudra nécessairement draguer considérablement le port. Des sédiments pollué, mais présentement enfouis, seront remis en suspension.

Nulle mieux que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada ne pourrait réaliser une analyse de cette remise en suspension des sédiments, et de leurs effets sur la vie marine environnante.

Le projet d’EcoRock sera scruté par le ministère de l’Environnement du Nouveau-Brunswick. Ce ministère ne s’est pas souvent distingué par une rigueur irréprochable et il est certain qu’il ne se penchera pas sur l’impact du côté gaspésien du projet, que ce côté soit marin ou terrestre.

À la mi-juin, le député fédéral de Gaspésie-les-Îles-de-la-Madeleine-Listuguj, Alexis Deschênes, a soumis une idée originale, une étude d’impact environnemental réalisée conjointement par les deux provinces.

Ce serait judicieux, et le concept mérite d’être poussé, mais le gouvernement québécois souffre d’une inertie désarmante en matière environnementale. Malgré une proposition unanime déposée à l’Assemblée nationale en novembre 2024 exprimant une inquiétude face au projet d’EcoRock Dalhousie, il serait étonnant que Québec embarque dans cette idée.

Une conséquence du « plan Carney »?

Depuis son élection, le 28 avril, et antérieurement, lors de la course à la direction du Parti libéral du Canada, le premier ministre Mark Carney vante la nécessité de réaliser de grands projets d’infrastructures au pays, et il met un accent particulier sur les corridors énergétiques, qu’il s’agisse de lignes de transmission d’électricité ou des pipelines.

Dans ce plan, adopté à la fin de juin sous le nom de Loi C-5, M. Carney court-circuite, au nom de projets d’intérêt national, le processus d’évaluation environnementale, notamment en lui assujettissant des lois « inférieures », comme la Loi sur les pêches, la Loi sur les eaux navigables canadiennes, la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, la Loi sur les espèces en péril et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Il est troublant de constater que ce sont précisément les lois invoquées par Terrence Hubbard, le président de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, pour expliquer le désistement de son organisme. M. Hubbard renvoie les opposants à un recours à ces lois, lois qui ont été émasculées deux semaines plus tard pour le gouvernement Carney!

La Loi C-5 mise sur une seule évaluation environnementale, quand il y en aura : elle devra être fédérale ou provinciale.

Il y a donc lieu d’exiger une révision de la décision du président Hubbard, qui vante aussi les recours aux législations provinciale et municipale comme éléments protecteurs de l’environnement.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick, rappelons-le, a des croûtes à manger pour convaincre le public des deux côtés de la baie des Chaleurs que son processus d’évaluation environnementale tient la route.

Quant au pouvoir municipal, tant que le maire de Baie-des- Hérons, Normand Pelletier, un ardent défenseur d’EcoRock Dalhousie, sera à la tête de la Ville, les opposants ne trouveront pas ou peu d’écho à leurs inquiétudes.

Des opposants ou des citoyens inquiets quant aux effets de l’exploitation de la pouzzolane à Dalhousie peuvent encore déposer une demande de révision à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, s’ils ne font pas partie des requérants initiaux déboutés par Terrence Hubbard, et s’ils soumettent des faits nouveaux.

Il y a aussi les communautés autochtones, huit d’entre elles, également déboutées par le président Hubbard. Elles pourraient fort bien porter le dossier devant les tribunaux. Il semble y avoir une emprise en ce sens pour les opposants des Premières Nations.

Si c’est le cas, les opposants allochtones ont tout intérêt à leur exprimer un appui vigoureux, pour éviter que les Premières Nations fassent le travail en tant « qu’Autochtones de service », des situations vues trop souvent à l’échelle nationale.