GRAFFICI a 20 ans en 2020!
CARLETON-SUR-MER | À l’occasion des 20 ans de GRAFFICI, l’équipe du journal rappelle quelques-uns des reportages ou des moments qui ont marqué l’histoire de la publication en générant, dans le cas des articles, un intérêt particulier chez ses lecteurs. Cette fois, c'est l'un des fondateurs de GRAFFICI ,Pascal Alain, qui nous raconte les premiers pas du journal, des premiers pas empreints d'une belle naïveté. De 2000 à 2007, GRAFFICI a été un journal culturel, avant de devenir une publication généraliste en 2007. Il a été mensuel jusqu’en 2015 avant de devenir bimestrie
Quelque chose comme une grande école…
Il y a 20 ans ce mois-ci paraissait le tout premier numéro du journal GRAFFICI. Rassemblés au défunt resto-bar Fou du Village de Bonaventure pour le lancement de cette grande aventure, les jeunes adultes que nous étions n’imaginaient pas que GRAFFICI deviendrait un véritable laboratoire ayant la Gaspésie comme source permanente de réflexion. Cap sur le passé
À l’automne 1999, j’ai 25 ans. De retour en région depuis deux ans, j’aime ma Gaspésie, même si elle souffre de plusieurs maux. Même si être jeune dans ce bout du monde n’est pas tous les jours facile. La Gaspésie de l’époque est en transition. Encore et toujours. Après la pêche à la morue et son moratoire de 1993, voilà que son économie traditionnelle lui tourne le dos. Coup sur coup, la région reçoit deux électrochocs. Le 14 octobre 1999, Mines Gaspé annonce la fin de ses activités à Murdocheville ; la société-mère, Noranda, n’exploitera que la fonderie jusqu’au 27 avril 2002. Le 28 octobre,c’est au tour d’Abitibi-Consolidated de fermer définitivement la papeterie Gaspésia, son usine de Chandler. Plus de 1000 emplois bien rémunérés s’envolent, causant un véritable cataclysme. Ce n’est pas la Gaspésie qui ferme,mais presque. Chose certaine, un pilier du temple venait de s’effondrer. En cet automne 1999, on voudrait être ailleurs…
Le bas de l’échelle
À l’époque, un retour en région n’effleure même pas l’esprit de la plupart de ces jeunes Gaspésiens partis s’instruire en ville. Les emplois pour les universitaires sont rares,imaginez ceux bien rémunérés. Durant les vacances estivales ou celles des Fêtes, on évite de croiser sur son chemin des connaissances,craignant presque de leur avouer que le destin nous a amenés dans ce plus beau trou du monde -mais trou quand même! – qu’est la Gaspésie.Le taux de chômage galope vers des sommets,tout comme le défaitisme et la morosité qui enveloppent la péninsule. On doit trimer dur. On doit faire compétition avec des pères et des mères de famille pour obtenir un emploi subventionné par le Centre local d’emploi. Il faut faire pitié avec un baccalauréat en poche.Ça sent la fin de siècle avec le bogue de l’an 2000 qui pointe à l’horizon, ajoutant une couche d’angoisse et de paranoïa.
Finalement, le bogue n’a pas eu lieu. Janvier 2000 laisse plutôt place à l’Action des patriotes gaspésiens, mouvement visant à dénoncer l’immobilisme des gouvernements,qui favorisent les grands centres au détriment des régions. À l’hiver, le groupe parle même de se rendre plaider la cause de la Gaspésie à un tribunal international de Genève, accusant le Canada de génocide économique à l’égard de la péninsule. Les Patriotes s’y sont d’ailleurs rendus en 2001. Je me demande ce que je fais en ce pays pittoresque. En même temps, je me dis que ma place est ici…
Les premiers pas de GRAFFICI
C’est dans ce contexte qu’est né GRAFFICI. Passionné de presse alternative, je fais la rencontre en cet automne 1999 de Normand Canuel, un autre assoiffé de journaux indépendants. Normand partage son rêve avec moi. Je me joins à lui, de même qu’à Mélanie Cotnoir. L’automne et l’hiver sont consacrés à réfléchir GRAFFICI, à monter son plan d’affaires, à structurer ce type d’entreprise qui, disons-le, n’est pas conventionnel dans le décor gaspésien. Les journaux présents dans la péninsule à cette époque sont des hebdos quasi indélogeables appartenant au géant Québecor. Obstacle de taille!
L’hiver et le printemps servent à convaincre le milieu de l’arrivée d’un journal indépendant,culturel de surcroît, sur la scène gaspésienne. Fatigués de voir les mêmes mauvaises nouvelles passer et repasser, de mijoter dans cette inertie qui gagnait la région et de constater que les initiatives pour la rebâtir n’avaient pas d’échos dans les différents médias, l’idée d’offrir une nouvelle voix à la Gaspésie prend forme.
GRAFFICI offrira aux Gaspésiens une information de qualité, notamment par l’entremise d’un éditorial et de chroniques
d’opinions. Nous allions réfléchir ensemble à l’avenir de la Gaspésie. La scène culturelle, vivante et dynamique, n’est pas couverte? Nous lui donnerons la parole! Aucun média écrit ne rassemble la Gaspésie du nord au sud, de l’est à l’ouest? GRAFFICI tentera de relever ce défi! Nos premiers pas sont laborieux. On nous qualifie souvent «d’ambitieux», pour ne
pas dire de suicidaires. Le paysage médiatique est contrôlé par l’empire Québecor. Jouer dans la cour du géant pouvait effectivement s’apparenter à un suicide. Pourtant, même l’empire romain s’est écroulé un beau jour de l’an 476… Heureusement, la jeunesse est naïve,qualité qui peut servir lorsque vient le temps d’oser, de risquer, de plonger dans le vide.
GRAFFICI dans la cour des grands
En mai 2000, le journal culturel GRAFFICI,coopérative de solidarité, est officiellement fondé. Parce que nous étions motivés. Parce que c’était nécessaire. Parce que des gens, et ils se connaissent, y ont cru avec nous. On apprend à la dure. Le premier numéro paraît en juillet. À l’époque, la toile mondiale et les courriels sont accessibles au commun des mortels depuis quelques années à peine. Nous gravons le journal sur un CD pour ensuite faire parvenir ce bien précieux à notre imprimeur de Québec par autocar! Françoise LeBlanc-Perreault se joint à l’équipe dès le deuxième numéro, ce qui formera le trio fondateur de GRAFFICI.
Contre vents et marées, le journal fait sa place. On dérange. Les compétiteurs réduisent les prix des publicités aux entreprises pour nous casser. On nous regarde de haut. C’est intimidant. Les trois artisans que nous sommes se répartissent les nombreuses tâches,incluant la distribution dans cette région grande comme un pays. C’est toute une école,tout un laboratoire. Des dizaines de bénévoles se greffent à GRAFFICI. Des jeunes, des moins jeunes. J’y ai même rencontré la mère de mes enfants! GRAFFICI est vite devenu une famille. Et comme dans toute famille, il y a des départs… mais aussi des nouveaux venus! La relève s’est toujours pointée au moment opportun, permettant ainsi à GRAFFICI de souffler cette année ses vingt bougie!
D’hier à aujourd’hui
Vingt ans se sont écoulés depuis. Vingt ans,dans le milieu des médias, c’est une éternité. GRAFFICI a passé à travers quelques crises. Certaines ont forcé le journal à se transformer,passant de culturel à généraliste en 2007,tandis que d’autres, financières, ont menacé l’existence même de ce média. Chaque fois, il a su rebondir. Le paysage médiatique gaspésien a tellement changé en l’espace de deux décennies. Que dire de la situation à l’échelle nationale! Les propriétaires ne sont plus les mêmes, des journaux ont disparu, d’autres ont vu le jour pour s’éteindre aussitôt. Certains n’impriment plus, se contentant des plateformes en ligne. Les médias sociaux et leurs torrents d’information continue et instantanée ont bouleversé la façon d’informer. La méthode des entreprises d’effectuer des placements publicitaires est venue en déstabiliser plus d’un. S’adapter. Faire autrement. Continuellement. Dans un monde qui va de plus en plus vite. La COVID-19 nous forcera à poursuivre dans cette voie: la seule constance, le changement!
Près de 225 numéros plus tard, merci de votre appui. Merci d’être encore là. Longue vie à GRAFFICI!
Deux des trois fondateurs de GRAFFICI, Françoise LeBlanc-Perreault et Pascal Alain,photographiés en juin 2001.