Rebâtir des ponts
CARLETON-SUR-MER, juillet 2018 – Le pont enjambant la rivière Cascapédia a rouvert début juin. Dommage que les ponts tissant nos relations avec nos frères et sœurs autochtones ne soient pas aussi faciles à rebâtir. Avouons que les efforts de rapprochements de part et d’autre sont plus sentis depuis quelque temps. Francophones, anglophones et Micmacs doivent travailler ensemble pour assurer l’avenir du pays gaspésien.
Le mois de juin, le 21 plus précisément, coïncide avec la Journée nationale des peuples autochtones. En remontant l’histoire, on découvre que l’Homme blanc a construit d’étranges relations avec les autochtones.
En octobre 1760, la Nouvelle-France n’est plus. Grands vainqueurs, les Britanniques s’en emparent, mettant la main sur un énorme territoire et ses richesses.
Après la Conquête, les Premières nations du pays, présentes sur le territoire depuis des millénaires, sont bousculées. La proclamation royale de 1763 devient la première déclaration des droits des Indiens. Au départ, les échanges entre les Britanniques et les Autochtones se déroulent à l’amiable. L’attitude de sa Majesté change lorsqu’elle n’a plus besoin d’eux, ce qui survient vers les années 1820 avec le déclin du commerce des fourrures.
Au tournant des années 1850, les Premières nations sont stationnées sur des « réserves », solution mise de l’avant par le gouvernement colonial pour s’accaparer leurs terres.
En 1867, nous assistons à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui donne naissance à la Confédération canadienne, toujours en vigueur aujourd’hui. Le gouvernement fédéral se donne alors le droit de légiférer en matière d’« Indiens » et de « terres réservées aux Indiens ».
En 1876, l’Acte des Sauvages, renommé plus tard Loi sur les Indiens, est adopté et ce, sans consulter les principaux concernés, sans se soucier de leur histoire. Parce qu’ils en ont une! En les condamnant à vivre sur un territoire restreint, on tente de tuer l’Indien en eux.
La Loi sur les Indiens
Le texte de cette loi, au ton très paternaliste et qui ne cache pas la volonté d’assimiler les Autochtones, encourage les premiers habitants de ce pays à quitter leur statut et leurs cultures traditionnels pour intégrer la société canadienne. Le gouvernement perçoit les Indiens comme des êtres à protéger et à prendre en charge, leur donnant un statut équivalant à celui des enfants mineurs.
La loi « protège » un peu l’Indien, mais elle interdit surtout : par exemple d’effectuer des cérémonies traditionnelles et de porter des costumes ancestraux. Désormais, c’est l’État fédéral qui décide qui est un Indien et qui ne l’est pas. On souhaite « émanciper » l’Indien en échange de certains droits.
Cette émancipation se réalise par la menace constante de perdre leur statut d’Indien pour devenir des Canadiens sans aucune distinction. À preuve, cette vieille loi stipule que tout membre d’une première nation perd son statut d’Indien le jour où il reçoit un diplôme universitaire, ou s’il devient médecin ou avocat. Tout pour les infantiliser, les assimiler. Cette loi permet au gouvernement d’intervenir en matière d’identité, de structures politiques, de gouvernance, de pratiques culturelles et d’éducation, d’où les pensionnats et les écoles déconnectés de leur réalité.
À partir des années 1950, l’État canadien réforme cette loi archaïque pour lui retirer les restrictions à caractère assimilant. Pendant près d’un siècle, interagir avec des non-Autochtones signifiait pour les Premières nations le risque de perdre leur statut, donc de perdre le peu de droits que leur confère cette loi. Pourtant, on ne réforme pas l’article qui stipule que la femme qui se marie avec un non-Indien perd son statut, contrairement à l’homme.
Peut-on imaginer que les Autochtones obtiennent seulement le droit de vote au fédéral en 1960 et au provincial en 1969? À la lumière de ces faits, on comprend plus facilement tout ce climat de méfiance et ces préjugés que nous cultivons depuis si longtemps.
Il est grand temps que nous reconstruisions ces ponts, ceux dans nos têtes et dans nos cœurs.
NOTE SUR L’AUTEUR
Pascal Alain est né et habite à Carleton-sur-Mer. Historien de formation, il est aussi détenteur d’une maîtrise en développement régional. Œuvrant professionnellement dans le secteur municipal, il est l’auteur de plusieurs conférences sur l’histoire et le développement régional. Il est aussi l’un des membres fondateurs du GRAFFICI.