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29 juin 2020 10 h 47

SUITE : Un arbre, une personne, une histoire

Les arbres font partie de nos vies depuis le début de l’humanité. Ils étaient là bien avant nous, et ils y seront encore si les êtres humains viennent à disparaître un jour. Les dernières recherches indiquent que les arbres «communiquent» entre eux, une sorte de symbiose qui a changé la perception de bien des scientifiques. Pendant que certains dirigeants politiques encouragent bêtement la dévastation d’aires forestières vitales pour l’équilibre sur terre, d’autres replantent dès qu’ils le peuvent. Certaines personnes entretiennent des rapports très étroits avec un arbre spécifique. C’est le cas de Gaspésiennes et de Gaspésiens. GRAFFICI est allé à la rencontre d’amoureux d’arbres.

Sainte-Anne-des-Monts : le marronnier qui disparaît avec son propriétaire

SAINTE-ANNE-DES-MONTS | Lorsque J. François Lepage a fait construire sa maison en 1954 à Sainte-Anne-des-Monts, il a planté un marronnier. Cet arbre, qui est devenu majestueux au fil des années, est mort en même temps que celui qui en avait pris un soin jaloux pendant 64 ans.

J. François Lepage, arpenteur-géomètre, était un amoureux de la nature et cultivait une affection particulière pour les arbres. Il était surnommé « l’homme qui plante des arbres », raconte sa fille Louise. Devenu fleuriste et horticulteur, il fonde son entreprise en 1968, tout en étant directeur de l’équipement à la Commission scolaire régionale des Monts.

«Situé tout près de la maison, le marronnier a grandi avec, nous, raconte Mme Lepage. Il a toujours fait partie de notre environnement. Il est devenu beau, grand et fort, avec la splendeur de ses fleurs au printemps et ses marrons l’automne, qu’on prenait plaisir à ramasser au sol.»

Il y a trois ans, Céline Dion a enregistré une chanson intitulée Sur la plus haute branche. «Pendu à la plus haute branche, parmi les fruits du marronnier, on dirait que tu te balances. Même si plus rien n’a d’importance, as-tu au moins trouvé la clé qui nous redonne notre enfance et nos fous rires d’écolier», chante la star, qui a des origines de Sainte-Anne-des-Monts par sa mère Thérèse.

Lorsque Louise Lepage, qui a pris la relève du commerce paternel, a écouté cette chanson, elle a senti l’émotion monter. «C’était la chanson pour mon père.»


Le vieux marronnier avant qu’il ne soit coupé.  Photo : Denyse Lepage

 

Mourir en même temps
J. François Lepage s’est éteint le 14 septembre 2018, à 94 ans. «Dans toute notre tristesse, nous avons fait jouer la chanson de Céline», se souvient Louise Lepage. Les paroles prenaient tout leur sens: «cette nuit, c’est le vent d’automne qui te bercera.»

Deux jours avant les obsèques, une grosse branche du marronnier a cédé sous les forts vents. Le lendemain, l’élagueur a constaté que le marronnier était trop vieux. Son centre étant pourri, il était trop abîmé pour survivre. «Il n’a pas eu d’autre choix que de le couper complètement, raconte avec tristesse Mme Lepage. Drôle de coïncidence!»

«Papa a été exposé un dimanche d’automne, relate-t-elle. À tous les gens qui sont passés au salon funéraire, nous leur avons donné un marron du marronnier à papa, en souvenir de lui et de l’histoire de son marronnier. Avant de quitter le salon et lors de son service religieux, la voix de Céline vibrait dans tout l’espace.»

«Tu vivras dans tous nos silences, au hasard des conversations. J’apprivoiserai ton absence, mais je ne dirai plus ton nom.»

«Notre marronnier, c’est un passage de notre vie qui est inscrit à tout jamais dans notre mémoire», dit Louise Lepage.

Moins de deux ans plus tard, la vie reprend. Le vieux marronnier a fait des petits et de jeunes pousses ont pris sa relève.

Texte : Johanne Fournier


Louise Lepage montre l’une des repousses du marronnier, ce qui prouve que la vie reprend ses droits.  Photo : Ginette Fraser

 

Un lien paternel

CAP-D’ESPOIR | La passion pour les arbres de Doris Bourget vient de son enfance. Son père avait acheté un petit domaine ancestral anglais, en Gaspésie, ceinturé d’arbres, dont des cerisiers. Elle a pris des repousses du domaine familial de cette sorte d’arbre il y a cinq ans pour reproduire cette même ceinture d’arbres sur son terrain.

Le cerisier est particulièrement important pour elle: il la ramène directement à son enfance. «C’est mon arbre fétiche. Le cerisier, c’est le symbole de mes souvenirs d’enfance. Je le trouve tellement beau, tant durant sa période de floraison qu’avec ses petits fruits rouges, qui apparaissent en plein milieu de l’été, et qui m’ont toujours fait penser à des petites boules de Noël. Lorsque j’étais jeune, mon père avait planté plusieurs cerisiers devant la maison. L’amour des arbres, c’est lui qui nous l’a transmis, à mes sœurs et moi.»

Son père est décédé quand elle avait 11 ans. «Le cerisier est donc pour moi romantique, réconfortant et très précieux. C’est mon lien paternel.»

À la suite de dommages causés par un champignon, Mme Bourget a perdu tous ses cerisiers matures, mais par ramification, elle a réussi à faire pousser des bébés cerisiers. «C’est rare que l’on réussit à faire pousser un arbre de cette manière. En l’ayant accompli, cela représente à quel point la vie est précieuse et fragile. Les cerisiers peuvent se multiplier facilement sur un terreau bénéfique, mais peuvent disparaître d’un coup. Il y a un parallèle à faire avec ce qu’on vit sur terre actuellement.»

Finalement, personne ne la verra tailler un arbre. «J’aime le fouillis romantique, naturel. Avant de planter un arbre, j’analyse la situation. Il faut qu’il soit planté comme s’il avait toujours été à cet endroit.»

Texte : Geneviève Patterson


Doris Bourget aime le fouillis naturel et romantique de ses arbres, dont celui de ses cerisiers.  Photo : Doris Bourget

 

 

Des arbres uniques et sentimentaux

GASPÉ | Le paysage bucolique de la péninsule regorge de nombreux trésors naturels. Les arbres en font partie, et plusieurs Gaspésiens leur vouent une attention, voire un attachement bien particulier. L’arboriculteur certifié Samuel Pina, de Douglastown, est l’un d’eux.

Il connait de nombreuses histoires sur les arbres dans la MRC de La Côte-de-Gaspé, comme celle de l’orme d’Amérique géant, situé au début de la montée Morris, à Rivière-au-Renard.«

Il a déjà eu deux têtes collées l’une sur l’autre. L’une a cassé – on voit la cicatrice au pied de l’arbre-mais celle qui reste est splendide,» dit-il. Dans les années 1950-1960, l’orme était l’arbre majoritaire en Amérique, tant dans les zones urbaines que rurales, mais des vagues de maladies exotiques et un champignon, transmis par le scolyte américain de l’orme, en ont éradiqué plusieurs. Quatre-vingt-dix pour cent des ormes ont disparu.

«Cet arbre est majestueux par sa forme: on dirait un brocoli géant, explique M. Pina. Par sa beauté et sa part d’ombre, il a souvent été planté près des granges, pour offrir de la fraîcheur aux bêtes. Il en reste encore près de la rivière St-Jean. Il impressionne par ses capacités de survie, sa résistance. En ce temps de pandémie, on ne peut que s’en inspirer!»

ses arbres préférés sont… des arbres morts. Il y en a deux sur son terrain. «
J’ai deux énormes mélèzes. Je suis incapable d’en faire le tour avec mes bras. Ils sont morts depuis quelques années, d’une mort subite, par la foudre ou en raison des changements climatiques. Un arbre mort, c’est la vie, c’est la biodiversité. Ils nourrissent les insectes, les lichens, les mousses, les bactéries… Les hiboux y fabriquent leurs nichoirs. Ils sont indispensables à
la biodiversité.»

Nos arbres étaient présents lors de la venue de Jacques Cartier, rajoute Samuel Pina.«

Ils sont parmi les espèces vivantes les plus intelligentes: ils s’adaptent plus facilement aux changements que les animaux. Ils sont capables de les manipuler, en leur donnant des fruits, dont ils iront semer les graines ailleurs. Ils communiquent entre eux, produisant un insecticide naturel pour se prémunir des dangers. Ils créent des fleurs, que les insectes butineront et ainsi, ils se reproduisent et se dispersent. Sans arbres, il n’y a pas d’oxygène, donc
pas de vie humaine. Ils subissent et se régénèrent. Ils sont bien ancrés au sol depuis tant d’années, ils appellent au respect.»

Texte: Geneviève Patterson


Samuel Pina dit bonjour à son arbre à tous les jours.  Photo : Geneviève Patterson

 

LOI DE LA VILLE DE GASPÉ CONCERNANT LES ARBRES
À l’intérieur des périmètres urbains identifiés dans le Plan de zonage, il est possible d’abattre des arbres s’ils sont morts, malades (risques de contamination pour les arbres voisins), ou s’ils représentent un danger pour les personnes, les immeubles ou pour la réalisation d’un projet de construction. Tout arbre ne répondant pas aux critères mentionnés au paragraphe précédent peut être abattu, mais conditionnellement à ce que ce dernier soit remplacé par un autre arbre d’un diamètre minimal de cinq centimètres, et mesuré à 30 centimètres du niveau du sol. Des critères dans le Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale peuvent permettre, lors de certains projets de construction ou de rénovation, d’exiger la plantation ou la conservation d’arbres sur le terrain. La Charte des paysages est disponible sur le site web de la Ville de Gaspé: https://ville.gaspe.qc.ca/services-municipaux/urbanisme-et-amenagement-du-territoire/charte-des-paysages

Texte : Geneviève Patterson