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7 juillet 2022 10 h 50

10 JUILLET 1972 : Cap-Chat devient le centre du monde… scientifique

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L’astronomie n’avait jamais autant fasciné les Gaspésiens qu’en cet été 1972. La célèbre agence spatiale américaine, la National Aeronautics and Space Administration (NASA), était de la partie. Auréolé par la conquête lunaire trois ans plus tôt, ce géant de l’ingénierie est au sommet de son pouvoir et de son prestige. Les gens voient arriver de mystérieux scientifiques un peu partout en Gaspésie. Ceux-ci louent notamment une section entière du légendaire camping du non moins légendaire Anthyme Perrée, presqu’à la frontière de Sainte-Anne-des-Monts et de Cap-Chat. Car, c’est bien dans cette dernière localité qu’une éclipse solaire s’annonçait être la plus perceptible; rien pour amenuiser la rivalité entre les deux villes-soeurs…

Par cet événement, une centaine de scientifiques tenteront des expériences et procèderont à divers relevés de données tous plus pointus les uns que les autres. Une équipe d’astronomes de Florence, en Italie, présente à Cap-Chat, a alors comme objectif de déterminer le contenu d’oxygène de la couronne solaire. C’est même l’occasion de mettre à l’épreuve un tout nouveau télescope électronique. La NASA désirait y étudier des phénomènes scientifiques et de nombreux à-côtés. On souhaite par exemple y observer des taches solaires qui permettront de développer des mesures qui empêchent de mettre la vie des astronautes en danger.

Une logistique – notamment pour optimiser les hébergements – se met en place dans la ville pour venir en aide aux nombreux (très nombreux) visiteurs. En plus des dizaines d’astronomes et d’astrophysiciens, environ 5000 curieux ont fait le déplacement, deux fois plus que la population totale de Cap-Chat. De ce nombre, Joe Rao. Celui qui n’est alors qu’un enfant deviendra plus tard un des grands spécialistes américains du phénomène merveilleux que constitue les éclipses et un collaborateur du New York’s Hayden Planetarium.


En plus des dizaines d’astronomes et d’astrophysiciens, environ 5000 curieux ont fait le déplacement, deux fois plus que la population totale de Cap-Chat. Photo :Image tirée de YouTube – Dan Beaumont Archives

En 1972, il fait le déplacement depuis New York avec son grand-père et d’autres membres de sa famille. À chaque kilomètre parcouru vers Cap-Chat, Rao se souvient que le nombre de télescopes et de gens augmentaient de façon exponentielle. « Nous étions tous emballés à propos de ce que nous allions voir, exception faite de Nanny. « Pourquoi diable quelqu’un voudrait rouler pareille distance pour se voir plongé dans le noir quelques minutes? » » relate ainsi Joe Rao!1 « Nanny », sa grand-mère, sera toutefois impressionnée elle aussi lorsque l’éclipse sera perceptible de façon furtive, se faufilant entre deux nuages.

Un miracle, au vu de ces nuages qui étaient venus jouer les trouble-fêtes à partir de midi. Rappelons que le matin, le ciel dégagé était alors propice aux observations scientifiques et récréatives qui se feraient vers 16 h 30. Tous étaient fébriles. Pendant 2 minutes 30 secondes, l’obscurité totale se produisit à Cap-Chat, cette localité se situant en plein milieu du corridor de l’éclipse. L’éclipse fut également visible à d’autres endroits, dont Carleton, où d’ailleurs une équipe de Radio-Canada était postée sur le mont Saint-Joseph.

Pour les scientifiques présents à Cap-Chat, néanmoins, le temps ne fut pas suffisant pour leurs observations et pour recueillir leurs précieuses données tant convoitées depuis des mois, voire des années pour certains, notamment pour le grand-père de Joe Rao. Les équipements, dont les télescopes, avaient été installés depuis des jours. Cette déception dut être crève-coeur. Après tout, le laps de temps entre deux éclipses solaires totales se comptent parfois en centaines d’années pour être observées au même endroit. « Spectacle raté » titrait le journal Le Soleil le lendemain.

En 1997, pour le 25e anniversaire de l’événement, Joe Rao signera un papier dans le Reader’s Digest. Le texte est accompagné de photographies intéressantes dont une où le jeune Joe porte fièrement un t-shirt vendu lors de l’événement. De nombreux autres produits dérivés seront fabriqués pour l’occasion, comme des nappes et des macarons. L’information nous est rapportée par le quotidien Le Soleil du 8 juillet 1972.


Le jeune Joe Rao exposant fièrement avec son chandail acheté en Gaspésie.  Phot : fournie par Marc-Antoine DeRoy

Pour la Gaspésie du nord, cet événement est entré dans la légende également en raison d’un livre sulfureux que peu de gens, d’ailleurs, ont eu la chance de lire: C’t’à cause qu’y vont su’a Lune de l’auteur Gilbert Langlois. Le roman au titre énigmatique dépeint un propriétaire de camping local, aux comportements parfois douteux, avide de richesses en lien avec la manne présente pour l’éclipse, notamment par la NASA. Tout le monde, à l’époque – et encore aujourd’hui – a su identifier le réel personnage. Victime d’une injonction, puis d’une saisie judiciaire, le livre entre ainsi dans la légende. Il y a environ cinq ans, j’ai eu la chance de me procurer l’ouvrage auprès d’un particulier; j’attendais ce moment depuis longtemps.

1972, c’est en quelque sorte l’âge d’or de notre coin de pays. Les industries et les commerces tournent à plein régime, de nouvelles infrastructures publiques sont inaugurées comme l’hôpital des Monts et la polyvalente de Sainte-Anne-des-Monts. Nous fêtons cet été le 50e anniversaire de cette année faste qui fut « mise en lumière par l’obscurité » d’un après-midi de juillet.


L’éclipse solaire a fait la une du quotidien Le Soleil le 11 juillet 1972. Photo : Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)


Extrait du quotidien Le Soleil du 8 juillet 1972. Photo : Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)

1: Traduction libre de : « All of us were excited about the prospects of what we were going to see, except Nanny. « Why would anybody drive such a long distance to see it get dark for a couple of minutes? » »

– Un merci particulier à Brigitte Parent qui a fait la découverte d’une information essentielle à la rédaction de cette chronique.
– Lire la série d’articles publiés par le journal Le Soleil dans les éditions entourant l’événement. Certains passages de cette chronique en sont issus.