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18 novembre 2021 10 h 57

Le temps qu’il faut pour être à Tokyo

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En 1846, les agglomérations jumelles de Sainte-Anne-des-Monts et de Cap-Chat ne forment qu’une seule et même municipalité. Il y a tout juste 175 ans, les deux localités s’unissent pour demander un détachement de l’administration municipale couvrant alors tout le nord de la péninsule jusqu’au « Bassin de Gaspé »… Il est vrai que beaucoup de ces gens arrivaient depuis peu de La Pocatière et des environs. Les distances, et ses contraintes, ils connaissaient!

En 1884, la guerre de clochers aidant, Cap-Chat se sent maintenant trop loin de Sainte-Anne-des- Monts pour demeurer unie avec sa consoeur. Elle se sépare alors. Ça se comprend : la vingtaine de kilomètres à parcourir pour franchir les deux endroits prenait cinq heures à pied, sans doute une heure à cheval, ce qui représente l’équivalent du temps qu’il faut aujourd’hui pour se rendre de Gaspé à Grande-Rivière en automobile.

L’envie de liberté se fait-elle en fonction de l’atteinte du plus petit dénominateur commun? L’histoire nous démontre le contraire: on se sépare lorsque les différences, les distances et la culture sont trop éloignées, ou lorsque l’on ressent une injustice irréparable, irréconciliable. Les humains se regroupent pour mieux se défendre, pour mieux se développer. Même dans une société pacifique comme la nôtre, le concept de défense s’applique parfaitement : on l’entend généralement au sens des revendications quant à nos droits pour obtenir de meilleurs services (santé, éducation, transport). La grande question à se poser est la suivante : doit-on aller vers la fusion ou demeurer dans le morcellement?

Alors que nos conseils municipaux viennent tout juste d’être élus, je crois que la question se pose et qu’il s’avère nécessaire de l’observer et de l’analyser dans une perspective historique. Cette récente élection doit-elle être observée comme une autre occasion ratée pour les gens de ne pas s’être unis pour mieux structurer et développer nos communautés?

L’attachement à son hameau, à son village par les gens qui l’habitent est louable. Le sentiment d’appartenance est en effet le premier critère pour le développement d’un territoire donné. Mais comme pour toutes les sphères de la vie, l’humain doit chercher le meilleur pour la prospérité de son environnement.

Dans sa plus simple expression, mon propos serait de poser la question suivante : la Gaspésie pourrait-elle ne former qu’une seule et même municipalité? Une corporation municipale pour chaque hameau, pour chaque agglomération n’est peut-être pas une solution. Il importe, pour une ville, d’avoir une population assez nombreuse lui permettant d’avoir à son service des cadres et des employés nécessaires à la bonne conduite et au développement de ses territoires.

De plus, je crois qu’une fusion complète et totale de la région permettrait de donner un statut égal à tous les lieux-dits dont les toponymes se sont presque effacés ou sont en voie de l’être.

La fusion du Grand Gaspé de 1970 était-il le début d’un projet qui devra un jour être complété? Le débat devrait avoir lieu, peu importe notre opinion à cet effet. Quels sont les arguments en faveur de ce projet? Quels sont les arguments contre? Un débat rigoureux est-il envisageable afin d’établir une prépondérance d’un côté ou de l’autre? Par exemple, pour obtenir une concertation régionale productive, cela viendrait-il suppléer à la disparition de la Conférence régionale des élus (CRÉ)?

Une région entière ne formant qu’une seule municipalité? Je crois qu’il faut y réfléchir. À condition bien sûr de trouver un nouveau modèle de gouvernance et un fonctionnement administratif repensé. L’exemple des Îles-de-la-Madeleine pourrait-il être inspirant pour la Gaspésie?

Jean-Baptiste Sasseville, Louis Roy, Rigobert Miville dit Deschênes et leurs confrères (premiers élus municipaux de Sainte-Anne-des-Monts/Cap-Chat) n’avaient pas trop de questions à se poser en 1846. L’éloignement ne leur donnait guère le choix de créer leur propre municipalité et de se séparer de l’immense structure administrative couvrant tout le nord de la Gaspésie, qu’avait ordonnée pour eux le gouvernement du Bas-Canada.

Il faut pourtant se questionner sur la pertinence des minigouvernements d’ultra-proximité dans un monde où les distances ont changé. Ce que nos prédécesseurs du XIXe siècle croyaient une nécessité pour la concertation et le développement, soit la proximité physique, est en partie devenue caduque. Aujourd’hui – c’est un lieu commun – une bonne connexion Internet fait foi de la proximité et de l’efficacité. Un Annemontois, par ce moyen de communication, sera alors plus près de Tokyo que… du sommet des Chic-Chocs!