À l’ère de la chasse techno
GRANDE-VALLÉE | Carabines, lunettes d’approche, arcs, arbalètes et appâts : la panoplie du chasseur s’est diversifiée et sophistiquée ces dernières décennies. Tour d’horizon des gadgets qui rendent la chasse de plus en plus techno.
Sylvain Bouchard, de Grande-Vallée, a ouvert un magasin de chasse et pêche dans son garage à sa retraite. Pendant la semaine de chasse à la carabine, il le confie toutefois à sa conjointe. Lui prend le bois pour aller chasser, un loisir qu’il pratique depuis un peu plus de 40 ans.
« Les carabines ont pris du mieux. Les munitions aussi, c’est de plus en plus précis. On peut même les faire nous-mêmes. On peut tirer de plus loin, en étant assez sûrs de réussir son coup, peut-être à 1300 pieds [400 m]. Avant, à 200, 300 pieds [60 à 90 mètres], c’était pas mal le « top » », se rappelle M. Bouchard.
Certains chasseurs utilisent des appeaux électroniques, soit des enregistrements d’appels d’orignaux amplifiés par un haut-parleur. « On peut maintenant le faire à partir de son téléphone intelligent : c’est rendu Bluetooth! », lance M. Bouchard.
Les caméras de détection pour repérer le gibier, les « vigiles », se sont répandues. On a d’abord vu des caméras équipées de pellicules 35 millimètres, puis munies d’une clé USB qu’il fallait récupérer sur le terrain. Aujourd’hui, des caméras envoient leurs images par satellite et les chasseurs peuvent les visionner sur leur téléphone intelligent.
Les drones deviennent de plus en plus accessibles. Certains chasseurs les utilisent pour prospecter leur territoire de chasse du haut des airs. Les agents de la faune se font d’ailleurs questionner sur le sujet.
La chasse, « c’est plus facile que c’était dans le temps », admet Sylvain Bouchard. Mais la « fièvre de la chasse » est la même. « C’est toujours aussi trippant », lance-t-il.
Des télescopes plus performants
Au Dépanneur Centre-ville, à Gaspé, François Thériault montre à GRAFFICI les armes alignées derrière le comptoir de la section armurerie. « Les carabines n’ont pas changé depuis 30 ans. Mais il y a une énorme amélioration dans les télescopes. Ça fait cinq ans que j’ai le mien et la technologie a déjà beaucoup évolué. » Pour la coquette somme de 2800 $, on peut accrocher sur sa carabine une lunette qui grossit trente fois, avec une netteté acceptable lorsque la lumière baisse.
Il n’y a jamais eu non plus une telle variété d’appâts. Sur une étagère, il y a des blocs de sel à odeur de pomme, du concentré de minéraux à l’anis et un appât pour orignaux à « enrobage bonbon ». On se croirait dans une confiserie.
D’autres boutiques offrent de quoi masquer l’odeur trop humaine du chasseur : des shampoings, des savons et de la lessive à odeur de cèdre ou de sapin.
Les systèmes pour rechercher un gibier blessé se multiplient. Des commerçants offrent des encoches lumineuses à mettre au bout de la flèche. D’autres proposent de fixer une capsule émettrice à la flèche, pour partir ensuite à la recherche de l’animal en brandissant une mini-antenne réceptrice. Des services de conducteurs de « chiens de sang », dressés à pister le gros gibier blessé, se développent aussi au Québec, y compris en Gaspésie.
Retour aux sources?
Guy Fraser, 61 ans, de Sainte-Anne-des-Monts, se rappelle quand il a commencé à chasser, il y a 36 ans. « Je chassais avec une 303, une ancienne arme de la Deuxième Guerre mondiale. Ce n’était pas si rare. » Il n’avait pas de lunette d’approche : on visait « à la mire », sans grossissement.
La chasse à l’arc et à l’arbalète était rare, note M. Fraser. Aujourd’hui, bien des chasseurs utilisent ces armes pendant la période de chasse qui leur est réservée. Les arcs et les arbalètes fabriqués aujourd’hui n’ont rien à voir avec les engins utilisés par nos ancêtres. En Gaspésie l’an dernier, 1028 orignaux ont été abattus à l’arc (94) ou à l’arbalète (934), soit près de 23 % des bêtes.
En parallèle, on revient à des méthodes anciennes. « Il y a la mode de l’arc à l’instinct [sans viseur]. Quelques-uns pratiquent ça », rapporte M. Fraser. Des chasseurs tentent aussi leur chance à la « poudre noire », note-t-il. Plutôt que d’utiliser une cartouche déjà assemblée, ils font comme les soldats d’il y a 300 ans. Ils insèrent la poudre, la bourre, puis le plomb par la bouche du canon – d’où le nom d’armes « à chargement par la bouche » – avant de compacter le tout avec une tige. Seulement 42 orignaux ont péri de cette façon l’an dernier, soit moins de 1 % des bêtes abattues.
Les caméras, les appâts et autres gadgets n’ont pas changé les orignaux, qui demeurent imprévisibles. « Avec la technologie, tu te fais des petites illusions. Tu vois des orignaux évoluer tout l’été, tu vois le panache grandir », évoque un chasseur trentenaire qui souhaite rester anonyme. Quand arrive le temps du rut, « l’orignal tombe dans un autre monde », avertit ce chasseur. Il peut décider d’aller voir chez le voisin. « Et il peut arriver d’autres orignaux que tu n’avais jamais vus. »
Des technologies qui inquiètent
Jean-Paul Boudreau, de Carleton, s’inquiète au sujet de l’avenir du cheptel d’orignaux en Gaspésie pour plusieurs raisons, dont la facilité découlant de l’emploi des nouvelles technologies.
« Il y a les caméras, mais en plus, il y a les drones. Avec les drones, ça n’a pas de bon sens. Il prend une photo de la bête, et il donne la longitude et la latitude. Le chasseur peut décider que ce n’est pas l’orignal qu’il veut et il tente d’en trouver un autre », note M. Boudreau, qui craint les effets de ce type de sélection tout à fait artificielle.
Ces moyens technologiques se juxtaposent à une période de chasse qui s’étire, quand on inclut tous les gibiers potentiels, d’août à janvier. « Sur certains territoires, l’orignal est déjà chassé en août, par les autochtones. Il y a même une chasse en décembre, grâce à des permis spéciaux. Avant, lorsque la chasse au chevreuil était terminée, en novembre, tout était fini. Maintenant, le petit gibier s’étire jusqu’à janvier. L’effort de chasse est trop grand », insiste M. Boudreau, qui chasse depuis plus de 50 ans.
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