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23 novembre 2025 13 h 54

Caribou montagnard: Un leadership politique gaspésien est possible

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RIVIÈRE-À-CLAUDE | En novembre 2023, je signais ma première chronique sur le caribou montagnard. Avant, je pensais que l’État québécois était en voie de remplir son devoir de protection de cette espèce menacée. C’est en habitant ici que j’ai pu voir de très (trop) près tous les malentendus et les tensions liés à sa sauvegarde. C’est aussi lors d’une randonnée dans le Baxter National Park dans le nord-est du Maine, où restaient des vestiges du caribou montagnard, éteint depuis 1900 aux États-Unis, que j’ai pu faire une sorte de voyage d’un des futurs possibles de la Gaspésie si l’inertie perdure.

D’une population appalachienne à gaspésienne

Quand le couvert forestier était presque total sur le nord-est du continent, les caribous fréquentaient par milliers les plateaux appalachiens, du sud du New Hampshire au nord de la péninsule gaspésienne. Ensuite, l’activité économique a fait son oeuvre : chasse, agriculture, foresterie et infrastructures ont toutes fini, petit à petit, par isoler le cheptel, jusqu’au bord de l’extinction. L’humain peine encore aujourd’hui à protéger une espèce suffisamment tôt.

Rappelons qu’il y avait entre 1000 et 1500 caribous au moment de la création du parc national de la Gaspésie en 1937, dont la mission même était la sauvegarde du cheptel. Il y en avait encore plus de 250 dans les années 80 et même encore 150 en 2013, au moment du documentaire du Gaspésien Harold Arsenault, La dernière harde. Il reste désormais environ 30 caribous, essentiellement autour du mont Jacques-Cartier, dont certains vivent en captivité, notamment des femelles gestantes et des faons. Si rien d’efficace n’est fait, l’extinction du caribou est anticipée d’ici une quinzaine d’années.

L’unicité du caribou de la Gaspésie

Rappelons que le Québec a une seule sous-espèce de caribou, soit le caribou des bois, qui se divise en trois écotypes : forestier (bouclier canadien forestier), migrateur (toundra du Nord-du-Québec) et montagnard (Gaspésie). L’écotype montagnard est le plus sédentaire des trois et aime les hauts sommets en plateau, à l’instar du renne norvégien. Il faut dire que les montagnes de Norvège et de la Gaspésie faisaient partie de la même chaîne de montagnes, avant la dérive des continents. Le renne est l’appellation européenne et le caribou, celle nord-américaine, mais c’est la même espèce – Rangifer tarandus caribou.

La Norvège n’a jamais cessé de chasser le renne depuis que les grands glaciers ont libéré cet espace terrestre. Il y a d’ailleurs encore 25 000 rennes sauvages en Europe, dont 90 % sont en Norvège, sur les hauts plateaux des montagnes du sud du pays à environ 1200 à 1800 mètres d’altitude. Il y a aussi des troupeaux semi-domestiqués, surtout par le peuple autochtone Sami au nord du pays(1). Le renne sauvage de la Norvège semble avoir une chance que le caribou appalachien n’a pas eu : les montagnes ont des dénivelés plus importants, presque des falaises, et une superficie terrestre au-dessus de la ligne des arbres beaucoup plus grande, laissant aux rennes nettement plus d’espace non-concurrentiel aux activités humaines. Le caribou montagnard des Appalaches a plutôt hérité d’un territoire moins accidenté, plus accessible et, des activités industrielles – forestières, minières et éoliennes – ont été ou sont encore en compétition avec sa zone d’alimentation sur les plateaux et en forêts alpines.


Le parc national Hardangervidda est le plus grand plateau alpin européen et héberge 10 000 des 25 000 rennes sauvages de la Norvège. Sa surface est de 3422 km², soit plus de quatre fois le parc national de la Gaspésie. Photo : Anders Mossing

Un réveil protectionniste tardif et inefficace?

Le Québec a créé le parc national de la Gaspésie pour protéger de façon permanente le caribou montagnard et le saumon de la rivière Sainte- Anne. Toutefois, ce parc n’en était pas vraiment un : il y avait encore des activités forestières et minières jusqu’en 1981. C’est cette année-là que la Loi sur les parcs entre en vigueur, à perpétuité, dans le parc national de la Gaspésie sur 802 km2, en réduisant sa taille d’origine d’environ 400 km2. La Sépaq a aussi fait du caribou et du ski des produits touristiques courus. À titre comparatif, dans la Norvège de 1920, il ne restait que 2700 rennes sauvages et le pays formalisa le Hardangervidda National Park, aussi en 1981, d’une superficie de 3422 km2, où vivent désormais 10 000 des 25 000 rennes sauvages du pays. C’est une mesure plus costaude qui a d’ailleurs mieux réussi.

À la recherche du leadership provincial et fédéral…

Malgré le déclin rapide du caribou montagnard en Gaspésie, c’est seulement en 2009 que l’espèce est désignée menacée, déclenchant l’obligation de mettre en place des mesures de rétablissement de l’espèce. Il y eut d’abord des interventions répétées de réduction de la population de prédateurs. Enfin, en 2018, neuf ans plus tard, des mesures de protection intérimaires ont été implantées, venant créer une zone tampon autour du parc, limitant les coupes forestières, rendant plus efficace la protection de l’espèce, reprenant ainsi le territoire perdu en 1981. Néanmoins, certaines coupes très près du parc ont été autorisées jusqu’à tout récemment. En parallèle, comme partout au Québec, de nombreux chemins forestiers multiusages ont été construits, ouvrant le territoire aux activités humaines, mais fragmentant le territoire des animaux. Certains de ces chemins auraient pu être fermés de manière stratégique avant que l’accès devienne un acquis. Rappelons que ces chemins en Gaspésie représentent une surface de 700 km2; presqu’un parc national de la Gaspésie.

À la recherche du leadership local et régional…

Les interventions écrites ou verbales de la MRC de la Haute-Gaspésie, en commençant par celles faites lors de la tournée du ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, en 2019 jusqu’à sa contre-proposition au projet pilote de juillet 2025, ont peu changé : peu de compromis, mais le ton est devenu plus acerbe et la manière plus médiatisée. Cette posture contribue à l’inertie de Québec, mais n’en est vraiment pas l’unique cause. Si le gouvernement du Québec avait été sérieux dans les 15 dernières années, il aurait mis en place les conditions gagnantes avec la Haute-Gaspésie pour que le caribou soit protégé et que l’économie de cette région puisse prendre son envol dignement sans nuire au caribou. Plutôt, les citoyens auront observé leurs gouvernements éviter l’application de leurs propres lois!

Il y a une obligation légale de protéger une espèce menacée; c’est de compétences provinciale et fédérale. Ce n’est pas une compétence municipale. En 2025, la MRC de la Haute-Gaspésie aura même fini par proposer le retrait des mesures de protection intérimaires de 2018 et suggéré la domestication du caribou, formalisant son désir que l’espèce soit abandonnée. Ce recul aura indigné des citoyens qui se sont exprimés dans une lettre réclamant la fin des inerties et mobilisant plus de 1000 signataires, dont la majorité résidaient en Gaspésie.

Et qu’en est-il des retombées économiques du parc?

Le parc national de la Gaspésie et son espèce emblématique ont des retombées économiques significatives pour notre région et le silence du regroupement des MRC à cet égard est pour le moins surprenant. Ce qui l’est aussi est que, dans toutes ces expressions médiatisées de la MRC de la Haute-Gaspésie, les élus n’aient pas voulu discuter d’une indemnisation d’envergure pour le développement de la région, alors qu’ils avaient toutes les raisons de le faire. La région est pauvre et ce n’est pas sa faute si Québec tarde depuis 15 ans. Ce qui est d’ailleurs encore plus navrant est que les gouvernements fédéral et provincial, dans leurs compétences partagées, n’aient pas offert d’emblée une indemnisation majeure pour permettre d’avancer ce projet pilote.

Après des élections fédérale, municipale et, bientôt, provinciale sur fond de guerre tarifaire, il y a peu d’espoir de voir émerger ce leadership à la rescousse du caribou. Toutefois, ces changements peuvent créer des ouvertures, notamment celles de nouvelles postures politiques en Haute-Gaspésie ou à Québec, facilitant le levier financier et la fin de l’incertitude territoriale.

Transformer la problématique caribou en opportunité économique

Après la présentation du projet pilote de Québec en avril 2024, certains citoyens se sont penchés sur la recherche d’un compromis. En effet, la petite municipalité de La Martre avait soumis, dans le cadre du processus d’appel à projets d’aires protégées ouvert en juin 2024, une idée innovante visant à transformer la problématique du caribou en un véritable levier de création d’emplois de qualité. Il était proposé de construire un « Centre d’interprétation et de recherche sur l’écologie alpine et sa régénération » qui incluait, notamment, un site de reproduction du caribou montagnard pour accélérer le rétablissement de l’espèce et des activités régénératrices de son habitat dans son arrière-pays(2).

L’ancien conseil de la MRC a refusé cette idée pourtant pas très loin du « Centre d’expérimentation et de recherche sur la nordicité et les Chic-Chocs » de son propre plan de développement touristique des Chics-Chocs et de la Haute-Gaspésie(3). Le nouveau conseil pourrait vouloir soutenir la province à souscrire à ses obligations envers la nature, en ne tournant pas le dos à l’indemnisation pour une justice sociale de la conservation.


Le centre norvégien du renne sauvage – Norsk Villreinsenter – est l’une des portes d’entrée du grand parc national Hardangervidda à Rjukan, entouré d’hôtels pour la pratique du ski l’hiver, ainsi que la randonnée, la chasse et la pêche l’été. Photo : Kjell Bitustøyl

Passer à l’action par l’innovation et l’expérimentation

Je vous parle de Norvège car j’y étais en septembre en vacances. J’ai pris la peine de traverser ce grand plateau Hardangervidda, ce mégaparc où vit une partie importante des rennes sauvages d’Europe et, par pure coïncidence, j’ai passé près du Centre norvégien du renne sauvage. Celui-ci est devenu en 2006 un centre d’expertise indépendant, d’éducation, d’intendance territoriale, de dialogue et de coopération ancré dans le milieu local. À peu de choses près, ce que La Martre avait en tête! Si le gouvernement du Québec avait agi dès 2009 avec un tel centre en Haute-Gaspésie, nous aurions une équipe scientifique locale sur le terrain à veiller à l’essor du caribou en collaboration avec les usagers locaux. Là où tous s’entendent : ça ne marche pas, la conservation téléguidée de Québec sans dialogue soutenu.

Il est donc temps que le gouvernement du Québec clarifie le territoire nécessaire à la sauvegarde du caribou montagnard, mette en place un programme d’augmentation de la population du caribou par des techniques de reproduction moderne et regroupe les expertises et l’intendance territoriale à un tel centre en Haute-Gaspésie afin de rendre la conservation plus efficace, indépendante, collaborative et juste.

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1. Centre norvégien des rennes sauvages (2025), What is a reindeer?
2. Municipalité de La Martre (2024), Le projet territorial de La Martre, 10 pages.
3. MRC de la Haute-Gaspésie (Mai 2023). Plan de développement touristique de la Haute-Gaspésie et des Chic-Chocs, 2023 à 2033, RCGT & Pesca, 89 pages.