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Chronique
16 septembre 2021 11 h 36

Chronique d’une journaliste cabossée

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Je suis une journaliste, mais au fond, je pourrais faire n’importe quoi de ma vie et ce texte n’en serait pas tellement différent. Je suis d’abord l’un de ces milliards d’êtres humains qui viennent de vivre une pandémie. Une poussière dans l’univers, un peu amochée, qui espère, du plus profond de son petit coeur, ne pas l’avoir traversée pour rien.

J’entends déjà vos commentaires, chers lecteurs : elle n’a rien d’autre à dire, cette chroniqueuse-là, pour encore nous parler de pandémie? J’ai plein de choses en tête, mais à l’aube de cette période post-COVID qui semble enfin être à notre portée [du moins, qui semblait l’être au moment d’écrire ces lignes, en août], je n’ai effectivement rien de plus important à vous dire.

Rien de plus urgent que ceci : aimez et prenez le temps d’aimer les êtres cabossés qui vous entourent, maintenant que ce satané virus a mis en lumière leurs béquilles, leurs batailles, leurs chutes.

Je possède depuis toujours une santé mentale enviable, de celles qui vous ordonnent de vous relever et qui vous aident à le faire. Depuis le printemps 2020, j’ai vu plusieurs personnes ajouter des flacons dans leur pharmacie, craquer, vivre différentes difficultés.

Et moi, je suis restée debout. Je m’en suis même félicitée intérieurement.

Sans me comparer ni m’autocongratuler, je me suis réjouie de ma résilience; elle a passé le test d’une crise sanitaire mondiale. Je peux m’adapter, même au pire. Je suis cet arbre qui ploie dans les bourrasques, mais qui reste enraciné.

C’est ce que je me suis dit, bien naïvement. Je ne suis pas à terre, donc forcément, je suis encore bien droite. Mais qui peut se vanter de l’être réellement après tout ce que l’on a vécu?

J’ai revu la fois où je me suis endormie en pleurant, parce que j’étais vraiment seule, avec le chat qui n’en avait rien à cirer de ma solitude. Cet épisode, aussi, où j’ai flanché, convaincue que je n’aurais plus jamais de carrière après avoir perdu mon emploi. Ces moments où j’ai calculé mon budget de PCU au sou près dans une inquiétude généralisée, me demandant combien de temps j’allais tenir. C’est sans parler de la peine que j’ai eue lorsque, pour la première fois, j’ai passé Noël loin de mes parents.

Et c’est là que j’ai compris : personne ne gagne au jeu du coronavirus.

Comme plusieurs, j’ai une petite boîte en moi qui refoule des deuils, des déceptions, des plaies pansées à moitié, dans l’urgence. Je ne suis ni meilleure ni pire. Je suis humaine. Et être humain, c’est avoir des crevasses.

Nous sortons tous amochés de cette pandémie. On a perdu des proches, nos repères, le nord. Certains y auront laissé leur propre vie, au gré d’une éclosion ou sous le poids d’un mal-être qui a pris toute la place. Que peut-on faire pour commémorer la vie de ces gens-là, ceux que la pandémie aura laissés derrière?

Il faut profiter – de façon positive – de la fenêtre que la pandémie nous a ouverte.

Celle qui donne sur la douleur des autres, sur leurs failles, sur leurs faiblesses. Peut-on utiliser cette petite brèche pour prendre soin d’eux? Pour s’assurer qu’ils iront mieux?

Nous avons été aux premières loges alors que parents, amis et collègues se montraient à nu, laissant entrevoir, eux aussi, leur double fond.

Qu’allons-nous en faire?

Vous vous êtes rapproché d’un voisin confiné alors qu’il en avait besoin? Maintenant que vous savez qu’il n’a personne… Qu’allezvous faire de cette information?

Vous avez vu un ami ou un collègue partir en congé de maladie, exténué, lessivé? Maintenant que vous savez qu’il est plus fragile qu’il ne le montre… Qu’allez-vous faire de cette évidence?

Vous avez trouvé difficile de vous séparer de certaines personnes? Maintenant que vous savez que vos proches manquent à votre quotidien lorsqu’ils en sont exclus… Qu’allez vous faire de ce constat?

Et si l’on se concentrait sur ce que la pandémie nous a donné, au lieu de s’attarder à ce qu’elle nous a fait perdre? Si cette crise laisse une seule chose dans son sillage, il faut que ce soit le soin que nous portons aux autres. Il faut que ce soit le temps que nous y consacrons.

Il faut que ce soit une furieuse envie d’aimer. D’abattre la distanciation.

Il faut, au sortir de la pandémie, que nous aimions plus fort que les virus, plus fort que les variants.

Il faut une autre contamination planétaire.

Un amour pandémique.